Août 042009
 

Festival d’Avignon 2009 – compte rendu : Acte 4

Le sang des promesses, Wajdi Mouawad
Littoral, Incendies, Forêts

Le sang des promesses, Littoral, Wajdi MouawadImaginez la Cour d’honneur du Palais des Papes, à Avignon. Il est 20h. Une fin de soirée d’été, le jour persiste, il fait bon. Débute Littoral, premier opus d’un quatuor baptisé Le Sang des promesses.

Viendront ensuite Incendie et puis Forêts.

Et puis la nuit aura passé, comme un enchantement. Dans le petit matin, il fait doux encore, vous avez un peu sommeil. Vous n’avez pas dormi et pourtant vous êtes empli d’images, de voix, d’histoires chargées de rencontres, belles et parfois douloureuses, comme au sortir d’un long rêve à la fois terrible et merveilleux. Qui vous habite tout entier. Vous rentrez chez vous, lentement. Dormir avec ça, ce sourire qui vous tient compagnie, vous l’approprier encore, comprendre ce qui vous a touché. Vous êtes heureux, vous venez de vivre une aventure partagée et vous savez pourquoi vous aimez le théâtre. Plus tard, vous irez voir Ciels, le quatrième et dernier opus du quatuor. Plus tard seulement.

Littoral Wilfrid s’envoie en l’air comme jamais, une baise mémorable, d’autant qu’éjaculation se met soudain à rimer avec téléphone : le père de Wilfrid est mort. C’est là que tout commence. Avant tout, il ne s’agit pour Wilfrid que d »enterrer son père. Sa mère étant morte en le mettant au monde – cela se passait au Liban, pendant la guerre, avant l’exil -, il lui paraît assez naturel de réunir les deux amants que la naissance de Wilfrid avait tragiquement séparés. Mais la famille de la mère s’y refuse : le père serait responsable de la mort de la mère. Alors Wilfrid retourne au Liban, enterrer le père dans la terre de ses ancêtres et comprendre ce qu’il y a laissé. Enfant de l’exil, il y croisera les enfants de la guerre, assassins et victimes, des êtres pleins d’horreurs quand lui se sent vide. Ainsi accompagnés, et portant son père et sa propre histoire qui se révèle, il traverse un pays dévasté par la guerre où, village après village, les cimetières sont pleins. Longue route jusqu’à la mer. Jusqu’en son littoral où l’on peut enfin se délesté du poids de son histoire parce qu’on l’a assumée, parce qu’on l’a racontée, parce qu’elle a été intégrée au souvenir.

Littoral, c’est le début du voyage. C’est le voyage initiatique de Wilfrid, son entrée dans sa vie d’homme. C’est le début du voyage d’un public qui entre dans cette nuit du Sang des promesses. Le début d’une aventure artistique, celle de Wajdi Mouawad, commencée il y a une douzaine d’années alors qu’il écrivait ce premier opus de ce qui donnerait lieu, mais il ne le savait pas, à un quatuor.

Littoral, c’est aussi cette même histoire de l’exil et de l’enfance déracinée, racontée de nouveau, autrement et dix ans plus tard dans Seuls, spectacle écrit, mis en scène mais aussi joué par Wajdi Mouawad, seul sur scène et comme se mettant à nu. Un spectacle qui apparaît alors comme une sorte d’aboutissement, l’autre rive du Sang des promesses, puisqu’un littoral fait toujours face à un autre, un océan entre les deux et qu’il s’agissait de traverser.

Incendies Ils en veulent à leur mère, les jumeaux Jeanne et Simon. Ce n’est pas tant qu’elle vient de mourir, Nawal, mais cela faisait déjà huit ans qu’elle s’était tue, cette mère. Inexplicablement. Et la voici qui se met à parler de nouveau, leur léguant deux lettres, à charge pour eux de les remettre à leurs destinataires, un père qu’ils croyaient mort et un frère dont ils ignoraient l’existence. Elle les aura donc « fait chier jusqu’au bout ! » Mais le désir de savoir est le plus fort, finalement, et c’est au Liban, leur terre natale, qu’ils s’en vont chercher des réponses, fouillant la guerre, parmi les meurtres et le sang, les viols et les incestes, croisant les assassins, les bourreaux et leurs victimes. Jusqu’à ce qu’émerge leur vérité intime, comme on creuse ses fondations dans sa propre histoire, celle de ses origines.

Forêts J’ai déjà évoqué Forêts sur ce blog, où je décrivais « le long retour sur ses origines d’une adolescente québécoise – formidable Loup, que tout t’écoeure et que tout fait chier, crisse ! – qui cherche dans son histoire familiale, sur sept générations de femmes et de mères, une explication à son mal-être. Une longue et éprouvante traversée d’un siècle et demi d’Histoire, d’une guerre à l’autre, d’une atrocité à l’autre, d’une histoire d’amour à l’autre, de vie donnée en vie reçue sur un chemin jalonné par la folie et la mort. »

J’expliquais alors et je maintiens que « le trop n’est pas évité, et l’on pourrait dire que le spectacle qui nous est donné à voir est trop violent, trop hystérique, trop complexe et trop long, que la part de tragédie y est trop importante, que les rebondissements y sont trop nombreux, que l’on frise trop souvent le rocambolesque, que la mise en scène fait la part trop belle aux effets de style, que tout est trop dit et trop montré… si, de tout ce trop, l’on ne ressortait secoué, ébouriffé et finalement enthousiaste.

Je demandais qu’on imagine « que soit condensée en un seul spectacle toute la tragédie des Atrides, que dans la même pièce Atrée contraigne son frère, Thyeste, à manger ses douze enfants, qu’Agamemnon, fils d’Atrée, sacrifie aux Dieux sa fille Iphigénie, qu’Egisthe, treizième enfant de Thyeste, séduit Clytemnestre, femme d’Agamemnon, puis qu’ensemble ils assassinent ce dernier à son retour de Troie, puis qu’enfin, pousser par sa soeur Electre, Oreste, fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, tue sa mère pour venger la mort de son père… Oui, cela pourrait être trop si le tout n’était servi par une mise en scène inventive et tendue, où rien n’est gratuit, où tout fait sens, et des comédiens tous parfaits, chacun au service des autres, du texte et du spectacle donné. »

3h30 sont nécessaires pour traverser ces Forêts. Et avant cela il avait fallu 2h40 pour rejoindre le Littoral, et encore le même temps pour resurgir des Inendies. Toute une nuit traversée par la tragédie de la guerre, et ce sang des promesses qui coule dans les veines des enfants de la guerre, que nous sommes tous. Nuit et bonheur partagés avec des comédiens impressionnants, d’énergie et de justesse, de générosité.

Bonheur donné, bonheur reçu, bonheur partagé.

Racine s’était fait une règle et même une stratégie « de plaire et de toucher ». Cela à un côté un peu pute que ne parvient à gommer qu’un immense talent. Auteur et metteur en scène, Wajdi Mouawad possède sans conteste ce génie qui font les grands du théâtre.


Le sang des promesses, Forêts, Wajdi Mouawad

Source : Le Sang des promesses, Wajdi Mouawad