Oct 132009
 

le roman d'ArnaudArf s’est engagé dans une aventure expérimentale à la fois littéraire et numérique, oùil est question du Roman d’Arnaud, oeuvre 2.0 à trois voix et quarante jours, roman video-illustré à lire et à voir sur la page Facebook du Roman d’Arnaud.

Alors, pour marquer le coup, l’ami Arf nous invite à faire la chaîne autour de l’édition numérique, avec une règle – renvoyer sur la page Facebook du Roman d’Arnaud – et trois questions :

1. Lisez vous des livres sur écran ?

2. Si oui, quel type de publication ?

3. Si non, pourquoi ?

Je réponds avec grand plaisir et sans hésitation : Non, je ne lis pas de « livre sur écran ».

Je n’en ai aucune envie et je suis bien persuadé que je n’aimerais pas ça. Une histoire d’intimité impossible entre le « lu » et moi, le lisant. D’absence de sensualité aussi… Je m’explique.

Lire un « livre » sur un écran d’ordinateur de bureau est pour moi inenvisageable. L’inamovibilité du point de lecture est absolument contraire à l’esprit de liberté qui à la lecture est consubstantiel. En tant que lecteur, je veux et j’exige de pouvoir lire partout et dans toutes les positions, chez moi, le cul sur une chaise éventuellement, pourquoi pas, mais également allongé dans un lit, vautré dans un canapé, enfoncé dans un fauteuil, avachi entre des coussins, étendu sur le sol ; mais encore assis ou debout dans le métro, dans la salle d’attente d’un médecin, sur les bords de Seine, sur un banc ou la pelouse d’un jardin public, au soleil ou à la lumière d’un bec de gaz… Bref, non seulement partout mais quand, comme et chaque fois que le désir m’en prend.

Et ce n’est pas tout. La taille et la luminosité de l’écran de l’ordinateur de bureau impose une distance entre le « lu » et moi, le lisant, bien trop importante. L’intimité nécessaire à la lecture n’a dans ces conditions aucune chance de se créer. Pour que lecture il y ait, il est indispensable de parvenir à un état de proximité extrême, fusionnel, où le monde extérieur n’existe plus, car seul alors subsiste l’univers autarcique qui se crée au point de rencontre entre les mots de l’auteur et les pensées du lecteur – point de fusion charnelle entre le lu et le lisant…

Un ordinateur portable alors ? Les problèmes précédents n’en sont jamais qu’amoindris, et pas suffisamment : l’objet demeure lourd et encombrant, la distance nécessaire est grande encore, et puis le boîtier chauffe. Le confort du livre-papier n’y est pas.

L’ebook alors ? Non plus.

D’abord parce que je n’en possède pas – et pour cause. Ensuite parce qu’il y manquera toujours l’indispensable sensualité de la page qu’on tourne. Ce geste anodin, du majeur qu’on place sur le coint supérieur droit de la page, qui descend sans appuyer, mais sans effleurer non plus, geste doux et sûr, page qui glisse et se tord, page qui se tord et qui frotte, qui se soulève, hésite entre pouce et majeur, de l’autre côté maintenant, cet autre ressemblant et chaque fois tout à fait un autre, cet autre monde qu’un simple geste découvre, geste qui se termine comme il a commencé, caressant, et qu’on répète encore et encore, inlassablement.

Le petit cri de la page qui se tourne n’est pas moins sensuel, qui d’un livre à l’autre est chaque fois différent. Et voyez-vous, ce léger chuintement de la page qui frotte contre la page, dans le silence, le soir quand ce n’est pas moi qui lit, ce bruit court et sec qui se répète et rythme la lecture de celle qui lit à côté de moi, si proche et si lointaine à la fois, ce petit son à nul autre pareil, son rythme si lent, je le trouve moi terriblement apaisant.

Lorsque j’enfonce le déclencheur de mon appareil photo numérique, rien ne se passe qui ne soit électronique, rien qui implique une mécanique un tant soit peu sonore. Pourtant, le son y est, le même que celui que faisait les appareils argentiques d’antan – il y a dix ans encore. Alors je me doute qu’une telle imitation saurait pouvoir équiper un livre numérique. Il reste que le doux, presqu’imperceptible contact entre mon doigt et le papier ne saurait se retrouver là, ni donc cette sensualité particulière qui, très proprement dit, matérialise la lecture.

Mais peut-être que Le Coucou ou bien Nefisa auront une autre perception. Ou bien Eric ou bien Monsieur Poireau ou bien Eric

Source : De la frigidité de l’édition numérique