Mar 152010
 

Ciels, Wajdi Mouawad J’attendais ce spectacle depuis cette belle nuit de juillet en Avignon durant laquelle je participai à l’inoubliable et quasi féérique aventure théâtrale que fut la représentation de l’intégrale du Sang des promesses, dans l’enceinte de la Cour d’Honneur du Palais des Papes.

Pas tout à fait l’intégrale puisque Ciels est réputé être le quatrième opus de ce que Wajdi Mouawad a nommé un quatuor et dont les trois premiers opus sont Littoral, Incendie et Forêts.

Wajdi Mouawad est un auteur de premier plan. Son verbe est puissant et son humanité palpable. Voilà un poète qui tente d’interposer sa poésie dans la spirale infernale de la guerre, où les pères envoient les fils verser le sang des fils, et où les fils portent le poids intolérable du crime des pères. Wajdi Mouawad est un fils qui a choisi de nous bombarder de ses mots et de ses visions qui sont peines culpabilité et colère, plutôt que de se saisir de la mitraillette qu’un fils ou un père mort au combat.

Wajdi Mouawad est un poète-terroriste et c’est de la guerre qu’il cherche à nous terroriser. Parce qu’elle est terrifiante. Parce que la guerre est lourdement chargée de milles et milles histoires terrifiantes qu’il faudrait toutes raconter afin qu’elles ne demeurent pas enfermer à l’intérieur des victimes, mais aussi des bourreaux – en ces intérieurs confinés où sont enfantées les guerres de demain, enfantées par les guerres d’hier comme père et mères enfantent fils et filles, de sang versé en sang versé.

Un intérieur confiné, c’est précisément l’espace théâtral dans lequel la mise en scène de Wajdi Mouawad enferment les spectateurs. Une boîte, les spectateurs au centre, sur des tabourets pivotant, figurant un jardin de statues. Quatre murs tout autour, et des niches dans les murs qui sont autant de scènes où se déroulent le fil de la tragédie qui emportent les cinq personnages – et avec eux, le Monde.

Car c’est bien à une tragédie qu’on assiste. Mais aux trois premiers opus du Sang des promesses où la tragédie était celle qui avait déjà eu lieu, tragédie de la douleur des fils et filles de la guerre, impossibilité tragique de vivre en ignorant le sang versé, ce sang qui semble une promesse de sang quand il devrait être une promesse de vie et d’innocence, répond et s’oppose ce quatrième où la tragédie est la guerre qui vient, frappe préventive des fils poètes sur les pères sanguinaires.

La piste islamiste est un leurre. Voilà ce que nous dit Wajdi Mouawad. La piste islamiste est un leurre parce que ce n’est pas l’Islam qui est en cause, mais l’impossibilité de vivre pour les fils de la guerre et qui ont reçu le sang en héritage, comme une promesse de mort plutôt qu’une promesse de vie. Et qui tuent les pères pour n’avoir pas à tuer les fils.

Et il ne s’agit ni d’excuser ni de justifier, mais de comprendre. Car comment mettre fin à la guerre si l’on en ignore les ressorts, si l’on ne cherche pas à comprendre ce qui d’une guerre ne cesse de nous plonger dans une autre, où encore et encore des pères pour prix de leur propre sang versé envoient les fils verser le sang des fils ?

Voilà pour le propos et sa mise en mots – et leur poésie est puissante – et sa mise en scène – et Wajdi Mouawad n’est pas moins talentueux et créatif en ce domaine.

Pourtant, je n’ai pas aimé.

C’est que tout (ou presque) est dit dans le premier quart d’heure. Ensuite, la mayonnaise théâtrale ne prend pas. On se retrouve à attendre quelque chose qui ne vient pas, avec le sentiment de ne pas avancer, de n’être pas emporté. Et ce n’est pas une vague intrigue policière façon Da Vinci Code qui saurait théâtraliser le propos, ni les trouvailles de mise en scène – nombreuses -, ni même la générosité des comédiens – du moins de quatre d’entre eux, parce que le cinquième, Stanislas Nordey, a trop vouloir prendre place n’en prend aucune, au point qu’il semble jouer davantage à côté de ses petits camarades qu’avec eux.

Au final, c’est la déception qui domine. Ou qui me domine, car je ne saurais malgré tout vous dissuader d’aller vous faire votre propre opinion en entrant à votre tour dans la boîte, où vous violenteront les mots d’un Wajdi Mouawad auquel je ne reprends pas mon admiration. Je suis simplement cette groupie qui découvre qu’elle n’a pas tout à fait abdiqué son sens critique.

Source : Ciels, de Wajdi Mouawad