Mar 212013
 

dream-titeufJ’ai été atterré par la prestation de Jean-Luc Mélenchon, ce matin sur France Info. Malgré ce que j’ai dit et écrit à son propos sur lui, je n’imaginais tout de même pas qu’il en était rendu là, à ce vide d’un discours politique que ne parvient plus à dissimuler ses aboiements et ses rodomontades.

Et pourtant, le Front de Gauche est politiquement outillé. J’écrivais hier que le travail programmatique réalisé ces dernières années, sous l’impulsion du Parti de Gauche notamment, et aussi de Jean-Luc Mélenchon, était tout à fait considérable, porteur d’espoirs pour toute la gauche. Mais voilà, une campagne présidentielle est passée par là et Jean-Luc Mélenchon s’est trouvé grisé d’obtenir devant la foule des meeting de campagne une reconnaissance de lui-même qu’il n’était jamais parvenu à obtenir durant une longue carrière politique, passée pourtant à l’intérieur même du système. Sa blessure : François Mitterrand, cet homme qu’il idolâtrait, n’avait jamais consenti à l’adouber.

Intéressante est à ce titre cette confidence qu’il a faite il y a quelques jours : « Hollande me méprise et je le lui rends bien ». Tout est là, dans la même phrase, la blessure et la revanche. L’outrance aussi. « Hollande me méprise » : entendez qu’il l’ignore et que ça ne date pas d’hier, que l’ancien secrétaire national du PS, aujourd’hui président de la République, a toujours sous-estimé sa compétence à lui, Jean-Luc Mélenchon, qui a pendant si longtemps arpenté les couloirs de Solférino sans recevoir toute la lumière qu’il méritait. « Et je le lui rends bien » : je ne me laisse pas faire, je suis debout, je suis toujours là et je lui ferai payer pour ce qu’il ne m’a pas donné, de l’attention, la reconnaissance de mes talents. Et puis l’outrance : moi, Jean-Luc Mélenchon, je m’autorise à mépriser le président de la République, cet homme élu au suffrage universel, mis en place par le peuple.

En somme, il est arrivé à Jean-Luc Mélenchon ce qui est arrivé à Ségolène Royal, cinq ans plus tôt. L’amour que leur a porté la foule le temps d’une campagne présidentielle les a abîmé l’un comme l’autre, à cinq ans d’intervalle. C’est que probablement l’un et l’autre avait en commun cet ego blessé, chatouilleux à l’extrême. L’un comme l’autre se sont enflammés au feu des foules et de leurs cris d’amour, ils en sont ressortis grièvement brûlés. Le Parti Socialiste avait eu besoin d’écarter Ségolène Royal pour se reconstruire, se remettre à faire de la politique, le Front de Gauche devra en faire autant et le plus tôt sera le mieux.

Dans son billet du jour, Juan nous dit qu’il ne faut pas mépriser Mélenchon. Il a raison, ce n’est pas le sujet. Le sujet est de comprendre qu’il est aujourd’hui devenu un obstacle pour que se diffusent les idées portées par le Front de Gauche. C’est ce qu’écrit Juan en évoquant les outrances répétées de Jean-Luc Mélenchon. Une des dernières en date, survenu après le coup du mépris, visait Bernard Cazeneuve, le successeur de Jerome Cahuzac au ministère du budget. Bernard Cazeneuve venant du ministère des affaires européennes, Mélenchon crut bon de noter qu’ainsi « la laisse serait plus courte ». Or cette outrance là aussi dit beaucoup de ce qui se trame dans le cerveau de cet homme : mes adversaires socialistes sont des chiens apprivoisés, je suis moi un chien enragé.

Et ainsi n’était-ce pas tout à fait par hasard que j’évoquais les aboiements de Jean-Luc Mélenchon. Ils sont devenus la forme et le fond de son discours. Les autres étant de gentils toutous apprivoisés, il serait lui le pitbull et dont les grognements et les aboiements furieux seront l’expression brute et brutale de la colère du peuple. Il a raison, le peuple est en colère – et le peuple a raison d’être en colère. Il a même raison de penser qu’afin de rompre l’éloignement entre le peuple et ses élites, les hommes politiques se doivent d’être un peu moins lisses, un peu plus accessibles aux émotions, ressentir eux aussi la légitime colère du peuple, et aussi ses souffrances et ses frustrations, et aussi ses aspirations à une vie meilleure, à un monde meilleur, à des lendemains qui chantent – comme on ne craignait pas de le dire, il fut un temps, ce temps où être de gauche ne se réduisait pas à serrer les poings.

Tiens, revenons un instant à notre camarade Gauche de Front Bas. Très intéressant est son billet du jour. Réduit à sa plus simple expression – un titre, un dessin – et pourtant particulièrement révélateur de cette nouvelle manière de s’affirmer de gauche. Un titre : Ayrault nous fait une crise de virilité. Un dessin : Titeuf est en pyjama et regarde avec inquiétude ce qu’il y a dans son pantalon. Traduisons : en avoir une grosse, voilà de quoi il s’agit désormais. Voilà qui donne ou pas un brevet de « vraie gauche », t’es sévèrement burné ou tu ne l’es pas. Je le disais hier, le gauchiste c’est plus ce que c’était, ma bonne dame !

Il faut écouter l’intervention de Jean-Luc Mélenchon ce matin sur France-Info, se rendre compte qu’il n’était là que pour montrer que non seulement il était en colère – comme le peuple -, mais également qu’il en avait une bonne paire – contrairement aux élites. Des aboiements et des rodomontades. Voilà tout. Où était le responsable politique ? Disparu.

C’est que j’ai en effet la faiblesse de penser que le responsable politique est cet homme ou cette femme qui apporte ses réponses à la colère, aux souffrances et aux frustrations du peuple, qui ne se contente pas de s’en faire complaisamment la caisse de résonnance. Oui, j’ai même la faiblesse de penser que prétendre qu’il suffirait d’avoir une grande gueule pour résoudre les problèmes est une forme de populisme – ça y est, je vais me faire engueuler, tant pis…

Il a été interrogé sur la recommandation du Conseil d’Etat à propos de la taxe à 75%. Il a répondu : « Le Conseil d’Etat n’a pas a formuler d’opinion sur le niveau à partir duquel une imposition serait confiscatoire. » Il a parfaitement raison. Et ? Rien. Que faut-il faire, s’asseoir sur la recommandation du Conseil d’Etat ? demande la journaliste. Il ne répond pas. Il dénonce, le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel et «l’autre là-bas à la Cour des Comptes » qui prétendent définir des critères objectifs dans ce qui relève de l’appréciation politique ? Et ? Rien. Que doit faire le gouvernement fasse à cette situation ? Maintenir un taux de 75% qui sera retoquer une nouvelle fois par le Conseil Constitutionnel ? Il ne le dit pas. Il préfère demander « Est-ce qu’il est légitime de se gaver d’argent ? » Bah non. Et alors, on fait quoi ? Il propose qu’on fasse quoi le pitbull ? Rien, il aboie : « L’idée de niveaux confiscatoires est une invention de bourgeois et de la propagande de droite. » Il a raison. Et ?

Il est ensuite interrogé sur le départ de Jérome Cahuzac du gouvernement. Et Jean-Luc Mélenchon de tenir un propos embrouillé dans lequel il nous faut comprendre que pour lui l’affaire est entendue, Cahuzac est coupable, sans dire précisément de quoi mais il est coupable. Et de déclarer : « Tout le monde a plus de tendresse pour un suspect de fraude fiscale et de détournement – euh je ne sais pas de quoi il est inculpé, je ne veux pas dire une parole de trop… » Trop tard. Jean-Luc Mélenchon, qui n’est pas né de la dernière pluie, sait pertinemment non seulement que l’on ne parle plus depuis longtemps d’inculpation mais de mise en examen, mais qu’en sus Jerome Cahuzac n’est pas mis en examen, une information judiciaire a été ouverte le concernant. Peu importe, il faut dénoncer les élites, donc Cahuzac : « Il y a une espèce de tendresse pour lui que je n’ai pas entendu lorsqu’il était question de l’amnistie des syndicalistes. » D’un côté un présumé innocent, de l’autre des syndicalistes qui ont été condamnés, ou l’art de tout mélanger, comme s’il était impossible d’avoir à la fois la dignité de respecter la présomption d’innocence de l’un et de reconnaître la nécessité républicaines d’amnistier les autres. Mais voilà, « Jérome Cahuzac a saigné la France à blanc quand il était ministre du budget » ou comment dire qu’un différend politique autorise à s’affranchir de toute dignité et de tout respect, comment dire que puisqu’on a perdu sur le terrain politique, on va s’en prendre à la personne et au besoin s’acharner, faisant fi de tout ce qui s’appelle la justice de la République. François Mitterrand parlait des chiens, à propos de Pierre Bérégovoy, ceux auxquels on avait « livré un homme, et finalement sa vie ». Jean-Luc Mélenchon aura finalement rejoint la meute.

Interrogé à propos de la motion de censure déposé par l’UMP contre le gouvernement, il nous fait le coup facile de l’UMPS, ils sont d’accord sur tout et conduise la même politique, voilà tout. Le genre de discours réducteur et simpliste qui n’avait cours jusque là, dans la classe politique, qu’à l’extrême-droite. Atterrant !

Puis est venu la question de Chypre. Jean-Luc Mélenchon commence par dire, sans faire de détail, qu’il était contre ce qui avait été proposé et rejeté par le parlement chypriote. Très bien. Que faudrait-il faire ? C’est ce que demande la journaliste. Mais Mélenchon ne répondra pas. Il préfère se lancer, doigt menaçant pointé devant lui, dans une tirade totalement délirante. Je vous laisse en juger :

Ce Monsieur Mario Dragui, le président de la banque là, qui lui a donné le pouvoir de prendre la décision d’arrêter de fournir Chypre en euros ? Qui ? Qui ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Depuis quand un gars qui dirige une banque peut menacer une nation entière de l’étrangler ? Et vous vous figurez que moi qui suis candidat à diriger ce pays, je laisserais ce type décider pour ma patrie de ça. Je vous préviens d’une chose, nous aurons à choisir, ou bien on réforme les statuts de la banque centrale, ou il faudra passer par-dessus bord l’euro. Parce qu’il est pas question de s’offrir une bombe atomique pour se protéger contre les agressions militaires et de n’avoir aucune protection contre une agression du fric. Et je tiens à dire encore une chose. En France, nous avons la capacité d’émettre des pièces et des billets en euro. L’usine est en France. Je mets au défi ce Monsieur Dragui d’essayer seulement de s’approcher de la France.

La journaliste – C’est-à-dire ? Vous pensez que si c’était nécessaire, il y aura une action autour de cette usine là ? C’est la menace finalement, à mots couverts, que vous faites ?

Oui, je menace tous ceux qui menace mon pays. Je les préviens qu’avec une équipe comme la mienne, avec le Front de Gauche, personne n’approchera de la France. Voilà ce que j’ai à dire. Et s’ils croient qu’ils vont faire leur cahier de brouillon là-bas, chez les chypriotes, pour ensuite venir chez nous […] Et en plus ils ont la chance d’avoir une équipe au gouvernement qui est faible, c’est-à-dire des gens qui sont les bénis oui-oui de Madame Merkel, des Etas-Unis d’Amérique et de tout ce qu’on veut.

[…]

Je n’ai pas de rancœur, ni de bataille personnelle avec eux [Montebourg et les socialistes]. Je leur dis qu’ils doivent entendre le cri du pays qui souffre. Ils ne l’écoutent pas. Il leur en cuira !

Voilà à quoi ce résume aujourd’hui le projet politique de Monsieur Mélenchon. Les autres sont des faibles, mais lui en a une grosse. Les autres sont de bons toutous tenus en laisse, lui un gros chien enragé qui saurait mordre – la preuve, entendez comme il sait aboyer, et montrer les dents, de loin… Et cela suffirait ? Les Français sons supposés imaginer que cela suffirait pour régler le chômage et la pauvreté ? Pour restaurer l’égalité des chances et établir la justice sociale ? 

Et je passe sur la posture patriotique, la France ce petit village gaulois menacé par l’étranger, on en viendrait vite à me dire insultant.