Août 122008
 

le désir d'écrire / le plaisir d'être luEt Lola qui ne s’endort pas depuis sept cents kilomètres. Lola qui nous fait partager son impatience depuis six cent quatre-vingts kilomètres. Quand est-ce qu’on arrive, Papa ? On est arrivé bientôt, Papa ?… Lola qui a faim ou soif, ou envie de faire pipi, et qui ne cesse de geindre. Maintenant elle a mal au cœur. Je ne la supporte plus.
« Papa, j’ai mal dans le cœur », dit-elle.

Je ne la crois pas. Je n’ai pas envie de la croire. L’expression enfantine qu’elle a employée devrait me faire sourire, mais je ne la supporte plus. Je voudrais juste qu’elle s’endorme. Qu’elle se taise. Cela fait deux grosses heures que la nuit a étendu son manteau sur le ruban d’asphalte sombre et que les phares blancs des autres véhicules me brûlent les yeux. Fatigué de tenir le volant, je suis fatigué de tout. Paris n’est plus très loin dont on devine au loin la lueur. Je voudrais y être déjà.
« Lola, tiens-toi un peu tranquille. Tu vomiras quand nous serons à la maison. »

Depuis que nous avons passé le péage, les camions sont plus nombreux, mais la circulation demeure encore relativement fluide pour un retour de vacances. Rien à voir avec ce que nous avons traversé dans la vallée du Rhône. J’ai bon espoir de franchir le périphérique dans la demi-heure. Nous serons à la maison avant minuit, je pense.

Et Sylvie qui depuis que la nuit est tombée se contente de somnoler sur son siège. Sylvie qui ne se donne plus la peine de me faire la conversation. Je ne m’en plains pas d’ailleurs. Elle pourrait tout de même s’occuper de sa fille. Mais c’est à moi qu’elle s’adresse :
« Elle est vraiment pâle, tu sais. On devrait peut-être s’arrêter. »

Je suis épuisé. J’en ai marre d’être cloîtré dans cette voiture, marre de tout. Être enfin arrivé est tout ce qui m’importe.
« On dirait vraiment que tu ne la connais pas. Quand elle est comme ça, elle serait capable de se faire saigner du nez pour simplement avoir raison. Elle a tenu sept cents bornes, elle en supportera bien quelques dizaines de plus. »

Le silence s’installe dans la voiture. Je déteste avoir le mauvais rôle. Être enfin arrivé… Il faudra encore sortir les bagages du coffre, les monter jusqu’à l’appartement. Quatre étages, pas d’ascenseur, des valises qui pèsent chacune une tonne. J’aurais bien mérité une bonne nuit de sommeil, mais demain matin lever à sept heures trente pour aller travailler plus.

Je roule excessivement vite. Sylvie ne dit plus rien. C’est tant mieux. D’ailleurs tout le monde roule trop vite. L’approche de l’écurie sans doute.

«  Papa ? »
Je commence à penser qu’elle le fait exprès. Je suis excédé :
«  Quoi encore ?!
– Je crois que j’ai vomi dans la voiture…
– Putain, c’est pas vrai ! »

La colère est une vague qui me submerge. Je me retourne. J’ouvre la bouche pour hurler sur l’insupportable enfant. Et puis c’est le cri de Sylvie qui me parvient, comme s’il sortait de moi alors qu’il s’y engouffre :
«  Marc, le camion ! »

Et le semi-remorque qui se couche, l’interminable semi-remorque qui n’en finit pas de se coucher en travers de la route. Qui s’étend là devant nous avec une surprenante langueur et qui glisse et n’en finit pas de glisser. Je n’ai le temps de rien. J’enfonce la pédale de frein, je tourne le volant dans un sens et puis dans l’autre, je n’en finis pas d’avoir le temps de rien.

Je perçois le long silence atterré qui tournoie dans l’habitacle juste avant que se produise l’impact et je n’ai non plus le temps que coule une larme.

 

 


Source : Retour de vacances