Août 062009
 

René Magritte Le ViolLe débat polémique autour de la burqa a rebondi ces derniers jours, suite à une tribune de Farhad Khorsokhavar parue dans Le Monde daté du 1er août sous le titre « Ce que la burqa nous voile ».

La thèse défendue par Farhad Khorsokhavar est toute entière contenue dans la conclusion de son article : « Au lieu d’une nouvelle loi, il faudrait accroître les capacités de dialogue des communautés musulmanes de France en réaffirmant solennellement la liberté du port des symboles religieux dans l’espace public et en dissociant l’interdiction du foulard à l’école publique de sa délégitimation dans le monde externe. »

Sur son blog, Catherine Kintzler rejette cet argument selon lequel « l’antidote contre la burqa serait la banalisation et l’approbation du port du voile. », contestant l’idée d’un « foulard « transformé » qui serait « affirmation de soi plutôt que soumission au patriarcat » » et clouant au pilori un discours qui ose prétendre que « pour lutter contre un fascisme, il faut commencer par le méconnaître et par baisser les bras ». Et l’on comprend ainsi que pour cette dame, le port de la burqa est nécessairement l’expression d’un fascisme.

Et Polluxe d’en remettre une couche et de s’interroger : « A force de déplacer le curseur jusqu’où va-t-on aller ? » Pas de quartier, donc. Mais, quand on oublie que la politique est l’art du juste équilibre, un art de la nuance, ne serait-ce pas là l’expression d’un autre fondamentalisme ?

Pour sa part Nicolas raconte avoir vu, en sa bonne ville du Kremlin-Bicêtre, sur l’Avenue Eugène Thomas (un type qui a donc signé un arrêté interdisant le port de la soutane sur la voie publique de la commune), « une femme très voilée et une autre « très très » voilée (peut-être pas une burqa, mais pas loin) » Une question qu’il faudra en effet se poser, s’il faut interdire la burqa : Où commence la burqa ? Si l’on voit un oeil, c’est assez loin ou bien ?…

Sur Echopolitique, on va jusqu’au bout de la logique en regrettant que « désormais que le débat a du mal à passer pour une interdiction de la burqa, plus personne ne pense à interdire le voile […] alors que, comme beaucoup de républicains laïques le pensent, la différence entre les deux n’est qu’une question de centimètres. » – il est en passant assez amusant que pour illustrer ce qui est perçu comme le combat de la République laïque avec l’Islam radical, le billet est illustré par une image figurant un bras de fer entre la Marianne républicaine et une femme voilée, deux femmes donc, ce qui devrait finalement rassurer tout le monde, non ?

Je ne suis certainement pas dupe de la rhétorique de ce Farhad Khorsokhavar, directeur d’études à l’EHESS, mais je demeure convaincu que le clan laïc ne peut faire l’économie de se poser une simple question : Qu’est-ce qui nous dérange tant dans le port de la burqa, ou même du voile ?

Comme Nicolas, j’étais hier attablé en terrasse, rue Jean-Pierre Timbaud, à siroter une bière en bonne compagnie. Pour ceux qui l’ignorerait, la rue Jean-Pierre Timbaud, Paris 11, s’est au fil des ans transformée en galerie marchande consacrée au voile, hijab et autre chadri de luxe. Il est de fait plus que fréquent de voir descendre ou remonter la rue des femmes portant avec plus ou moins d’élégance, des voiles plus ou moins longs et recouvrants, de couleurs le plus souvent sombres, mais parfois, aussi, assez chatoyantes. Hier après-midi, justement, ce fut un festival.

J’étais en bonne compagnie, ai-je dit. Un bon pote qui a pour fâcheuse habitude d’avoir et de proférer des avis aussi personnels qu’originaux sur toutes sortes de sujet. En la circonstance, il me confia qu’il voyait beaucoup d’érotisme et de sensualité en ces femmes qui prennent un soin jaloux à réserver la vue de la moindre partie d’elle-même à leurs hommes. La féminité à son comble, voilà ce qu’il voyait, le jeu du désir, une pratique sexuelle, une soumission choisie plutôt que l’oppression d’un homme ou de Dieu.

Si l’on veut bien s’y arrêter un peu, et s’ouvrir l’esprit, une telle vision invite à la réflexion. Essayez…

J’ai moi tendance à voir en la burqa, d’abord l’oppression de Dieu, puis celle de la virilité. Sous la burqa, je voyais exclusivement le bâillon qu’il était nécessaire d’arracher, afin de libérer la parole et la plainte. Je dois aujourd’hui reconnaître qu’il y a là un préjugé, qui s’est mis doucement à branler, le préjugé d’une femme musulmane nécessairement frigidifiée, une femme musulmane qui ne serait plus d’abord une femme.

Voilà, je ne sais pas…

Mais, quoi qu’il en soit, la question demeure : Qu’est-ce qui nous dérange tant dans le port de la burqa, ou même du voile ? Est-ce uniquement l’empathie que nous éprouvons pour ces femmes ? Ou est-ce plutôt que, indécrottables laïcards (et j’en suis !) nous voulons encore et toujours bouffer du curé (ou de l’imam, ou du rabbin) jusqu’à ce qu’il ne reste en l’Homme plus une miette de l’opium religieux ? Cela ne me dérange pas, mais pourquoi alors nous faut-il avancer masquer ? Pourquoi ne plus assumer que c’est contre les Eglises que nous sommes en guerre ?

Ou bien, si finalement ce n’est que de l’empathie, et l’expression d’une solidarité humaniste, cette empathie ne repose-telle donc pas en partie sur une ignorance, ignorance de l’autre, le musulman, et en particulier de la si secrète femme musulmane ? D’ailleurs existe-t-elle, la femme musulmane, ou bien est-elle, comme sont toutes les femmes, multiples et complexes (et les hommes aussi) ? Ne sommes-nous pas en réalité en train d’oublier que sous chaque burqa se tient une femme toute entière ?

Et puis il y a tous ceux dont je ne parle pas ici, parce que ce n’est pas eux que j’interroge, bien qu’il fasse nombre. Tous ceux qui ne sont en réalité dérangés que par l’autre, l’étranger, le musulman, cet arabe qui s’est installé « chez nous », ce barbare qui ne respecte pas « nos valeurs », lesquelles sont, et on s’en souvient à propos, chrétiennes. Ce n’est pas avec eux que je débats ici, mais ils sont dans le débat, à l’affût, soyez-en sûr, ces indécrottables trous du cul réactionnaires qui applaudissent à chaque voix qui prône l’interdiction de la burqa, jubilant d’une convergence, improbable autant qu’inespérée, qui renforce leur minable combat pour « la pureté de l’Occident » et contre sa « décadence ».

EDIT : Il me vient qu’à force de vouloir favoriser la controverse, j’en oublie trop souvent de citer ceux qui, peu ou prou, partage mon avis 😉

Source : Sous la burqa, l’érotisme