Oct 152008
 

drapeau françaisLa Marseillaise a été sifflée. C’était hier soir au Stade de France, en ouverture du match amical de football qui opposait les équipes de Tunisie et de France. Et depuis ce matin, donc, la France toute entière semble en émoi… Et moi je me dis qu’il n’y a vraiment pas de quoi, ou plutôt qu’on place bien mal son émoi, dans ce beau pays de France.

Mais précisons d’emblée un fait important : ce ne sont pas des tunisiens qui ont sifflé notre tant bel hymne national, mais des français et essentiellement, sinon uniquement, des français. Pas tous de « souche » bien entendu, mais pas moins français que d’autres. Ou alors peut-être y a-t-il là d’ailleurs une part d’explication à ces sifflements, peut-être que cette France qui clame quasi unanimement son émotion parce qu’on a osé siffler la Marseillaise, cette France-là a peut-être en réalité un peu de mal à considérer que tous les français sont… français. Et ces français-là, qui seraient donc un peu moins français que les autres, en auraient vaguement conscience, auraient quotidiennement conscience de n’être pas tout à fait considérés aussi français que tous les français.

Je ne sais pas.

Ce que je sais en revanche, c’est qu’on fait comme si la question n’avait pas à être posée, qu’il n’y avait pas d’explications à chercher et puis trouver, parce que le simple fait de siffler la Marseillaise serait en soi un insupportable scandale. Mais un hymne national n’est rien d’autre qu’un symbole – sans doute un symbole assez désuet d’ailleurs, mais c’est là un autre débat – et comme tous les symboles il n’est sacré que pour ceux qui ont une image positive de ce qu’il symbolise, pour ceux qui parmi ceux-là considèrent que certains symboles peuvent être sacrés, ou sacralisés.

Pour ma part, je suis fermement convaincu du caractère néfaste de toute espèce de sacralisation des symboles. Toute chose doit pouvoir être remise en cause, afin que les opinions puissent librement s’exprimer, les opinions mais aussi les sentiments – la colère par exemple, ou la détresse… Je revendique mon droit à me moquer du Christ sur sa croix, à caricaturer Mahomet, à bouffer du rabbin, à brûler un drapeau ou à siffler un hymne national, fût-il celui qu’on voudrait que je considère comme mien – mais je revendique également de pouvoir en mon âme et conscience choisir mes symboles, et même mes appartenances.

On me dira que c’est un manque de respect, voire une intolérance. Je considère que le respect est dû à chacun en tant qu’homme ou femme, à tous les êtres humains en tant que tels et sans exception ; et que toute opinion ou croyance respectable exige qu’elle soit tolérée ; pas les objets ou les chants qui en constituent les symboles, pas non plus les concepts. Or la France n’est rien d’autre qu’un concept – c’est-à-dire une idée que l’on peut ou non s’en faire, au-delà de sa définition purement géographique ou administrative. Une idée ça se conteste et un symbole a également vocation à être déconstruit : il n’y a pas d’exigence au respect du symbole si l’idée n’est pas digne d’elle-même.

Or la France donne-t-elle aujourd’hui une image positive d’elle-même. On pourrait en débattre, mais le moins qu’on puisse affirmer est qu’il est possible d’avoir une mauvaise image d’un pays, y compris du sien. Possible aussi de vouloir l’exprimer et trouver la manière de le faire. Siffler la Marseillaise n’est pas renier son appartenance – cela peut même être la revendiquer -, ce n’est pas non plus insulter la France ou les français – dont on est, et voudrait même éventuellement être plus -, c’est émettre une critique virulente et audible, jusqu’à y compris clamer avec force que cette France telle qu’elle se comporte actuellement, sur bien des aspects, on ne l’aime pas, et même on n’en est pas très fier. Parce qu’elle ne serait pas très digne de l’idée qu’on voudrait en avoir.

On voudrait continuer à ce que soit glorifié un pays en faisant flotter son drapeau et en jouant son hymne dans les stades, admettre que tous se lèvent comme autant de moutons et hurlent leur patriotisme à l’entame de ce qui n’est qu’une rencontre sportive, et dans le même temps il faudrait se scandaliser que d’aucuns se saisissent de cette même occasion pour manifester qu’il n’y aurait pas grand chose à glorifier et qu’au contraire par certains aspects la France pourrait avoir à se sentir honteuse, qu’on aurait quelques cruels reproches à lui faire, qu’il n’y aurait finalement pas tellement de quoi l’aimer ou être fiers d’en être. Cela me semble assez incohérent.

On voudrait bien que la France soit en effet, dans les faits, cette glorieuse patrie des Droits de l’Homme. Mais voilà, elle ne l’est pas – et n’a même jamais été uniquement celle-là. La France est ce pays qui fraye honteusement avec des dictatures : on peut vouloir la siffler pour cela. La France bafoue chaque jour les Droits de l’Homme dans ses prisons surpeuplées : on peut vouloir la siffler pour cela. La France procède à une chasse systématique et comptable de ses immigrés sans-papiers : on peut vouloir la siffler pour cela. La France place au ban de la Nation une partie de sa population, issue pour une bonne partie de l’immigration maghrébine : on peut vouloir la siffler pour cela – et c’est même d’autant plus légitime quand les sifflets proviennent de ceux qui subissent chaque jour ce bannissement social, qui est aussi largement racial.

La France, on peut en être et ne pas l’aimer. La France on peut vouloir revendiquer avec force qu’elle change sans qu’on doive nous prier d’en partir. La France, en l’occurrence, il ne s’agit pas de la quitter parce qu’on ne l’aimerait pas assez, mais d’en être plus afin de parvenir à l’aimer mieux. La France, oui, on peut vouloir en siffler son hymne pour mieux pointer du doigt ses indignités.

Source : Siffler la Marseillaise n’est pas insulter la France