Mar 132012
 

Vous connaissez Vacarme. Moi je ne connaissais pas, c’est mon fils qui me l’a fait découvrir.

« Vacarme est une revue trimestrielle publiée sur papier et archivée en ligne, qui mène depuis 1997 une réflexion à la croisée de l’engagement politique, de l’expérimentation artistique et de la recherche scientifique ». Voici comme les auteurs de cette revue – née de la rencontre d’individus engagés dans différents mouvements sociaux – la présentent

Vacarme, pour ce que je viens d’en découvrir, c’est de la pensée en barre. Une pensée gauchiste intelligente, et ce n’est pas si fréquent, suis-je tenté d’ajouter.

Le numéro 58, dernier paru, donne lieu à la publication d’un manifeste en faveur du vote. Intitulé Occupons le vote, il démarre ainsi, et sur les chapeaux de roue : 

Nous, Vacarme, déclarons que nos amis qui ne votent pas et s’en justifient, tout comme les défenseurs du vote blanc, sans parler des derniers tenants du « vote révolutionnaire », commencent à nous fatiguer sérieusement.

La fin de l’introduction, n’est pas moins savoureuse :

Aimer la politique c’est assumer aussi un certain amour de la connerie, ou une certaine pitié pour les cons (y compris, et avant tout, tous ceux qu’on cache en soi), ou au moins une dialectique un peu plus subtile entre l’esprit de finesse et l’esprit de connerie. A contrario, ceux qui refusent tout le rituel électoral et méprisent la bêtise et l’inculture de notre personnel politique, certes incontestables aujourd’hui, risquent non seulement de finir par nous dépolitiser complètement à force de raisonnements intelligents mais par ne même pas parvenir à cacher leur propre sottise (parce que crier « tous les mêmes », en termes de simplisme et de populisme, ça se pose là aussi). Pour ces deux raisons, et pour tous ceux qui partagent la même fatigue, nous avons décidé d’écrire ce texte. Nous le faisons une fois. Et puis plus jamais.

Après avoir énuméré toutes les raisons de ne pas voter – « le vrai geste libre serait de ne pas donner sa voix, de ne pas mettre son bulletin dans l’urne, et de faire de ce refus la pointe militante d’une critique » -, les auteurs énumèrent les trois mauvais contre-arguments, ceux qui sont d’usage quant il s’agit de convaincre de la pertinence du vote. Mauvais parce que moraux et culpabilisateurs :

  1. Des gens se sont battus et ont donné leur vie pour le droit de vote. Argument infantilisant façon finit ton assiette, il y a des petits africains qui meurent de faim.
  2. Voter est un devoir. Argument péremptoire et tautologique, qui récuse d’avance tout débat sur la pertinence du vote.
  3. Ne pas voter, c’est voter pour l’autre. En refusant de voter à gauche, tu favorises la droite – et inversement. Argument jugé idiot autant qu’inefficace.

Au « moralisme culpabilisateur » de tels arguments, les auteurs préfèrent des arguments politiques. Et en la circonstance, le premier d’entre eux est le vote contre :  « Votons en 2012 pour barrer la route à Sarkozy ». Un vote contre « le racisme d’Etat qui est devenu la voix commune de tout un gouvernement », contre « une politique qui ne cesse de dresser les pauvres contre les pauvres », contre la poursuite du « démantèlement du service public [et] la mise en place durable et définitive d’un modèle néo-libéral, à la façon d’un Reagan ou d’une Thatcher », contre « la république des petits chefs qui s’est insidieusement mise en place », contre « la politique du fait-divers qui envahit l’espace public et qui revient à placer en criterium du politique le crime dégueulasse ou le viol immonde »…

Parce que nous sommes fatigués d’une clique raciste, xénophobe, autoritariste, nous prendrons donc avec joie le chemin du vote-sanction, comme l’appellent les journalistes. La criminalisation ouverte, affichée, successive de toutes les catégories les plus fragiles de la société, des mineurs transformés en délinquants aux fous transformés en déviants à enfermer, en passant par les Roms à évacuer, nous n’en voulons plus. Et d’abord pour des raisons politiques.

[…] La seule question est double. Elle est de savoir d’une part si, quelle que soit la forme que puisse prendre un gouvernement alternatif au sarkozysme, il pourrait s’avérer pire encore que l’actuel, et d’autre part de savoir si une politique du pire est aujourd’hui souhaitable ou non.

A ces deux questions, il est évidemment répondu que non. Et il s’agit donc en 2012 de voter, afin de voter contre Sarkozy.

Mais il ne s’agit pas seulement de voter pour voter contre. Les auteurs de l’article identifient deux raisons de voter pour. Voter en faveur d’une réforme fiscale et voter en faveur de l’éducation, qui est le double point commun de tous les programmes des candidats « situés à la gauche de Bayrou ».

Pour la réforme fiscale, il s’agit de hurler :

Hurler que nous ne voulons plus que les plus riches voient leurs contributions diminuer quand la TVA pèse plus lourdement sur les plus pauvres. Hurler que nous savons aujourd’hui que l’impôt sur le revenu en France est régressif surtout pour les 0,1% les plus riches (qui en moyenne ont un taux d’imposition de 35% contre plus de 40% pour les 10% les plus démunis). Hurler que ce système inégalitaire est miné par les niches fiscales, les exemptions de taxation sur les hauts revenus et surtout par la moindre taxation des revenus du capital.

Pour ce qui concerne l’éducation :

En matière d’investissement en capital humain, l’Éducation nationale, ou l’éducation tout court, a été passablement laminée par le gouvernement de droite que nous subissons.  Que la gauche fasse vraiment mieux n’est pas sûr. Mais elle pourrait difficilement faire pire. Et qu’elle annonce prendre enfin en compte, à juste titre, la maternelle et l’élémentaire, est un début qui nous intéresse — quand bien même ce ne serait qu’un début, ou un minimum.

Les auteurs notent alors que :

Voter contre un pouvoir en place, voter pour une partie de programme, ne fait sauter personne de joie. Mais reste dans l’expression populaire qu’est le vote la possibilité d’une perturbation rappelant à ceux qui l’auraient oubliée que nos gouvernants préféreraient faire sans nous. […] Aussi paradoxal que cela puisse paraître, nos élus craignent le vote. Impossible alors de ne pas profiter de ce rare pouvoir qu’ils nous concèdent.

C’est là leur troisième argument en faveur du vote : sa capacité perturbatrice. « La puissance du vote, c’est que son résultat, s’il peut être ignoré, n’est jamais sans conséquence », plaident-ils. Ajoutant un peu plus loin : « Savoir que l’on vote pour se donner de meilleures conditions pour les luttes et résistances qui suivront, c’est se préserver d’avance de la déception et de la désillusion. »

Vient alors le dernier chapitre de leur plaidoyer en faveur du vote, intitulé Merde aux croyants. Il débute ainsi :

Considérer que le vote est question moins d’espérance et de crainte que de calcul stratégique, c’est se prémunir d’avance contre ces postures boudeuses et infantiles. « Ah, Mitterrand, tu m’as bien déçu », c’est la rengaine chantée par ceux qui refusent de penser sincèrement le vote pour ce qu’il est : un simple moment dans un faisceau de stratégies politiques plus larges.

Défendre une conception pragmatique, non simplement de son vote, mais surtout du moment politique du vote, c’est renoncer d’avance à l’illusion qu’il puisse « changer la vie » et le détacher de ce qu’il trimbale encore de sacralité, de fétichisme et de croyance. Le vote que nous défendons n’est pas un vote de croyance : ce n’est pas le vote de ceux qui ne croient plus, ni le vote de ceux qui espèrent croire, c’est celui qui refuse la téléologie du vote, pour privilégier les pensées du possible.

Et se termine ainsi :

On ne construit pas des rapports de force seul devant son téléviseur le soir des élections, mais en affirmant qu’occuper le vote est déjà un bon prélude pour occuper le terrain. Car si l’espace public nous a été volé comme on nous vole notre temps, il nous appartient.

Voilà.

Un florilège plutôt qu’une synthèse, et qui peut-être aura su vous donner l’envie d’aller lire cet article passionnant dans son intégralité. Je l’espère en tout cas.

Et s’il fallait tout de même d’une phrase faire une synthèse, je pense que ceci pourrait convenir : Refuser le vote c’est se barricader au fond d’une impasse. Choisir de voter c’est en finir avec l’intolérable et entrer dans l’ère du possible.

Mais je ne résiste pas à vous livrer encore de cet article la conclusion en forme de post-scriptum, parce qu’elle est tout simplement délicieuse :

Dans un esprit d’impartialité on voudrait rappeler pour finir que, s’il y a de mauvais arguments pour ne pas aller voter les 22 avril, 6 mai, 10 et 17 juin prochains, il y a pléthore de bons : être étranger et se voir refuser ses demandes de naturalisation depuis 15 ans ; avoir moins de 18 ans ; être déchu de ses droits civiques ; avoir perdu son emploi sous Mitterrand et sa maison sous Jospin ; se faire voler tous ses papiers le matin du vote ; partir le matin des élections vers son bureau de vote et se faire renverser par une voiture ; se faire renverser par une voiture la veille des élections, même l’avant-veille, même par une moto, même une semaine avant si le choc fut mortel ; plus généralement mourir avant le vote d’un accident quelconque, ou d’un cancer, d’une leucémie, d’une attaque cardio-vasculaire, de la grippe espagnole, du rhume (dans tous ces cas, vraiment, soyons justes, rien à redire) ; être dans le coma ; apprendre au moment de rentrer dans l’isoloir que son mari et ses sept enfants viennent de périr dans un incendie ; être interné pour crise mélancolique grave le matin du premier tour, même le matin du second tour ; oublier jusqu’à son propre nom le jour J et errer toute la journée dans les rues en se demandant tout du long pourquoi cette hâte et ce sentiment d’urgence inquiet ; souffrir d’un raptus amnésique et ne plus se souvenir que Nicolas Sarkozy est notre président depuis cinq ans et risque de le demeurer. Tout de même, il y aurait là l’embarras du choix.