Sep 252013
 

Affiche Mère en Amer Mer - Pierre Pfauwadel - Carol LandriotQuand on évoque une œuvre de jeunesse, on fait généralement référence à un artiste reconnu. Souvent, il a depuis longtemps déjà rejoint le panthéon des classiques. on parle d’œuvre de jeunesse en référence à toutes les œuvres qui ont suivi et en dont on découvre rétrospectivement qu’elles étaient présentes déjà, comme en gestation, dans ladite œuvre de jeunesse. Il n’y a rien de péjoratif à parler d’œuvre de jeunesse, bien au contraire. Elle est une annonce de ce qui fut ensuite, de ce dont elle a accouché.

Il est beaucoup plus rare d’assister à la naissance d’une œuvre, donc à l’éclosion d’un artiste. D’ailleurs on l’ignore, rien n’est jamais acquis à l’homme, encore moins à l’artiste. On ne peut que le présumer, présumer de la suite, c’est-à-dire en réalité la souhaiter, l’espérer. S’aventurer à la prédire.

Ils ont tous entre vingt et vingt-cinq ans. L’auteur, le metteur en scène, les comédiens et jusqu’à la jeune artiste qui a réalisé l’affiche de cette Mère en Amer Mer. Et c’est avec l’énergie pure de leurs vingt ans qu’ils nous administrent là une claque magistrale. Une leçon à propos de la chose théâtrale qui est par essence démesurée, qui est outrance et subversion, qui est passion dévorante, quand le rire le dispute aux larmes – et réciproquement. 

On pourrait sans mal trouver bien des défauts à tout cela, dire que parfois l’auteur, parfois le metteur en scène, parfois les comédiens sont rattrapés par le convenu, dire qu’ici l’auteur s’est regardé écrire et que là tel comédien s’est regardé jouer, que la mise en scène est l’occasion un peu timide. Qu’importe. Le propos est tenu et il fait mouche. Comme dirait l’autre, à la fin de l’envoi, il touche.

Le propos, c’est la jeunesse et ce qu’il lui faut parvenir à faire, jusqu’à tuer père et mère, pour se libérer de l’enfance et s’approprier ses rêves et finalement sa vie. S’élever, s’envoler malgré les entraves, malgré l’amour qu’on porte à ceux qui nous entravent. Quitter cette maison qui nous a vu naître et qui désormais nous enferme, parce qu’on y sera toujours l’enfant, l’enfant de la maison et qui étouffe  sous l’amour qu’on lui prodigue et qui est une demande, cet enfant sur lequel pèsent les attentes et les espoirs de parents devenus vieux – parce qu’ils n’ont plus vingt ans.

Ne plus être cet enfant pour devenir soi, et le rester cependant pour eux. Pour elle surtout, la mère. Parce que c’est d’elle dont il s’agit ici, pour l’enfant. Le père est mort déjà, ce qui évite de devoir le tuer pour s’en libérer. La mère elle n’est que malade. Ce qui complique tout, parce que la maladie est supposée mortelle, et donc la mère aussi : le chantage affectif s’en trouve décuplé, ainsi que la solidité des entraves.

Il est jeune, sa mère est malade. Il s’apprête à vivre, entièrement, passionnément, avec l’avidité démesurée de ses vingt ans, aimer et parcourir le monde sans penser ni à la maladie ni à la mort. Il part donc, il quitte la maison et sa mère malade. Qu’importe si c’est en rêve ou en vérité qu’il parcourt le monde et rencontre ses habitants, il part le plus loin possible, vivre sa vie, libre. Et l’on voyage avec lui, et l’on traverse les mers à ses côtés, et l’on y fait avec lui toutes sortes de rencontres – dont la moindre n’est pas celle de Sergio, le lama qui parle. Et c’est avec lui encore que l’on comprend que sa mère l’accompagne, malgré lui, mendiant son amour, mendiant son retour. On a beau avoir vingt ans et avoir toute l’insouciance du monde, l’on n’échappe pas si facilement à l’amour de ceux que l’on aime en retour, fut-ce d’un amour mêlé d’exaspération et de rage. D’angoisse aussi, cette amer gangrène de l’âme.

La pièce est romantique. Le voyage est onirique. Et la langue qui nous en rend compte est belle, qui sait nous emporter loin, d’un mot à l’autre comme on sauterait de vague en vague, si loin qu’on craint par moment de se perdre et sombrer dans les mots, quand nous voilà tout à coup rattrapés, au dernier moment, par une vague plus grosse, et projetés contre les durs rochers d’un propos qui n’oublie jamais de suivre son cours et de vous y emmener. Flux et reflux de la mer, sur laquelle on s’en va, sur laquelle, amer, l’on s’en revient. Et la mère qui, obstinément, nous accompagne.

Je l’ai dit déjà, la mise en scène semble par moments un peu timorée, mais comment reprocher un manque d’envergure sur une si petite scène. La contrainte était forte pour un texte qui invite à tant de grands espaces et, finalement, Simon Tilche – dont c’était la première mise en scène au théâtre – s’en sort plutôt très bien et parvient, au moyen de quelques belles trouvailles bien exploitées, à donner entre onirisme et trivialité tout le relief nécessaire aux comédiens comme au texte d’une pièce dont ils se font admirablement les interprètes.

On le sent, ils, comédiens et comédiennes, ont pris du plaisir ensemble à jouer cette pièce. De fait, ils sont justes. Mieux, ils sont bons. Citons-les : Guillermina Celedon, Baptiste Genet, Gaspard Lepage, Clara Marchina, Pierre Pfauwadel et Emma Pourcheron. Pierre Pfauwadel, en particulier, incarne avec une maîtrise remarquable le personnage d’Yvan, ce jeune homme écorché entre mer et mère, dont il est donc aussi l’auteur. De la graine de grand comédien, sans aucun doute et entre autres choses.

J’ignore la vie qui sera accordée à ce spectacle, mais si l’occasion vous est donnée de le voir, ne la manquez surtout pas. C’est bien plus que rafraîchissant. Et je sais pour ma part qu’il me sera donné un jour d’en reparler en disant : « J’y étais ! »

Je n’oublie pas enfin de citer Carol Landriot, l’auteur de l’affiche, parce que son travail le vaut plus que bien.