Mar 192012
 

Il y a quelques jours, je vous invitais à la lecture d’un article très intéressant paru dans la revue Vacarme, dans lequel une bande d’intellectuels gauchistes (oui je sais, c’est sale) défendent une vision pragmatique du vote. J’en avais cité plusieurs passages, en voici un de plus, toujours écrit avec ce même ton cinglant, dépourvu de toute circonvolution qui épargnerait telle ou telle sensibilité :

« Quels que soient les compromis du PS avec les marchés et ses frilosités en termes de mœurs et de culture, quels que soient les absurdes calculs politiciens d’EELV et ses incompréhensibles querelles de chapelle, quels que soient les relents nationalistes douteux du mélenchonisme, ce ne peut pas être pire [que le sarkozysme]. De ce point de vue, peu importe pour qui l’on votera au premier tour, chacun peut faire les calculs qu’il estime justes car bien malin qui dira d’avance lesquels seront les plus justes ou les plus efficaces : l’essentiel est que s’en dégage une alternative crédible, aussi ténue soit-elle. »

Si je me sens plutôt à l’aise avec le premier élément, qui sonne comme une évidence chez toute personne qui a un peu pris la mesure de ce qu’est la sarkozysme, je pense quant à moi qu’il est nécessaire de penser un peu plus loin la nécessité d’un usage très pragmatique de son bulletin de vote.

Il s’agit de comprendre qu’une élection uninominale à deux tours est une seule et même élection, qu’il ne s’agit pas de s’imaginer que les premier et second tours seraient deux élections distinctes, l’un qui permettrait en toute liberté de se lâcher, d’exprimer un souhait ou un sentiment, l’autre de décider pour de la vraie. Au premier comme au second tour, il s’agit, dans un même mouvement, d’élire l’un des candidats.

Prenons un marteau. Sa fonction est de planter un clou. Dans un premier temps on lève le marteau, dans le second on l’abaisse et on enfonce le clou. C’est aussi simple que cela et la manière dont on aura levé le marteau n’est pas sans conséquence sur l’efficacité avec laquelle on aura enfoncé le clou. L’élection présidentielle, scrutin uninominal à deux tours, est l’outil qui permet d’élire un président de la République, comme un marteau est celui qui permet de planter un clou.

Alors on peut toujours se dire, au moment de lever le marteau, qu’il est possible d’en profiter pour chasser une mouche, on aura ce faisant dévié de l’objectif, qu’on risque alors de manquer en abaissant le marteau, même avec la meilleure volonté du monde, tapant à côté de la cible ou avec trop peu de puissance. Tout cela sans avoir finalement fait grand mal à la mouche, soit dit en passant.

Les 22 avril et 6 mai prochain il s’agira d’élire un président de la République. Nous savons – inutile de se bercer d’illusions – que cela sera soit Nicolas Sarkozy, soit François Hollande. Avoir une vision pragmatique de son bulletin de vote, plutôt qu’une vision romantique, c’est dès le premier tour exprimer sa préférence entre ces deux-là – au risque dans le cas contraire, de se retrouver le bec dans l’eau à l’occasion du second.

Vous en doutez ? Vous pensez que voter au premier tour pour un candidat qui ne sera pas au second peut avoir un impact sur la politique qui sera menée ensuite par le vainqueur ? Donnez-moi un exemple. Il n’y a aucun exemple qu’une telle chose se soit un jour produite.

Bayrou est arrivé en troisième position en 2007. Pensez-vous que Sarkozy en a tenu compte ensuite ?
Jospin est arrivé en troisième position en 2002. Pensez-vous que Chirac en a tenu compte ensuite ?
Balladur est arrivé en troisième position en 1995. Pensez-vous que Chirac en a tenu compte ensuite ?
Barre est arrivé en troisième position en 1988. Pensez-vous que Mitterrand en a tenu compte ensuite ? 

Mieux encore, qu’un candidat l’emporte au second tour avec 51% des suffrages ou bien 60%, quand avez-vous vu que cela fasse une différence ? Quand avez-vous que le valeureux perdant du second tour compte pour quoi que ce soit dans les plans du vainqueur. Et un perdant du premier tour pourrait faire valoir au vainqueur ses 10 ou 15% ? Soyons sérieux.

Dans une élection, seul compte celui qui en sort vainqueur, celui qui est élu. Evidemment d’ailleurs, puisque c’est l’objet même d’une élection, désigner un vainqueur. Au final, on a ou on n’a pas enfoncé le clou.

Oui mais ça ne vous fait pas plaisir de voter pour Hollande ? Cela peut s’entendre, mais ce n’est pas la question. On ne vote pas pour se faire plaisir. On ne vote pas pour donner dans les sentiments. On vote pour choisir et la seule question qui vaille est, cette fois-ci, Hollande ou Sarkozy ? Non seulement répondre que vous auriez préféré Mélenchon n’a aucun intérêt, mais cela pourrait potentiellement favoriser Sarkozy. Voilà la seule réalité qui vaille – et le reste, si je peux me permettre, c’est de l’enculage de mouche (avec un marteau).

Oui mais quand même, vous auriez préféré Mélenchon ? C’est une illusion d’imaginer que cela change quoi que ce soit de l’exprimer à l’occasion d’un premier tour. Vous voulez vraiment défendre les idées que portent Mélenchon, engagez-vous en politique, exprimez et défendez vos idées au quotidien, contribuez à changer la donne pour 2017, vous avez cinq ans pour ça. Une élection n’est pas l’alpha et l’omega de la démocratie. Bien au contraire, quand vient le temps de l’élection il est déjà trop tard pour l’essentiel. Il ne reste alors plus qu’à trancher dans le vif.

La seule fonction de l’élection présidentielle est d’élire un président de la République. Il n’y a pas d’autre usage à en faire qui ne soit au mieux inefficace, et au pire contreproductif. Hollande ou Sarkozy. Voilà où nous en sommes. Tranchons, et puis passons à autre chose.

Les élections législatives, par exemple. Elles auront lieu dans trois mois et la constitution du prochain gouvernement aura pour le coup beaucoup à voir avec la composition de la prochaine assemblée nationale. Et aussi la politique qui sera menée au cours du prochain quinquennat…

Ne vous trompez pas d’élection !