Déc 052012
 

MediapartDonc Médiapart affirme que le ministre du budget, Jérôme Cahuzac aurait eu un compte en Suisse, fermé début 2010. C’est moi qui place un conditionnel, Fabrice Arfi, le journaliste qui a rédigé l’article, ne croit pas devoir prendre cette précaution.

L’article est sorti hier et aussitôt, comme de bien entendu, la planète Twitter s’est embrasée, chacun tirant ses conclusions, y allant de sa petite vanne, beaucoup ne s’embarrassant guère de lire l’article pour s’autoriser à lyncher publiquement Jérôme Cahuzac, dont le démenti fut pourtant aussi rapide que formel.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de commencer ce billet par rappeler la teneur de ce démenti :

Je réitère le démenti formel que j’ai apporté directement auprès de Mediapart : je n’ai jamais disposé d’un compte en Suisse ou ailleurs à l’étranger. Jamais.

Une plainte au pénal contre l’auteur de l’article et son directeur de la publication sera déposée dans les plus brefs délais pour diffamation. J’en ai donné le mandat à mes avocats.

Aucun faux document ne saurait entacher mon honneur, mon engagement au service de l’intérêt général et l’énergie que j’ai consacrés depuis plus de 30 ans par mon engagement en politique.

Médiapart que j’ai souhaité rencontrer n’a pas accepté de produire le moindre document étayant leurs affirmations délirantes. A supposer qu’ils existent, je peux par avance qualifier ces soi-disant documents comme étant de faux grossiers construits et colportés dans l’intention de nuire.

J’invite avec force l’ensemble des médias à ne pas reprendre des propos diffamatoires portant gravement atteinte à mon honneur. Je me réserve le droit de poursuivre tous ceux qui colporteraient ces élucubrations.

Il se trouve que j’ai un accès au site de Mediapart. Je suis donc pour ma part allé lire l’article en question, avant de tweeter à mon tour :

 

J’avais donc mis en copie Edwy Plennel, directeur de Mediapart, lequel m’a fait l’honneur de me répondre :

 

Une enquête, des sources, trois documents, voici donc ce que sont « les nombreux témoignages et les éléments documentaires probants » sur lesquels Mediapart écrit avoir appuyé son enquête. Pourquoi avais-je donc trouvé tout cela léger à la lecture de ladite enquête telle que rapportée dans l’article ? Pris d’un doute, et parce que Mediapart nous a  habitué à moins de légèreté, je me suis imposé une seconde lecture.

Le rapport fiscal de 2008 est celui rédigé par un agent du fisc, aujourd’hui à la retraite, Remy Garnier.

Or non seulement ledit Remy Garnier, contacté par Mediapart, n’a souhaité « faire aucun commentaire sur cette affaire », mais on apprend également que l’administration fiscale avait décidé de le « sanctionner par un « avertissement » » suite à la rédaction de ce rapport et au motif qu’il avait « consulté le dossier fiscal de Jérôme Cahuzac, sans raison apparente », décision qui « a été contestée en 2009 devant le tribunal administratif de Bordeaux par l’agent Garnier, qui a perdu en première instance ». Si « l’affaire est désormais pendante devant la cour administrative d’appel », il n’en reste pas moins qu’à ce jour la justice n’est pas favorable à cette source, qui n’en est une que via le rapport fiscal rédigé par lui en 2008.

Dit autrement, on peut à ce stade assez légitimement se demander ce qui a conduit à l’époque Remy Garnier à rédiger ledit rapport, lequel par voie de conséquence ne constitue pas un élément documentaire particulièrement probant, et ce avant même d’avoir lu dans celui-ci les éléments prétendument probants qui y figureraient.

Là encore je m’autorise un conditionnel parce que Mediapart ne dit pas avoir vu ce document. On apprend seulement qu’il « dort actuellement dans les archives du tribunal administratif de Bordeaux dans un dossier portant le numéro 0 901 621-5 ». Aussi soit Mediapart dispose effectivement d’une copie de ce document, mais on peut alors s’étonner que celle-ci n’ait pas été mis en ligne ainsi que Mediapart procède d’ordinaire, soit Mediapart se contente de nous rapporter ce que lui en ont dit ses sources, mais on peut alors s’étonner que Mediapart ne prend pas même soin, sans même les nommer, d’évoquer les dites sources.

Quant à ce qui nous est rapporté du document lui-même, on apprend que son rédacteur,  Remy Garnier donc, « expliquait avoir agi de la sorte après avoir obtenu des informations « de plusieurs sources extérieures à l’administration fiscale« , qui « convergent vers les mêmes conclusions« . À savoir : « Alors qu’il exerce des activités au cabinet de Claude Évin, ministre de la santé, (Jérôme Cahuzac) ouvre un compte bancaire à numéro en Suisse » ». Plusieurs sources extérieurs à l’admnistration fiscale, donc. Mais : « L’inspecteur précise toutefois que les « constatations effectuées » sur les déclarations fiscales de Jérôme Cahuzac « ne permettent pas de valider ni d’infirmer ces renseignements » ». Des sources inconnues et qui plus est non validées, donc.

Oui, tout cela semble particulièrement léger. Car si l’on résume, des sources rapporterait qu’un document rédigé par un inspecteur du fisc n’en ayant pas l’autorisation et sur la base de sources extérieures non confirmées par une enquête préliminaire évoquerait un compte en Suisse. Oui , à peu près aussi léger que du vent.

 Mais ce n’est que la première partie de l’article de Mediapart. La seconde affirme que Remy Garnier « disait vrai». Que « selon les éléments recueillis par Mediapart ces dernières semaines, Jérôme Cahuzac a bien ouvert un compte en Suisse : à l’UBS de Genève, précisément ».  On a hâte alors d’en savoir plus sur ces éléments et leur provenance.

« Ce qui m’embête, c’est que j’ai toujours un compte ouvert à l’UBS. Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, UBS, c’est quand même pas forcément la plus planquée des banques. » C’est là donc la fameuse conversation de 2000 dont parle Edwy Plenel et dont on nous dit que « il existe une trace ». Quelle trace ? Ou est-elle ? Là encore, Mediapart se garde d’en dire d’avantage et, là encore, on peut s’en étonner tant nous avons l’habitude que le site soit plus explicite, moins avare d’éléments probants.

« Les avoirs cachés auraient été alors transférés à l’UBS de Singapour par le truchement d’un complexe montage financier offshore, selon des sources informées du dossier. » Tiens, des sources informées. Tiens, un conditionnel…

Que reste-t-il des éléments documentaires probants ? L’acte notarié de 1994.

Médiapart nous apprend que Jérôme Cahuzac aurait alors financé l’achat de son appartement via un apport de 600 000 euros. Et alors ? C’est Mediapart qui en parle le mieux : « Rien ne permet aujourd’hui de dire si l’argent provient du compte suisse, mais la question semble avoir effleuré l’esprit de l’inspecteur du fisc à qui il n’a pas été possible de vérifier ses soupçons en 2008. »

Et puis c’est tout. Et puis c’est tout ?!
EDIT : Monsieur Cahuzac a publié sur son blog le détail du financement de cet appartement … 

Je maintiens donc (et d’autant plus) : J’ose espérer que Mediapart en a un peu plus que ça sous le pied. Parce que là, c’est plutôt léger…

Comme est légère, excessivement légère, cette autre partie de l’article dans laquelle on nous apprend là chose suivante : « À la question, que nous lui avons posée, de savoir s’il était bien allé à Genève début 2010, le ministre a éludé, affirmant : « Pas davantage qu’à Turin, Milan ou New York. » Sans en dire plus. » Puisqu’ils ont visiblement un peu de mal à entendre, je précise pour Mediapart et Edwy Plenel la réponse de Jérôme Cahuzac. Le Monsieur n’a pas éludé, le Monsieur vous a répondu que « Non ! » Que voulez-vous que le Monsieur vous dise de plus ?

Pour terminer, je vais tout de même préciser qu’il ne s’agit pas pour moi de défendre à tout prix Jérôme Cahuzac ou de prétendre que Mediapart serait un torchon. Je dis seulement qu’à ce stade je ne vois rien qui puisse me permettre de ne pas en rester à la présomption d’innocence du premier, et que j’ose espérer que le second en a un peu plus sous le pied, parce qu’on ne livre pas aux chiens l’honneur d’un homme – comme disait le meilleur ennemi d’Edwy Plenel -, pas avec tant de légèreté.

On voudra bien enfin noter que la référence finale à Pierre Béregovoy n’est pas tout à fait fortuite, ni dénuée de sens.