Fév 072011
 

de Mahomet à Voltaire Révolution en Tunisie, insurrection en Egypte, l’Histoire mondiale est en marche et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils sont beaucoup dans nos fières contrées démocratiques – intellectuels, politiques, diplomates, mais pas seulement – à se réjouir en serrant les dents, quand ils ne font pas tout simplement la fine-bouche. Et pourtant !

Au nom de quoi devrait-on s’autoriser à contester à un peuple son aspiration à se libérer du joug d’un dictateur ?
C’est dangereux ?
Certes. Et toute insurrection comporte en elle-même une incertitude, un danger, crée un vide qui saurait en effet être comblé par pis encore.

Soyons plus précis, parce que l’inquiétude occidentale ne se situe pas ailleurs : en quoi la légitime aspiration du peuple israélien à la sécurité serait supérieure à l’aspiration du peuple égyptien à la liberté ?
Ou, dit autrement, quelle valeur aurait la sécurité d’Israël si son prix était celui de l’oppression du peuple égyptien ?

Mais Israël est en réalité un prétexte réducteur. Et c’est bien, au fond et à terme, de notre propre sécurité dont il s’agit – et de notre peur de ce qu’il est convenu désormais d’appeler la menace islamiste sans que l’on ne sache plus très bien si l’on parle directement de terrorisme ou d’un intégrisme religieux et oppressif. Faut-il donc que notre sécurité ici soit garantie par l’oppression des peuples là-bas, dans ces pays où l’Islam saurait éventuellement se retrouver débordé par ses intégristes assoiffés du sang des infidèles c’est-à-dire du nôtre ?

Sommes-nous devenus si craintifs que nous serions désormais incapables de comprendre que toute dictature se justifie d’abord par l’ordre qu’elle prétend faire régner ? Que la dictature c’est toujours ma sécurité au prix de ta liberté ?

Faut-il donc être cynique pour n’être pas naïf ? Et ne peut-on simplement se réjouir du soulèvement d’un peuple contre son oppresseur, tout en gardant à l’esprit une inquiétude raisonnable et raisonnée que de cette déstabilisation d’un pouvoir puisse surgir bientôt une menace redoublée ?
Une inquiétude raisonnée, c’est-à-dire une vigilance éclairée. Donc une solidarité internationale avec les peuples en marche vers la démocratie mais qui ferait un peu plus que de se payer de mots…

Ne peut-on garder à l’esprit que la conflictualité, l’insécurité, la haine de l’autre, tous ces maux dont on fait les guerres naissent en définitive davantage de l’oppression des peuples que de leur libération ? Que les fanatismes germent toujours mieux dans le terreau de l’oppression, où l’injustice constitue le plus redoutable des fertilisants ?

Sommes-nous devenus à ce point frileux, recroquevillés autour de nous-mêmes et de nos peurs, que nous saurions en définitive nous satisfaire de dictatures-boucliers derrière lesquelles nous vivrions en démocratie, les yeux fermés, indifférents au sort de peuples lointains – ou considérés comme tels ?
Notre peur de cet Islam que nous ne savons comprendre, dont nous ne savons voir que la part ténébreuse et menaçante, nous conduirait-elle finalement à cette équation simple où il ne saurait  y avoir de bon arabe que soumis à la dictature ? Parce qu’un arabe libre serait un arabe dangereux ?

Ne nous rendons-nous pas compte de la folie sécuritaire qui nous emporte ?

Il est là somme toute le déclin de l’occident et qui finira par nous détruire : nous avons perdu le goût du risque.
Et sinon le goût, du moins l’aptitude. Nous sommes paralysés, seulement occupés à construire d’innombrables barricades qui finiront par s’écrouler sur nos têtes.

La légitime aspiration à la sécurité ne devrait jamais – jamais ! – trouver son compte au dépens des libertés. Ni de notre liberté ni de celle de personne. De personne !

Vivre est risqué. Et en corollaire, chercher à éradiquer le risque est mourir.
Car qui pourrait dire que c’est être vivant que de vivre dans un bunker ?
Voilà le paradoxe dans lequel nous nous enfermons.

Et puis qui peut affirmer qu’on ne cherchera pas un jour à se protéger de nous ?
Nous représentons tous une menace potentielle pour quelqu’un et un jour, pour me prémunir contre toi, je prendrai ta liberté, et je te prendrai la vie.
Car soyez-en sûr, dans cet engrenage, nous finirons tous par être présumés coupables.

Non, on ne peut admettre qu’un peuple vive sous une dictature. Et peut-être en effet basculera-t-il dans l’islamisme.
Faisons en sorte alors que cela n’arrive pas. Mettons en œuvre tous les moyens nécessaires pour que cela ne se produise pas.

Non, on ne peut admettre qu’un homme soit maintenu en prison au-delà du terme de sa peine. Et peut-être en effet récidivra-t-il.
Faisons en sorte alors que cela n’arrive pas. Mettons en œuvre tous les moyens nécessaires pour que cela ne se produise pas.

Et cela arrivera peut-être quand même, malgré tout.
C’est insupportable, inadmissible, mais c’est ainsi.

Vivre est risqué. Mais rogner sur les principes, rogner sur les libertés, ne nous prémunira jamais de rien. C’est d’abord une facilité, ensuite une illusion.