Avr 032013
 

panier de crabesMa colère d’homme de gauche, découvrant qu’un des ministres du gouvernement que j’ai contribué par conviction à installer au pouvoir avait ouvert et possède encore des comptes à l’étranger, sur lesquels 600 000 euros ont été déposés, probablement dans le but de frauder le fisc français (mais la justice a sur ce point encore à caractériser les faits), ma colère est immense. Immense et douloureuse. Je ne vais pas m’étendre longtemps sur mes propres sentiments, ils n’ont que peu d’intérêt. Il me fallait cependant commencer par là, Jérôme Cahuzac m’a fait mal parce qu’il a fait mal à toute la gauche, et à la politique en général.

Or faire du mal à la politique est toujours très dangereux et l’on sait que ça peut finir très mal, en particulier quand la crise politique se développe sur un fond de crise économique. La situation créée est alors le terreau sur lequel espèrent prospérer tous les populismes, et prospèrent en effet l’extrême-droite pour la simple raison qu’elle est la meilleure à ce petit jeu, que le peuple, quitte à s’abandonner à ses plus bas instincts, se tournera vers ceux qui n’ont aucune limite quand il s’agit de jouer des passions humaines, des peurs et des colères légitimes d’un peuple désabusé, un peuple en désespérance.

Aujourd’hui, plus que jamais, Marine Lepen est en embuscade et derrière elle, toute l’extrême-droite française, haineuse et revancharde. Le responsable, c’est le système et sa supposée corruption. Le bouc émissaire est déjà désigné, c’est le musulman, c’est l’étranger. La victime s’ignore encore, c’est le faible, le fragile, celui que le libéralisme a déjà mis à terre et qu’on s’en viendra alors piétiner, ce même peuple qui lassé d’espérer se sera laissé abuser par la sirène populiste et aura mordu à l’hameçon de la haine.

Aujourd’hui donc, plus que jamais, la gauche, toute la gauche, doit s’ériger en rempart, doit s’opposer aux discours qui s’adressent aux passions par un discours qui s’adresse à la raison.

Or que révèle à la raison cette affaire Cahuzac, au-delà de la faillite d’un homme ? 

Etape 1 – La présomption d’innocence : début décembre, il y a seulement quatre mois, Mediapart croyait être en mesure de révéler l’existence d’un compte en Suisse détenu par le Ministre du budget. Les preuves étaient foireuses, je le maintiens et le fait qu’aujourd’hui l’information se révèle exacte n’y change rien : il est nécessaire de s’appuyer sur un peu plus qu’un mauvais enregistrement à l’origine douteuse pour s’autoriser à salir avec un tel acharnement l’honneur d’un homme. Le but poursuivi par Mediapart n’était pas uniquement la révélation de la vérité, il était également politique et commercial. A ce stade, outrepasser la présomption d’innocence aurait été une faute commise contre un principe républicain, dès lors que Jérôme Cahuzac démentait les allégations de Mediapart.

Etape 2 – La parole est à la défense : Jérôme Cahuzac nie tout en bloc. Il aurait alors dû de lui-même démissionner, il a choisi le mensonge plutôt que d’assumer. Je ne juge pas l’individu, sa morale, c’est son affaire, pas la mienne. Je ne juge pas davantage l’ampleur de sa culpabilité judiciaire, c’est là le rôle de la justice, pas le mien. Je pointe ici seulement son comportement politique : il était ministre, qui plus est ministre du budget, qui plus est chargé de la fraude fiscale, il connaissait la vérité, il savait qu’il trahissait non seulement le président de la République, le premier ministre, tout le gouvernement dont il était membre, le parti socialiste dont il était issu et finalement la République toute entière, le peuple. Mais Jérôme Cahuzac niait, il restait présumé innocent.

Etape 3 – La justice est indépendante : Le parquet de Paris annonce le 8 janvier 2013 – soit à peine plus d’un mois après le premier article de Mediapart – qu’il ouvre une enquête préliminaire au chef de blanchiment de fraude fiscale. Et deux mois plus tard, le 19 mars, le même parquet de Paris ouvre une information judiciaire contre X pour blanchiment et fraude fiscale.

Etape 4 – La démission : Ce même 19 mars, trois heures après l’annonce du parquet de Paris, la démission du gouvernement de Jérôme Cahuzac est annoncé. La présomption d’innocence demeurait, la nécessaire exemplarité de l’Etat s’imposait.

Etape 5 – L’aveu : 15 jours plus tard, le 2 avril, hier, Jérôme Cahuzac fait l’aveu de ses mensonges et reconnait posséder des comptes à l’étranger. Aussitôt – une heure après – le président de la République évoque dans un communiqué l' »impardonnable faute morale » commise par l’ancien ministre du Budget qui a nié « l’existence de ce compte devant les plus hautes autorités du pays ainsi que la représentation nationale« . Un peu plus tard dans la journée, c’est au tour du premier ministre de déclarer que « c’est avec tristesse et consternation » qu’il apprend la vérité.

Etape 6 – La justice est indépendante : Jérôme Cahuzac est mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. A gauche, au parti socialiste, au gouvernement, on entend personne s’en prendre à la justice, parler d’acharnement contre un homme, d’instrumentalisation politique de la justice. Le fait est que c’est avec François Hollande président de la République et un gouvernement de gauche que la justice a pu se saisir en toute indépendance et sans que nul ne tente de la freiner, ou de l’orienter, ou de la manipuler, d’une enquête concernant un homme politique, qui plus est un ministre, et pas le moindre d’entre eux. Sans la moindre entrave.

Etape 7 – La récupération politique et le populisme : La droite toute entière se précipite pour tenter d’instrumentaliser politiquement l’affaire Cahuzac afin d’atteindre le gouvernement, le premier ministre et le président de la République, ne craignant pas d’instiller dans les esprits le doute de la connivence sur la petite musique du « ils savaient, forcément ils savaient« , petit air populiste alimentant le grand concert du « tous pourris » qui ne saura jamais servir personne d’autre que l’extrême droite.

La droite toute entière, et même un peu au-delà en réalité, puisque Jean-Luc Mélenchon lui-même – on est décidément jamais déçu – s’est engouffré dans la brèche populiste pour faire fleurir encore un peu plus le soupçon des complicités coupables :

J’évoquais en début de billet le langage de raison qui serait l’honneur de la gauche pour faire barrage à la montée des populismes. On ne peut visiblement pas compter sur la responsabilité de chacun et Jean-Luc Mélenchon a visiblement choisi de faire feu de tout bois et qu’importe si certaines moisissures dégagent une odeur pestilentielle, il semble quant à lui convaincu, à l’image d’un Jean-François Copé, que c’est en s’appropriant le langage de l’extrême-droite, en accréditant le « tous pourris », l’idée d’un système politique corrompu, qu’il pourra s’en exclure. Marine Lepen lui a déjà deux fois apporté très directement la preuve qu’elle ne saurait être battue sur ce terrain, le voilà qui persiste ensore. C’est non seulement assez triste, mais c’est prendre là un risque politique particulièrement grave.

Il ne serait pourtant pas difficile de faire la part des choses, de mener un combat politique là où il doit être mené, et pour Jean-Luc Mélenchon il s’agit du terrain économique, sans jouer pour autant de ce refrain-là, celui des amalgames et du soupçon. Car la réalité est là : une République exemplaire et irréprochable ne garantit jamais qu’aucun mouton noir ne se glissera dans la bergerie républicaine, elle garantit une justice indépendante qui a obtenu les moyens de son action, qui n’épargne ni ne protège personne, qui ne fait pas de ses lenteurs une forme d’absolution politique, elle garantit que la solidarité gouvernementale ne s’étend pas jusqu’à ceux auxquels s’intéressent la justice, sans pour autant piétiner la présomption d’innocence.

Or le fait est qu’en moins de quatre mois, la présomption d’innocence a été respectée, la justice a suivi son cours, un ministre a démissionné dès lors qu’une information judiciaire a été ouverte, une faute et un mensonge ont été avoués, un ancien ministre a été mis en examen, un premier ministre et un président de la République ont condamné sans barguigner et la faute et le mensonge. En moins de quatre mois ! Voilà ce que révèle l’affaire Cahuzac : la faute et le mensonge indigne d’un homme politique, mais aussi l’honneur irréprochable d’une République enfin exemplaire.

Car enfin, entendons ce que nous dit en creux la droite – et avec elle Jean-Luc Mélenchon, donc : « François Hollande et Jean-Marc Ayrault savaient, forcément ils savaient ». Qu’est-ce que cela signifie ? Comment auraient-ils su ce que la justice ne savait pas encore ? Le sous-entendu est simple : évidemment, le pouvoir politique a ses officines secrètes, dispose de sa petite police personnelle, fait procéder à ses propres petites enquêtes, court-circuitant la justice et contrevenant ainsi à toutes les lois de la République, comme on l’a toujours fait, comme la droite de Chirac puis celle de Sarkozy l’ont fait toutes ces dernières années.

Jean-François Copé déclare « Soit ils savaient, soient ils sont naïfs ». Tout est dit, tout est avoué : s’ils ne savaient pas, c’est qu’ils n’ont pas fait leur petite enquête en usant de leur petite police personnelle, c’est qu’ils ont préféré, naïvement donc, laisser faire la justice de leur pays. On comprend bien là que pour Jean-François Copé, et pour la droite en général – mais donc aussi pour Jean-Luc Mélenchon – la République exemplaire et irréprochable, il serait en réalité très naïf que de faire un peu plus que d’en parler.

Ce n’est pas être naïf, Monsieur Copé, c’est être simplement respectueux de nos institutions, respectueux de la République elle-même. C’est être exemplaire, justement. Et ça nous change !