Jan 042012
 

TVA sociale ou TVA anti-délocalisationVoici donc le grand retour de la TVA « sociale ».

La droite avait déjà tenté de nous l’infliger au lendemain de l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, mais avait dû y renoncer entre les deux tours des législatives, tant le rejet des Français s’était fait lourdement sentir dans les urnes. Ils y reviennent donc en cette fin de mandature et il est assez aisé de comprendre pourquoi ils y tiennent tant : il s’agit typiquement d’une mesure de droite.

Pour être clair, il s’agit de compenser une baisse des charges sociales par une augmentation de la TVA. Donc de transférer une partie du financement de la protection sociale, depuis le coût du travail – supporté par les entreprises – vers les prix à la consommation – supportés par les consommateurs.

Mais revenons d’abord sur le raisonnement économique qui est à l’origine de cette idée de TVA « sociale » :

1- la TVA est un impôt qui s’applique à tous les produits vendus en France, importés ou produits localement ;
2- les charges sociales quant à elles ne pèsent que sur les entreprises françaises ;
3- si donc on diminue les secondes en compensant par une augmentation des premières, on renforcerait la compétitivité des entreprises françaises, on relancerait la production et on lutterait contre les délocalisation.

En sus de cet argumentaire économique plus que bancal, la droite s’est lancée dans une justification politique carrément mensongère. D’un côté, afin de justifier qu’une telle mesure réduirait bel et bien le coût du travail, on nous dit que les entreprises paieront moins de charges sociales sur les salaires qu’ils versent à leurs salariés. Mais d’un autre côté, afin de répondre aux craintes qu’en augmentant la TVA on ne porte un coup dur au pouvoir d’achat des français, on nous explique que  les salariés paieront moins de charges sociales sur leurs salaires. Deux arguments largement contradictoires et qui jouent en réalité sur la confusion entre charges patronales, payées par les entreprises, et charges salariales, payées par les salariés.

C’est évidemment les charges patronales qui bénéficieront de la mesure. On ne pourrait dans le cas contraire parler de baisse du coût du travail – c’est-à-dire du coût de revient pour l’entreprise d’un salarié. D’ailleurs, la droite parle désormais, et très opportunément, de « TVA anti-délocalisation » : il s’agit bien d’alléger les charges des entreprises et d’en faire payer la note aux consommateurs – et les salariés, quant à eux, n’y gagneront rien.

Cette TVA sociale est donc constituée de deux mesures largement indépendantes : d’un côté l’allégement des charges patronales – et c’est bien pourquoi il serait en réalité plus juste de parler de TVA patronale, plutôt que « sociale » -, d’un autre côté, le financement de cette baisse par une augmentation de la TVA.

Envisageons donc ces deux mesures, l’une après l’autre.

Pour ce qui concerne l’allégement des charges patronales, ce n’est de loin pas la première fois que la droite s’essaie à une mesure de ce type, sans avoir jamais rencontré le moindre succès : les salaires ne s’en sont jamais trouvés augmentés, les entreprises françaises n’en ont jamais été plus compétitives, les délocalisations n’en ont jamais été freinées, pas plus que le rythme des licenciements ou la progression du chômage.

Soyons justes : il est vrai que chaque fois les profits ont eux eu largement l’occasion de poursuivre leur augmentation constante.

On notera à ce sujet que les socialistes ont toujours quant à eux proposé, et proposent encore, de cibler les allégements de charges sur les entreprises qui en ont besoin, par exemple les petites et très petites entreprises, ainsi que le remboursement de tels allégements aux entreprises qui choisiraient ensuite de délocaliser. Rien de tel bien entendu dans le projet de l’UMP : on va continuer d’arroser uniformément l’ensemble des entreprises, en pure perte et sans contre-partie.

Pour ce qui concerne le financement de ce cadeau aux entreprises, c’est-à-dire l’augmentation de la TVA, notons d’abord que Fillon avait en son temps évoqué une augmentation de cinq points, ce qui porterait le taux normal de la TVA à près de 25%,  un taux parfaitement délirant !

Certes, toute l’augmentation ne se retrouve pas mécaniquement dans une augmentation des prix. L’expérience montre cependant que 60 à 70% de l’augmentation de la TVA se répercute effectivement sur les prix à la consommation, ce qui pénalise d’autant le pouvoir d’achat des ménages. Pour les plus pauvres, cela correspondra à des fins de mois encore plus difficiles. Notons qu’à ceux-là il sera nécessaire de travailler beaucoup plus – si même l’opportunité de travailler leur est donnée – pour simplement vivre moins bien…

Ainsi, d’une part on allège le coût du travail avec pour conséquence l’augmentation des profits des entreprises, et d’autre part on augmente la TVA avec pour conséquence une diminution du pouvoir d’achat des ménages.

Une mesure typiquement de droite, je vous dis.

Mais ce n’est pas tout. Il faut également noter qu’augmenter la TVA c’est augmenter l’impôt le plus fondamentalement injuste : non seulement c’est un impôt non redistributif – il est proportionnel, contrairement à l’impôt sur le revenu qui est lui progressif (plus votre revenu est important, plus vous payez plus d’impôt) -, mais en sus c’est un impôt qui ne pèse que sur la part consommée des revenus, et non sur la part épargnée – plus votre revenu est important, plus votre capacité d’épargne est grande et moins donc vous payez proportionnellement de TVA. 

Soyons didactique et donnons un exemple. François gagne 1000 € et Nicolas gagne 5000 € :

– L’impôt sur le revenu est un impôt progressif : François est imposé de 50 €  et Nicolas paie 500 €. Le taux d’imposition du premier est de 5%, celui du second est de 10%. Tout de même, il reste 4500 € à Nicolas, tandis que François doit s’efforcer de vivre avec 950 €. On peut commencer alors à parler – un peu – de justice fiscale, en ce sens qu’une fiscalité progressive permet de rééquilibrer un peu des écarts de revenus considérables ;

– La TVA est un impôt seulement proportionnel : chaque fois que François ou Nicolas dépense 100 €, ce sont 20 € d’impôt qui ont été prélevé. L’un comme l’autre sont imposés à 20% (19,6% en réalité, mais qui pourrait donc bientôt devenir 25%). C’est un impôt injuste, en ce sens que Nicolas continue de gagner cinq fois plus que François ;

– En réalité c’est bien pis que cela. Nicolas n’a pas besoin de dépenser 5000 € pour vivre confortablement, il peut épargner. Chaque mois, il met disons 1000 € sur un livret A, sur une assurance vie, sur une complémentaire retraite, sur un plan épargne logement, etc… et ne dépense donc « que » 4000 €, quand François dépense en totalité les 1000 € qu’il a péniblement gagné et qui ne lui suffisent pas vraiment pour vivre dignement. Au final, via la TVA, le taux d’imposition de François est plus élevé que celui de Nicolas. La TVA est un impôt doublement injuste.

Ainsi, mettre en place une TVA dite sociale, ce sera d’une part favoriser les entreprises et leurs profits via la baisse des charges patronales, en finançant cette baisse sur le dos des ménages qui seront davantage taxés. Et ce sera d’autre part, au sein des ménages, mettre davantage à contribution les ménages les plus défavorisés.

Une politique de droite. La même que celle qui est mise en oeuvre dans notre pays depuis dix ans. En pire.

Connaissant les résultats obtenus depuis dix ans – explosion de la dette, creusement record des déficits sociaux, déficit record du commerce extérieur, accroissement de l’échelle des salaires et de la fracture sociale, augmentation constante du chômage et des précarités… -, on peut parier que ce sera la même chose avec la TVA sociale. En pire.

 

Pour aller plus loin, je vous suggère :

– un excellent article de Olivier Bouba-Olga, économiste, Maître de Conférences à la Faculté de Sciences Economiques de l’Université de Poitiers et chargé d’enseignement à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris : La TVA sociale anti-délocalisation anti-chomage non inflationniste qui va faire payer les méchants étrangers ;

– les points de vue de Liêm Hoang-Ngoc, économiste au CNRS, et de Christian Saint-Etienne, membre du Conseil d’analyse économique, donnés dans Le Monde en juin 2007 : Pour ou contre la TVA « sociale », le point de vue de deux économistes.