Août 212013
 

AutocritiqueJ’aime beaucoup m’en aller lire les blogs de mes petits camarades du Front de Gauche, il y règne ce petit parfum « réunion cellule » que j’aime tant. Pour tout vous dire, c’est jouissif tant ça fleure bon les années 80. Ça rivalise de culture politique. Ça cite Marx ou Mao. Ça s’auto-critique et s’auto-congratule. Ça discute stratégie politique. Ça n’est jamais d’accord sur rien. Ça complote. Ça gueule et ça s’engueule. Ça se réconcilie toujours. Ça découvre qu’on est d’accord sur une chose quand même : les socialos sont des traîtres. Pas tous quand même. Pas localement. Et puis il y a bientôt des élections… La question des alliances se pose. Durement. Les purs et les réalos s’affrontent, se déchirent et volent les noms d’oiseaux. Ça gueule et ça s’engueule. Encore. Toujours. Une ambiance de franche camaraderie. J’ai sans doute l’air un peu ironique, mais j’adore ça. Tout ça. Cette passion désintéressée, dévouée même . Ces cœurs à vifs, blessés et saignants à la somme des injustices endurées pas leurs frères humains. Cœurs aimants et sincères. Cœurs insoumis et en colère. Cœurs battants. J’ai été trop lyrique déjà, sans doute, je vais aller plus loin encore et vous confier que si je les aime tant c’est que je sais que ceux-là ont l’étoffe des héros. Ils ont été, sont et seront mes camarades – et ce quoi qu’eux-mêmes en pensent quand j’ai la dent un peu dure à leur sujet, moi le socialo… Fin du prologue.

Aujourd’hui c’est Nathanael qui nous parle d’éducation populaire, de parti guide et d’autres joyeusetés. Parce que si le Parti Communiste Français l’a mis en sourdine depuis déjà pas mal de temps sur cette approche, le Parti Gauche a décidé de remettre ces thématiques à l’ordre du jour – ce qui, si on y réfléchit un peu, est plutôt cocasse. Et j’ai trouvé ça très intéressant, très révélateur du paradoxe dans lequel patauge nos amis de la « vraie gauche » – la vrauche, ainsi que la baptise ce matin le vilain Juan. Terrible paradoxe : ils ne cessent de se réclamer du peuple, mais le peuple ne les réclame que très timidement.

Voici ce qu’écrit le camarade Nathanael :

Alors, et l’éducation populaire dans tout ça ? La question se pose dès lors que l’on confond, ce qui est fréquent, éducation et enseignement. L’enseignement ce serait d’inculquer la doctrine, pour ne pas dire la doxia, aux masses ignares. Ce n’est pas notre démarche, à partir de ce que j’ai écrit plus haut. L’éducation consiste, a contrario, à donner des outils d’analyse du réel dont les bénéficiaires feront bien ce qu’ils voudront au final. C’est le pari radical de l’intelligence. C’est notre manière à nous de mener la bataille culturelle en permettant à la classe ouvrière de se réapproprier ses propres racines, ses codes, ses grandes réalisations… Le tout en les resituant dans le contexte actuel.

Ces outils sont autant théoriques, pour comprendre le réel, que pratiques, pour pouvoir intervenir de manière plus efficace. C’est là tout l’enjeu de nos formations militantes qui ne sont pas des séances de lavage de cerveau mais – tout au contraire – de mise en exergue de l’esprit critique, surtout de critique de nous-mêmes d’ailleurs.

Au fond, l’enjeu demeure, pour nous, de mener la révolution dans les têtes avant que le peuple, conscientisé de lui-même, ne décide de la faire dans les structures. Bref, nous préparons le terrain en aidant les cent fleurs à éclore, pour citer Mao. Parce que parler de révolution culturelle sans citer le grand timonier, merde quoi.

Tout est là, dans cette conviction que si cette gauche aussi radicale que supposée pure est depuis des décennies très majoritairement rejetée par le peuple, cette «classe objectivement dominante», c’est qu’ils n’auraient pas les outils pour comprendre le réel, pour comprendre ce qui est pourtant leur réalité, à tous ces braves gens.

Et si au contraire ils les avaient bel et bien, ces outils ? S’ils étaient parfaitement conscientisés d’eux-même et du monde ? Que faudrait-il alors en conclure ?

Et si la critique du système et de ses structures n’étaient finalement pas le problème, si cette critique était en réalité largement partagée – depuis le temps – et si en vérité ce qui faisait obstacle était qu’ils n’étaient pas convaincus, les gens, ces gens pas si intellectuellement démunis, pas du tout convaincus par l’alternative qui leur est proposée, qui est soumise à leur approbation et qu’ils ne cessent depuis des décennies de rejeter, parce qu’ils n’y croient pas, parce que munis de leurs petits outils ils comprennent que l’alternative systémique, aussi pure soit la critique du système capitaliste, n’est pas sérieuse, pas suffisamment aboutie ?

Et si la gauche n’avait toujours pas fait le boulot ?

Et si la gauche, éperdue d’amour pour sa propre pureté, n’avait jamais fait que la moitié du boulot, celui de la critique du système ? Beau boulot, faut avouer. Très convaincant. De plus en plus convaincant même, au fil des ans. Infiniment affinée une décennie après l’autre. Un premier chapitre écrit et réécrit, chaque point ou chaque virgule minutieusement soupesés, chaque mot admirablement choisi et magnifiquement calligraphié, un travail d’orfèvre. Du bel ouvrage ça, Madame ! Sacré boulot, camarade ! Mais le second chapitre ?

Le système capitaliste est une saloperie, soit. Bon à mettre à la poubelle, c’est entendu. Une révolution systémique doit être menée, on est d’accord. Mais on fait quoi ensuite ? Ça va marcher comment, concrètement, après ? Parce que là, quand même, on voit pas bien, nous le peuple, masses outillées mais pas franchement éclairées.

Et si le «pari radical de l’intelligence» n’était que comprendre enfin cela, que les masses conscientisées feraient bien la révolution… et la feront avec nous à l’instant même où aura été enfin écrit, sérieusement écrit et de manière crédible, l’indispensable second chapitre, celui qui décrira l’alternative et éclairera enfin l’avenir – parce que cent fleurs n’écloront jamais dans l’obscurité. Ni même une seule. 

Parce que, pas si con, le peuple a en réalité bien compris que la révolution ne peut avancer que sur ses deux jambes, l’une qui fait le premier pas et renverse le système, l’autre qui fait le second et en érige un autre, meilleur. Pas difficile de comprendre que tu ne tentes pas un grand bond en avant sur une seule jambe, en espérant que l’autre va bientôt finir de te pousser pour te permettre de te réceptionner.

Et si en attendant donc, en nous attendant, nous la gauche, le peuple pas si con choisissait en conscience la voix réformiste, ce pis-aller social-démocrate, aussi désespérant que nécessaire, parce qu’il faut bien limiter les dégâts, parce que ça ne peut tout de même pas être que la droite sinon rien – et donc tant pis pour la pureté ? 

La vraie gauche. Vraie, sans doute. Si ça peut faire plaisir. Vraie mais irréelle. Incomplète – du moins aux yeux du peuple.

Non, pas si con. Le peuple.

 

Crédit image : TRAIT PORTRAIT