Nov 072012
 

Ainsi le gouvernement a décidé d’augmenter la TVA. Bon, ça prendra effet au 1er janvier 2014. Bon, mais le gouvernement a décidé d’augmenter la TVA.

« Comme la droite ! » s’empresse de hurler tout ce que la blogôchsphère (si je puis me permettre) compte d’intégristes enfarinés.

« Trahison ! » vomissent-ils avec délectation.

Vraiment ?

La TVA est l’impôt le plus injuste qui soit, c’est un fait. C’est un impôt proportionnel quand la gauche est censé lui préférer l’impôt progressif, parce qu’il touche plus les hauts revenus, parce qu’il est donc plus redistributif. C’est un fait et c’est donc un principe.

Seulement voilà, on peut vouloir regarder juste un petit peu plus loin que le bout de son nez (rouge, forcément), sortir du principe et de son caractère nécessairement réducteur, évidemment simpliste, et comprendre alors qu’il n’est pas tout à fait identique d’augmenter la TVA de plusieurs points (ainsi que l’avait voulu la droite) et l’augmenter de quelques dixièmes de points et de manière ciblée (ainsi que l’a donc décidé la gauche).

D’abord parce que ce n’est pas la même chose en valeur absolue. Il est ainsi intéressant de comprendre qu’augmenter la TVA de 19,6% à 20%, donc de 0,4 points, conduit à ce qu’un produit que l’on payait 100 euros pourrait être désormais payé 33 centimes de plus – pour peu bien entendu que ce produit soit soumis à la TVA et que le marchand aura choisi de répercuter cette augmentation sur le prix du produit fini, donc sur le consommateur final. 

Pour peu que ce produit soit soumis à la TVA. Mais les loyers ne sont pas soumis à la TVA. Or le loyer consomme une part de plus en plus grande des budgets des ménages, et évidemment d’autant plus que ces ménages ont des revenus modestes. Ce qui dit autrement correspond à ce que la hausse de la TVA sera davantage prélevé sur les plus hauts revenus, ceux qui disposent d’un revenu disponible plus important.

Pour peu que ce produit soit soumis à la TVA. Or les produits de première nécessité ne sont pas soumis au taux normal de TVA, mais au taux réduit, lequel justement est en baisse et porté de 5,5% à 5%. Il s’agit des produits alimentaires – tout ce qu’on boit et mange à l’exception des bonbons, chocolat, margarine, caviar – mais aussi des équipements et services pour handicapés, des abonnements aux gaz et à l »électricité, des repas servis dans les cantines scolaires et de la fourniture par réseau de chaleur produite à partir d’énergies renouvelables. Autant de produits qui consomment d’autant plus le budget d’un ménage que celui-ci est serré, c’est-à-dire d’autant plus que ce ménage est contraint de se limiter à ces dits produits de première nécessité. Pour tous ces produits, 100 euros dépensés coûteront désormais 47 centimes de moins…

Ainsi donc, les ménages défavorisés – et je crois savoir qu’au-delà des principes c’est d’eux que la gauche se préoccupe – dont le budget est largement consommé par le loyer (non soumis à la TVA) et par les produits de première nécessité (bénéficiant d’un taux réduit en baisse) seront les moins touchés par la hausse de la TVA.

Et ces ménages ne seraient en sus touchés que pour peu aussi que l’augmentation de la TVA soit répercutés sur les prix à la consommation. Or c’est là que le fait d’augmenter la TVA de quelques dizièmes de point n’est pas du même ordre que ce qu’avait voulu la droite (et sur lequel la gauche est effectivement revenue). Les économistes savent qu’une augmentation de la TVA n’est jamais intégralement répercutée sur les prix à la consommation, parce que les prix sont soumis à la concurrence, parce que la fixation d’un prix n’est pas un simple calcul de couts et de marges, parce qu’une politique de prix est soumis à des considérations psychologiques : on préfère un prix rond (1€, 10€ …), un prix arrondi (4€50 plutôt que 4€48 ou 4€52), un prix « en 9 » (9€90, 99€ ou 499€ …).

Ainsi, du fait de la hausse du taux normal de TVA de 19,6% à 20%, il est assez peu probable qu’un produit à 1€ passe à 1€03, ou qu’un produit à 4€50 passe à 4€51 ou 4€52, encore moins qu’un produit à 99€ se trouve désormais vendu à 99€33…

Dit autrement, 4 dixième de point de TVA en sus correspond en réalité à une augmentation suffisamment réduite pour qu’elle ne pèse que très marginalement dans l’évolution globale des prix des produits concernés, évolution qui est par ailleurs soumises à bien d’autres impératifs dans laquelle cette augmentation se retrouvera plus que largement diluée, impératifs que sont les pris mondiaux des matières premières, les coûts du travail, la fiscalité, la pression concurrentielle, par exemple…

Sans compter qu’établir les taux de TVA à 5%, 10% et 20% a pour conséquence pas tout à fait accessoire de mettre en place une fiscalité bien plus lisible.

Sans compter que le taux intermédiaire de la TVA, qui passe de 7% à 10%, concerne les transports de voyageurs, les médicaments non remboursables (les autres médicaments sont au taux de 2,1%), les sites culturels, les cinémas et fêtes foraines, l’hébergement en hôtel ou en location meublée, les produits agricoles non transformés et non destinés à l’alimentation humaine, le bâtiment et la restauration, autant de produits qui ne sont pas spécialement des produits dont le poids apparaît considérable dans le panier de la ménagère qui a du mal à boucler ses fins de mois.

Au final, un gouvernement parvient à récupérer 6 milliards d’euros nécessaires dans une situation économique particulièrement critique, répartis de la manière suivante :

  • 3 milliards prélevés via le taux de TVA normal, qui ne seront que très marginalement répercutés sur les ménages et qui concernent des produits garnissant d’autant moins le panier de la ménagère que celle-ci est confrontée à la pauvreté ;
  • 1 milliards rendus aux ménages via le taux de TVA réduit, et principalement aux ménages les moins aisés pour lesquels les produits de première nécessité sont l’essentiel de ce qu’il leur est possible de se payer, une fois le loyer acquitté ;
  • 4 milliards prélevés via le taux de TVA intermédiaire, donc sur des produits qui là encore sont d’autant moins prépondérants dans le panier du consommateur que celui-ci connaît des fins de mois difficiles.

On peut contester les choix du gouvernement, d’autres étaient sans doute possibles, d’autres ont d’ailleurs été faits, mais de là à parler de trahison…

C’est oublier un peu vite le sens de la nuance et de la mesure, ainsi que l’ampleur de la crise économique et budgétaire à laquelle ce gouvernement doit répondre et à laquelle il s’est attelé à répondre, en mettant les mains dans le cambouis (et, oui, c’est parfois un peu salissant), en prenant ses responsabilités (ce que d’autres se sont bien gardés de faire), en mettant en place une politique économique et sociale radicalement différente de celle que la droite nous réservait (et nous a fait subir, jusqu’à nous plonger dans la situation où nous nous trouvons désormais), différente y compris en terme de méthode (la démocratie sociale redevient une réalité, et ce n’est pas une peccadille)…

C’est oublier un peu vite que la fiscalité a été réformé et est aujourd’hui plus progressive qu’hier (oui, pas assez encore), que la fiscalité du capital est désormais alignée sur celle du travail, que beaucoup d’autres mesures de politique économique et sociale ont déjà été prises, que d’autres sont en discussion, soumises aux partenaires sociaux, qu’il s’agisse des retraites, de la protection sociale, de la formation, du traitement du chômage…

C’est oublier un peu vite que l’école est redevenue une priorité, que la réforme de la justice est engagée, que des questions de société sont aujourd’hui abordées avec plus d’ouverture et de tolérance, dans un esprit plus progressiste, jusqu’aujourd’hui même la mise dans les tuyaux du mariage pour tous

 Trahison ? Je crois qu’on pourrait se passer un peu des grands mots et de l’épuisante posture indignée de tous les preux chevalier de la gauche, prompts donneurs de leçon dressés sur leurs fiers ergots et aux mains si propres qu’elles ne quittent jamais leurs douces mitaines, tous ces jamais-contents et qui ne savent l’exprimer avec mesure et nuance, sans cette tant constante et tant suspecte outrance, qui ont toujours raison sur tout mais ne sont jamais parvenu à convaincre ce peuple dont ils se réclament avec tant de délectation et de suffisance, qui ne comprennent pas qu’on ne saurait se réclamer de la gauche avec ce surplus d’arrogance et de fermeture d’esprit, qu’il ne suffit pas de se mettre un couteau entre les dents pour faire peur au Grand Capital – ni d’ailleurs à personne…

Trahison ? Mais c’est la litanie sans fin des simplismes réducteurs qui trahissent ce peuple au nom duquel ceux-là parlent si fort et bêlent si abondamment.

Car résumons-nous :

  1. le loyer : pas de TVA
  2. les factures de gaz et d’électricité : TVA réduite sur les abonnements, en baisse de 5,5% à 5%
  3. les médicaments remboursés : TVA à 2,1%
  4. les courses alimentaires : TVA réduite également, en baisse (soit près de 50 cts économisés tous les 100 euros dépensés)
  5. la cantine des enfants : TVA réduite, en baisse (idem)
  6. au restaurant, en voyage, au cinéma et en cas de travaux, une facture de 100 euros passera à 102 euros et 80 cts
  7. pour le reste, une facture de 100 euros passera à 100 euros et 33 cts (pour peu que la hausse soit répercutée sur le prix à la consommation, ce qui ne sera généralement pas le cas)

Question : combien de centaines d’euros est disponible chaque mois dans le porte-monnaie d’une famille populaire une fois payé  1. 2. 3. 4. et 5. ?