Oct 122010
 

Les Naufragés du Fol Espoir, Ariane Mnouchkine, Théâtre du SoleilAriane Mnouchkine est une magicienne.

Ariane Mnouchkine n’est pas seulement une magicienne et aller au Théâtre du Soleil n’est pas seulement aller au théâtre. A l’entrée, c’est Ariane qui vous accueille, chez elle. Elle qui vous souhaite la bienvenue en déchirant votre billet. Au fronton du théâtre est écrit « Au Fol Espoir ». Vous entrez dans l’avant-salle, décorée XIXème ambiance Jules Verne. Cantine ouverte et grandes tablées, ce sont les comédiens, en costumes déjà, qui font le service. Et Ariane n’est pas loin, veillant à tous les petits détails. Vous mangez votre pot-au-feu, ou pas. Ce n’est pas l’ambiance un peu guindée dont on a l’habitude dans les théâtres parisiens – et d’ailleurs.

Puis vient le temps d’entrer dans la salle. Pour les habitués, un petit détour pas les loges, installées sous les gradins et décloisonnées, où les comédiens se sont réunis avant d’entrer en scène. Vous jetez un oeil indiscret sur les rangées de petites tables où s’alignent les boîtes de maquillage et les faces-à-main. C’est joli, c’est déjà du théâtre – ses coulisses.

Dans la salle, Ariane s’occupe que tout un chacun soit bien installé. Les trois premiers rangs se voient distribuer des couvertures, Ariane dit qu’ils sont exposés à un courant d’air, en profite pour demander à ce que nous veillons à éteindre nos portables. Voilà, le spectacle peut commencer, les lumières s’éteignent, on se souvient alors que si l’on est toujours très bien accueilli au Théâtre du Soleil, on y est également toujours très mal assis.

Mais Ariane Mnouchkine est une magicienne.

Nous sommes en 1914. L’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois, vient d’être assassiné. Jean Jaurès le sera bientôt, précipitant définitivement les peuples d’Europe dans une très sale guerre. Au milieu de ce tumulte, un film se tourne dans le grenier du cabaret le Fol-Espoir, un film – muet forcément – dont l’ambition est de dénoncer les méfaits du capitalisme et de plaider pour l’avènement d’une société nouvelle fondée sur l’Egalité, la Liberté et l’Humanité.

C’est au tournage de ce film qu’on assiste, plan après plan. Distribution des rôles, mise en place des décors, mise au point des effets spéciaux, directives du réalisateur et tourne la manivelle. Du cinéma dans le théâtre. De la magie dans la magie. Et tourne la manivelle. Trente comédiens qui font tout, qui s’agitent dans tous les sens, qui ne s’économisent jamais, qui vivent et se meuvent ensemble, sur la scène, sous l’oeil vigilant d’Ariane qu’on devine assise quelque part, maternelle, aimante et intransigeante, régissant tout.

C’est beau, c’est magique ; c’est à l’occasion drôle, féérique ou poignant. A la longue cependant, on réalise que c’est aussi un peu creux, que tout cela manque cruellement de consistance, de liant. Et puis que le discours est pesant, pas franchement subtil. Pas franchement nouveau, non plus. Alors, une fois de plus, on en vient à se dire que la grande faiblesse d’Ariane Mnouchkine, c’est encore Hélène Cixous, dont le sens des mots ne parvient jamais tout à fait à hauteur du merveilleux sens du théâtre dont sait nous régaler Ariane, la magicienne.

Cela demeure du grand théâtre, au-delà même de ce regret qui persiste. Mais voilà, l’on sait bien les sommets de bonheur que l’on peut atteindre quand Ariane Mnouchkine se saisit d’une matière moins lourde, qui ne lui soit pas d’un tel lest dramaturgique. Alors c’est cela qu’on attend, encore et encore. C’est attendre beaucoup et c’est sans doute exiger trop, mais le spectateur est roi, non ?.

Tout de même, Les Atrides, c’était il y a déjà vingt ans. On voudrait tant de nouveau grimper si haut. Il est vrai qu’Eschyle et Euripide fournissaient une matière autrement plus aérienne. Alors, forcément…

Source : Les Naufragés du Fol Espoir