Août 312008
 

La route Cormac McCarthyVous pouvez lire, comme chaque année, Christine Angot ou Catherine Millet, par exemple, ou d’autres… Il y a parmi eux sans doute quelques écrivains véritables… de même que parmi les 675 bouquins en librairie qu’ils ont produits pour cette rentrée littéraire vous trouverez quelques bons mots qui vous réjouiront, quelques lignes qui vous désennuieront, peut-être même quelques romans passables et qui vous feront passer un moment tout à fait sympathique, sait-on jamais…

Peut-être, je ne sais pas, moi je ne les lirai pas ; pas tout de suite, ne pas acheter ce qu’on veut me vendre, ne pas entrer dans une librairie comme on va en grande surface choisir ses yaourts, et ne pas en sortir comme on a acheté de la viande chez son boucher. Vous l’aurez compris, je n’apprécie guère pas la rentrée littéraire, pas plus que je ne suis jamais parvenu à apprécier ou même estimer un peu l’un ou l’autre des auteurs charismatiques qui en sont les habitués, les fers de lance, les icônes marketing et qui parlent de leur cul ou de leurs intestins, de leurs egos malades, de leurs nostalgies aussi surfaites que convenues, d’un peu de tout et surtout de rien avec à l’occasion un savoir faire indéniable mais le plus souvent sans talent littéraire particulier, sans génie, sans âme : on lit, on aime un peu ou pas du tout, aussitôt on oublie. Au mieux, une passade.

Cormac McCarthy est un écrivain qui a du génie et qui vient de nous livrer un roman phénoménal. Il est entre autres l’auteur de Suttree ou De si jolis chevaux et, plus récemment : Non, ce pays n’est pas pour le vieil hommeNo country for old men que je n’ai pas lu encore mais qui a donné un film splendide réalisé par les frères Coen (lesquels dans leur domaine ne sont pas non plus tout à fait dépourvus de génie). Sur Wikipedia, je lis que « le critique littéraire Harold Bloom considère Cormac McCarthy comme un des quatre romanciers américains majeurs de son époque, aux côtés de Thomas Pynchon, Don DeLillo, et Philip Roth. On le compare régulièrement à William Faulkner et, plus rarement, à Herman Melville. Autant que je puis me le permettre, je confirme – à ceci près que je ne connais pas Thomas Pynchon et que j’aurais également cité Russell Banks.

Bref, venons-en au fait, c’est-à-dire à ce roman phénoménal qu’est La Route, dernier né de Cormac McCarthy donc et livre apocalyptique s’il en est : c’est que la fin du monde a eu lieu ! Un homme – désigné comme « l’homme » tout au long du roman – et son fils – « le petit » – errent sur une terre dévastée, littéralement en cendres, et sous un ciel noir que ne savent plus percer les rayons du soleil. Un monde où toute vie, animale ou végétale, a presque entièrement déserté. Un monde misérable et violent où quelques rares survivants parmi les hommes menacent à chaque pas que l’on parvient encore à faire sur cette route qui ne peut mener nulle part mais qu’ils parcourent tout de même parce qu’il s’agit de ne pas renoncer à être. Parce que contre toute raison, dans ce monde sans espoir, l’homme espère en son fils dont l’innocence semble encore, miraculeusement, intacte. Le petit est ce qui reste de conscience à l’homme et le retient de sombrer dans le renoncement à sa propre humanité. Aussi l’homme assure-t-il la survie de son petit, lui trouve de quoi ne pas mourir de faim ou de froid, le protège des méchants et dit « tu comprends, je dois m’occuper de tout« … tandis que le petit assure la survie de l’humanité de son père et lui répond « non, je dois m’occuper de tout » et c’est lui qui a raison parce que le plus grand danger qui les menace n’est pas la faim ou le froid, ni la mort, mais d’avoir à renoncer à eux-mêmes en devenant à leur tour ces méchants qui pour survivre tuent et mangent leurs semblables plutôt que de continuer à les considérer comme des frères auxquels s’unir dans une solidarité de destin, franchissent l’une après l’autre toutes les frontières de l’humanité et il s’agit donc de n’en pas franchir une seule sauf à risquer de ne plus être différents de ceux-là qui ont tué, décapité, embroché et mis sur les braises un nouveau-né dans l’intention de tromper un peu la faim et prolonger à tout prix leurs existences terrifiantes de solitude. Eux seront donc les gentils, le resteront et même si cela ne devait servir à rien. Désespérément humain et parce que c’est le dernier espoir qui leur reste.

Un roman profondément noir et pourtant éperdument chargé d’humanité et de poésie. Un livre d’une puissance rare écrit au scalpel et qui vous écorchera vif. Vous pouvez bien entendu ignorer mon conseil et choisir de vous plonger une fois encore dans les efforts plumitifs d’une Amélie Nothomb. Sûr alors que vous en ressortiriez indemne, réjoui de pouvoir vous dire que même pas mal !… Cependant, vous ignoreriez aussi combien riche est parfois la douleur quand l’intelligence et la poésie s’en mêlent, et combien la grandeur d’un écrivain parvient par la grâce de ses mots à grandir son lecteur qu’il maltraite de tout son talent et jusqu’à lui arracher le coeur pour mieux l’émouvoir.

Source : La Route, de Cormac McCarthy