Oct 132009
 

Philoctète, Sophocle, Christian Schiaretti, Laurent TerzieffHa ! Laurent Terzieff… Quel comédien ! Quel formidable comédien !

Hélas ! aussi. Hélas ! il ne pouvait à lui seul y suffire.

Philoctète est un paria. Glorieux et fidèle compagnon d’Héraclès, duquel il hérita des flèches redoutables, il fut mordu au pied par un serpent. Depuis, le héros souffre d’une plaie ulcérée et puante, et souffre au-delà de ce que les mots peuvent dire. Sur la route de Troie, sa plaie infecte et ses plaintes incessantes conduisent, sur les conseils du toujours sage Ulysse, la flotte des Grecs à abandonner le malheureux sur Lemnos, île déserte sur laquelle dix années durant Philoctète fut condamné à souffrir à la fois de son pied et de sa solitude. Jusqu’à ce que l’armée d’Agamemnon s’avise que l’oracle avait annoncé que Troie ne saurait être prise que par ce même Philoctète, possesseur de l’arc infaillible d’Héraclès. Ulysse est dépêché à Lemnos pour ramener devant les portes de Troie et l’arc et l’archer. Ulysse, toujours rusé, et qui sait le ressentiment que le vieux Philoctète nourrit à son encontre, prend soin de se faire accompagner du jeune Néoptolème, fils du défunt Achille, qu’il charge de tromper Philoctète l’entêté, après avoir par la ruse gagné la confiance.

Philoctète est une tragédie de Sophocle, puissante et belle, où le tragique nait et s’achève par et dans la parole : Néoptolème est déchiré entre d’un côté son sens de l’honneur et son amitié pour Philoctète, dont le sort et les souffrances l’émeuvent au plus haut point, et de l’autre le sens du devoir qui lui commande, à travers la voix d’Ulysse, de ramener devant Troie assiégée celui qui permettra la victoire des Grecs, lui en coûterait-il une déshonnorante trahison. Un jeune homme encore innocent déchiré entre les ruses d’Ulysse et ses raisons, et les plaintes entêtées et fières de Philoctète, héroïque en sa douleur.

Laurent Terzieff qui approche les quatre-vingts ans, amaigri et marqué par les années, est Philoctète. On n’en doute pas un instant. Seulement, c’est Sophocle qui n’y est plus.

C’est que le texte auquel s’adosse le spectacle est une variation à partir de Sophocle, écrite par Jean-Pierre Siméon. La trame est rigoureusement identique, jusqu’à même son médiocre dénouement qui voit Héraclès descendre du royaume de Zeus pour commander à Philoctète et Néoptolème d’accompagner Ulysse jusqu’à Troie, lesquels sauveront donc les Grecs sans perdre leur honneur pur de héros – puisque c’est à un Dieu qu’ils obéiront. La même trame donc, mais d’autres mots, sans qu’on puisse déceler dans la variation un quelconque bénéfice, qu’il soit poètique ou tragique. Et en ce qui concerne le tragique, bien au contraire.

C’est aussi que la mise en scène de Christian Schiaretti est bien étriquée, sans profondeur, minimaliste en vérité. Tout se déroule à l’entrée de la grotte de Philoctète, laquelle entrée est matérialisée par le rideau d’avant-scène, laquelle grotte est quant à elle évoquée par l’absence d’éclairage à l’arrière. Une scène étriquée et sans profondeur sur laquelle dialogue des comédiens comme statufiés. On comprend qu’on ait voulu tout faire reposer sur la formidable présence scénique de Laurent Terzieff, sur son incarnation physique du personnage, mais cela ne suffit pas. Cela ne pouvait suffire.

On aura donc bruyamment applaudi Laurent Terzieff. On y aura poliement associé les autres comédiens, pourtant plusieurs ton en-dessous. On n’aura pas vu, pourtant, Philoctète, qui au-delà de son personnage éponyme se devait d’être tout de même un peu une tragédie.

Source : Philoctète