Nov 262005
 

De Paul Claudel. Mise en scène de Christian Schiaretti. Au théâtre des Gémeaux (à Sceaux) jusqu’au 4 décembre 2005.

Violaine, fille aînée et aimée de Anne Vercors, riche propriétaire terrestre champenois, deviendra une sainte. Elle aime et vénère son père. Elle pardonne à Pierre de Craon, l’homme qui jadis avait abusé d’elle, devenu par la suite lépreux et bâtisseur de cathédrale. Elle aime Jacques à qui elle est donnée par son père lorsque celui-ci décide de partir en pèlerinage pour Jérusalem. Elle aime sa soeur, Mara, moins jolie qu’elle et surtout moins aimée, qui la déteste et qui aime Jacques. Compatissant au malheur de Pierre de Craon, elle l’embrasse, devient lépreuse à son tour (lui guérira), est abandonnée par Jacques qui la chasse du domaine et épouse Mara la méchante. Le nourrisson de Jacques et Mara meure et Mara, au désespoir, mène son petit cadavre à la lépreuse qui ressuscite l’enfant (c’est le soir de Noël !). Puis elle meure, assassinée par une soeur définitivement consumée par la jalousie. Et voici donc Violaine qui termine son ascension vers la sainteté…

Une pièce dont le propos, on l’aura compris, est essentiellement d’ordre religieux, qui oppose deux soeurs, l’une qui a tout et y renonce pour l’amour de Dieu et de son prochain, l’autre qui n’a rien, dévorée par l’envie et ses passions. Une pièce qui nous apprend qu’importe peu le bonheur terrestre en regard de l’amour de Dieu, que vivre c’est travailler parce que c’est nécessaire et mourir parce qu’il faut rendre à Dieu cette vie qui lui appartient. Une pièce où les hommes parlent de Dieu, donc, et pour ma part j’affirme une préférence sans ambiguïté pour les tragédies grecques où ce sont les dieux qui parlent des hommes et les regardent vivre, s’aimer et se haïr, se laisser emporter par leurs passions vers un destin qui demeure inéluctable.

Il reste que le texte est magnifique, et vous emporterait facilement dans sa musicalité pour peu qu’on eût laissé aux comédiens le soin de le dire plutôt que le ânonner. Car là donc est le reproche qu’on peut faire à ce spectacle, par ailleurs d’une grande beauté, ce phrasé saccadé ou emprunté, décalé le plus souvent, que les comédiens ont de dire le texte et qui fait que bien souvent on n’en distingue plus la forme, les reliefs d’une langue magnifique.

Pourtant, au-delà du sens de la pièce, qui inspirera certains et laissera de marbre les autres, la mise en scène, les décors et les jeux de lumières laissent le souvenir de tableaux de toute beauté, souvent féeriques, au travers desquels les personnages évoluent comme sur un fil, comme dans une seule dimension, soit de haut en bas (lorsqu’il s’agit de s’élever vers Dieu ou au contraire de se tourner vers les hommes), soit d’avant en arrière (lorsqu’il s’agit de partir au loin ou de revenir au domaine), soit de gauche à droite (lorsqu’il s’agit de traverser le temps). Et l’immobilité est réservée à ces moments où il s’agit d’aimer, de prier ou de se recueillir.

Oui, il aurait fallu autoriser les comédiens à se laisser porter par le texte, se laisser porter à sa hauteur comme à celle de cette mise en espace et en lumière (en musique aussi, bien que je sois là plus dubitatif) qui aurait mérité un résultat d’une toute autre envergure.

 

« L’Annonce faite à Marie »