Oct 192011
 

femme mur solitude tristesseDevant elle coule les eaux grises de la Seine. Le pavé est mouillé, l’air humide. Comme un automne à Paris. Vent frais. Elle est assise sur le pavé mouillé et regarde couler les eaux grises et regarde couler ses pensées noires.

Elle a longtemps marché dans la ville, se frayant un passage au milieu des grappes de passants, arpentant les rues de Paris au hasard, seule dans la foule. Les visages qui défilent. Ils ne me ressemblent pas. Cette idée l’a traversée. Visages insouciants des hommes heureux. Visages fermés, œil noir et traits tirés. Regards rieurs des uns. Masques grimaçants des autres. Aucun d’entre eux ne me ressemble. Cette idée l’a traversée de part en part et son cerveau a explosé. Aucun d’entre eux… Ça l’a traversé et son cœur a rétréci. Petit caillou dans sa poitrine. Ça lui a fait mal. Cette certitude, soudain. Elle en a eu le souffle coupé. Immense douleur. Elle marche sur les mêmes trottoirs de la même ville, elle croise des hommes, des femmes, leurs regards par milliers, tous semblables et pas un ne lui ressemble.

Assise sur le pavé mouillé, son jean qui lui colle aux fesses, elle rumine. On peut échanger un sourire ou quelques mots, les yeux dans les yeux, et puis quoi ? Tout cela est factice et on n’échange rien.  On ne partage rien. On garde tout, même ce dont on ne veut plus, ce dont on voudrait se débarrasser, qu’on cèderait pour rien, pour moins qu’un sourire. Il faut tout garder, à l’intérieur de soi où tout est hermétiquement conservé. On voudrait partager un peu. Un sourire vrai, des mots murmurés, confiés, hurlés. Vaines tentatives. Signes extérieurs de similitudes et qui ne signifient rien de soi. On peut seulement faire semblant d’être semblables. Un sourire, quelques caresses et parfois un soupir. Un soupir qui sort de soi comme on vous arrache une dent. Voilà tout l’effet que ça lui fait. Ce soupir qui parfois lui échappe. Un soupir et puis des mots. Des mots avant et des mots après. Beaucoup de mots. Des mots c’est-à-dire des concepts, rien qui vienne directement de l’intérieur de son être déchiré, rien qui ne soit au préalable filtré, dilué, trahi et qui n’est plus elle. Seulement des mots.

Il est possible de sortir de soi, un peu, avec ça, les mots. Sortir de soi, aller vers les autres, vers l’Autre, son semblable qui n’en est pas un. Mais personne jamais ne saurait se frayer un chemin jusqu’à elle, entrer véritablement en elle et contempler ce qui s’y trouve, ce qui est là. Elle. Son être inaccessible. Elle, seule et oppressée par la certitude d’être seule.

Je suis seule. Elle se cogne à ses trois mots qui l’enferment, s’y cogne le front et sa cervelle qui éclate. Je suis seule et j’en crève. Mais elle n’en crève pas, non. Elle se cogne encore, voudrait traverser les mots, ces trois petits mots qui ne disent pas tout, qui ne disent pas sa souffrance, qui ne disent pas précisément de quoi est faite sa souffrance, c’est-à-dire sa solitude. Mots incapables.

Elle est généreuse pourtant. Elle donne, donne beaucoup. C’est inutile. Ce qu’elle voudrait, c’est recevoir.  Recevoir ce qui vient de l’Autre, l’accueillir en elle, lui faire visiter la désolation de son être. Etre alors moins seule. Mais ça ne pénètre pas, ça reste en surface et forme un dépôt. Des strates de sédiments d’amour donné et qui se superposent au fil des ans et l’isolent davantage. Elle étouffe.

Elle étouffe et moi je l’aime. Mais ça n’entre pas.