Juil 302009
 

Festival d’Avignon 2009 – compte rendu : Acte 1

(A)pollonia, Krzysztof Warlikowski

(A)pollonia, Krzysztof WarlikowskiKrzysztof Warlikowski est un fantastique metteur en scène de théâtre.

A moins qu’il ne possède surtout le talent de s’appuyer sur une scénographe d’exception en la personne de Malgorzata Szczesniak.

Peu importe, le résultat est un spectacle d’une aveuglante beauté.

Et il semble en effet que nombre de spectateurs en furent aveuglés, jusqu’à ne pas voir, ne pas ressentir le profond malaise, cette nausée qui n’aura pas manqué de saisir ceux qui auront su demeurer attentifs jusqu’à la dernière de ces 4h30 d’un spectacle qui dérive progressivement vers un discours d’où le théâtre est de plus en plus absent, cédant la place à une chose qui relève davantage du meeting idéologique théorisant autour de la relativité générale des hommes et de leurs actes, jusqu’aux plus monstrueux.

D’abord il s’agit du sacrifice. Le sacrifice d’Iphigénie au nom de la raison d’Etat et de celle de son père, Agamemnon, chef des forces grecques en partance pour Troie. Le sacrifice d’Alceste au nom de son amour pour Admète dont elle prend la place à l’heure de mourir. Le sacrifice, surtout, d’Apolonia Machczynska-Swiatek, fusillée par les Allemands pour avoir abrité et sauvé des juifs et après que son père avait refusé de donner sa vie pour sauver la sienne, celle de sa fille qui était aussi une mère. Son histoire devint l’objet d’une nouvelle d’Hanna Krall et elle fut élevée au rang de Juste parmi les Nations par l’institut Yad Vashem, en 1997.

Et ainsi, les grandes tragédies grecques d’Eschyle et d’Euripide viennent-elles magistralement souligner tout ce qu’il y a d’humain dans le sacrifice et le refus de se sacrifier, dans cet héroïsme qu’on admire faute de pouvoir tout à fait le comprendre et ces petites et grandes lâchetés qu’on ne comprend en réalité que trop bien. Et quand Agamemnon déclame un extrait des Bienveillantes de Jonathan Littell, où est exposé que nul ne peut prétendre à l’innocence et que chacun peut devenir meurtrier – “Il y a toujours des raisons pour tuer, de bonnes ou de mauvaises raisons” – , l’ancien se mêle judicieusement au moderne en lui donnant relief et sens. “Je suis un homme comme les autres, je suis un homme comme vous. Allons, puisque je vous dis que je suis comme vous !”, affirme le bourreau de sa propre fille et l’on se souvient que l’inhumanité est par essence en l’humain.

C’est qu’on ne comprend pas bien encore ce qu’on cherche à nous conter.

Il n’y a pas de héros. Il n’y a jamais que l’indéfectible médiocrité des hommes, qui se valent tous. Les circonstances font de celui-ci un héros, mais il aurait tout aussi bien pu occuper la place du bourreau qui le met à mort. Les circonstances. Mais aussi le point de vue : le fis d’Apolonia ne peut-il légitimement se plaindre d’une mère qui l’a abandonné à une vie d’orphelin au bénéfice d’enfants juifs qui lui étaient parfaitement étrangers ? “L’homme n’a-t-il pas le droit de sauver sa vie ?

Tous se valent. Tout se vaut. Et donc tout et tous peuvent se comparer. On achève bien les chevaux…

Je soupçonne que beaucoup des fiers critiques qui encensent ce spectacle de n’avoir pas, après l’entracte, surchargés qu’ils sont, ou persuadés de pouvoir s’en passer pour arrêter un avis forcément définitif, pris la peine de revenir s’asseoir à leurs places dans l’enceinte d’un Palais des Papes où, en effet, le mistral s’y engouffrant joyeusement, il faisait particulièrement froid.

Ils n’auraient pu manquer alors de saisir comment du théâtre on avait soudain glissé – et convoquer pour ce faire de l’Elizabeth Costello de J.M. Coetzee était particulièrement malhonnête – vers une apologie sans fard, absolument déthéâtralisée, jusqu’à n’être rien moins que du théâtre, d’une idéologie plus que douteuse, où l’on peut mettre sur un même plan la Shoah et le traitement que subissent quotidiennement des hordes de poulets dans nos abattoirs, jusqu’aux portes mêmes d’Avignon.

Il est d’ailleurs, figurez-vous, des petits crapauds en Australie, qui naissent massivement en période d’inondations et périssent à la saison sèche, totalement ignorants des préoccupations des humains – et, on l’imagine avec horreur, tout autant ignorés par eux…

Loin de prétendre moi-même à l’héroïsme, j’ai toutefois la faiblesse d’imaginer que toute pensée amalgamante est par essence fascisante – et l’on y parvient parfois avec toutes les meilleurs intentions du monde. Dit autrement, il y a d’un côté les pommes et de l’autre les abribus.

Source : (A)pollonia, Krzysztof Warlikowski