Jan 262011
 

Encore Tchekhov. Encore l’ennui de vivre, l’aspiration à autre chose, l’accumulation des déceptions, les amours déçus, l’oubli de soi dans le travail, et l’espérance en des lendemains lumineux pour l’Homme. Encore ce voyage de la question sociale jusqu’au questionnement existentiel. Encore une pièce philosophique, mais toujours l’air de rien. Et c’est ainsi, chaque fois et l’air de rien, qu’on redécouvre pourquoi Tchekhov est parmi les plus grands.

Dans les pièces de Tchekhov, les didascalies sont toujours très précises. Au point qu’elles définissent une proposition de mise en scène, ou peu s’en faut. Aussi, choisir de monter une pièce de Tchekhov c’est d’abord mesurer avec soin jusqu’où l’on se risque à s’écarter de la proposition de l’auteur.

Dans son Oncle Vania, Lev Dodine avait choisi de demeurer au plus près de la volonté de l’auteur. Ce fut un régal. A l’inverse, Julie Brochen n’avait pas hésité elle à faire plusieurs pas de côté et sa Cerisaie en devint tout à fait insipide. Il n’empêche, je me souviens avoir assisté à une représentation des Trois Sœurs dans une mise en scène de Wajdi Mouawad, très moderne, très audacieuse et parfaitement réjouissante – et d’une fidélité totale à l’esprit du texte.

Alain Françon, lui, a fait le choix du suivisme, limitant ainsi le danger de passer complètement à côté. Et en effet, cela produit un résultat tout à fait agréable, une bien gentille représentation des Trois Sœurs. Le troisième acte est même très réussi.

Pourtant, l’on est pas tout à fait conquis. Assez régulièrement même, l’on reste au-dehors. Et notamment tout au long du deuxième acte qui se passe entièrement dans la pénombre – et il est vrai que la didascalie précise « Pas de lumière ». Mais tout de même !

Et les comédiens sont tout à fait passables, eux aussi. Presque bons, à l’occasion. Et c’est en grande partie au jeu subtil et juste des trois comédiennes qui figurent les trois sœurs que le troisième acte parvient à nous convaincre – et ce malgré la pénombre, là aussi.

Mais c’est elles aussi qui, lors de la scène finale, deviennent soudain si appliquées, si scolaires pourrait-on dire, que toute chaleur disparaisse et que nous soyons sortis de la pièce avant son terme, sans émotion particulière.

Au final, c’est une mise en scène parfaite pour découvrir Les Trois Sœurs et appréhender le génie de Tchekhov. Pour une classe d’élèves de seconde, par exemple. Ou pour le bourgeois qui fréquente la Comédie Française pour se désennuyer de son grand appartement – aisé à reconnaître, il est assis aux bonnes places de l’orchestre, il a  revêtu son habit de soirée et il applaudira à tout ce qu’on voudra lui montrer, pourvu que ça ne le concerne pas de trop près. Je sais, je suis snob.

On peut toutefois attendre de la Comédie Française qu’elle ose davantage, sinon qu’elle se fasse plus subversive.
A quoi elle sert sinon ?

 

Source : Les Trois Sœurs