Mar 152012
 

Jean-Luc MélenchonJ’avais un instant pensé, rêvé que Jean-Luc Mélenchon avait compris qu’il pouvait être utile à la gauche, c’est-à-dire utile aux Français qui ont besoin de la gauche, parce qu’ils sont en souffrance sociale. Que pour être utile, la gauche a besoin de devenir majoritaire en France.

Jean-Luc Mélenchon a parfaitement raison de chercher à faire gagner des voix au Front de Gauche, faire croître son poids électoral à l’occasion de cette élection présidentielle, c’est son rôle et c’est sa très légitime ambition politique. Faire progresser ses idées. Faire en sorte que le Front de Gauche passe dans un premier temps la barre des 10% – cela semble être fait -, puis atteigne celle des 15% – cela sera compliqué mais je lui souhaite. Aller au-delà ensuite, que le Front de Gauche devienne majoritaire à gauche – pourquoi pas, le combat politique est fait de rêves et d’ambitions…

Mais quel intérêt tout cela, si cela se fait sur le dos du reste de la gauche, c’est-à-dire aujourd’hui du Parti Socialiste et de son candidat François Hollande ? Jean-Luc Mélenchon ignore-t-il ce que sont les rapports de force entre la gauche et la droite ?

Rappelons-les lui.

A ce jour, la gauche pèse à la louche, peu ou prou, 40%. Disons 28% pour le Parti Socialiste et ses alliés (PRG et MRC), 10% pour le Front de Gauche (PdG et PCF), et 2% pour Europe Ecologie Les Verts et l’extrême gauche trotskiste (NPA et LO).

Reste donc 60% pour la droite. 28% pour l’UMP, 16% pour le Front National, 13% pour le Modem et 3% pour les Villepin et Dupont-Aignan.

Jean-Luc Mélenchon aura beau faire de s’évertuer à arracher un, deux ou cinq points à François Hollande, ou même dix ! il n’en restera pas moins que la gauche resterait à 40%, et perdrait l’élection. Admettons dix points, soyons fous : avec 20% des suffrages, Jean-Luc Mélenchon passerait devant François Hollande (18%). Très bien. Et ensuite ? Jean-Luc Mélenchon serait au second tour. Et ensuite ? Il perdrait l’élection et Nicolas Sarkozy resterait président de la République.

Battre la droite et Nicolas Sarkozy, faire gagner la gauche, il est évident que cela ne se produira pas si la gauche considère que son gâteau de 40% est à partager entre chacune de ses composantes, lesquelles se crêperaient mutuellement le chignon pour en obtenir la plus grosse part. Il ne peut s’agir que de parvenir à faire grossir le gâteau, d’abord au premier tour, ensuite au second.

Le fait est qu’au second tour, seul François Hollande est en mesure de rassembler au-delà de la gauche – et je suis certain que ce n’est pas faire offense à Jean-Luc Mélenchon que d’affirmer cette réalité politique.

La seule stratégie pour Jean-Luc Mélenchon qui puisse être utile à la fois au Front de Gauche et à la gauche toute entière, est d’aller chercher des voix au-dehors de la gauche. Et d’abord évidemment parmi les classes populaires en désespérance, tentées soit par l’abstention soit par un vote Front National.

Alors oui, c’est sans aucun doute plus difficile que de jouer l’habituel petit jeu du « je suis la seule vraie gauche », mais à quoi bon avoir une grande gueule si c’est pour la jouer petits bras ?

A quoi bon se gargariser de la gauche si c’est pour au final adopter une stratégie qui ne peut que conduire à la faire perdre ?

A quoi bon clamer que l’on est le pire ennemi du Front National si c’est pour au final favoriser la victoire – ou même ne pas l’empêcher – d’un Sarkozy qui jour après jour en reprend toutes les propositions et toutes les outrances ?

Oui, camarade Mélenchon, les voix socialistes te sont sans doute les plus faciles à conquérir, elles te donneront sans aucun doute non plus la satisfaction toute personnelle d’un score honorable, mais pour quel résultat si une telle facilité politique ne contribue à rien d’autre qu’à permettre la réélection de Nicolas Sarkozy ?

Participer à une élection c’est vouloir la gagner, pas y figurer de manière honorable en la jouant facile et petits bras. Et il n’y a que deux façons de gagner une élection, soit en la gagnant soi-même, soit, à défaut, en contribuant à la victoire de son camp. Dans les deux cas il ne peut s’agir que d’aller arracher à la droite – et à l’abstention – un nombre conséquent d’électeurs.

Camarade Mélenchon, taper sur les socialistes et leur candidat, ne peut en aucun cas t’apporter la victoire et, dans le même temps, cela ne peut qu’en priver François Hollande. Dans les deux cas la gauche est perdante et Nicolas Sarkozy sort une nouvelle fois vainqueur.

C’est que, vois-tu, tu auras beau dire et vilipender la thématique du vote utile, si en l’état actuel la présence de François Hollande au second tour n’est en effet pas menacée – pour l’instant ! – il n’en reste pas moins que la victoire à une élection présidentielle est aussi une histoire de dynamique électorale, que ce ne serait de toute évidence pas tout à fait la même histoire si au soir du premier tour François Hollande se situait proche des 30% et devant Sarkozy, plutôt qu’il sorte à moins de 25% et derrière.

C’est à chaque électeur de juger de l’utilité de son vote au premier tour, mais il ne serait pas forcément illégitime qu’il choisisse de glisser dans l’urne un bulletin qui favorise une dynamique électorale qui conduise François Hollande à éjecter Nicolas Sarkozy de la présidence de la République, plutôt qu’un autre qui ne contribuerait qu’à donner à Jean-Luc Mélenchon la satisfaction d’un score honorable – qui serait tout de même de peu d’utilité si cela s’accompagnait d’un nouveau mandat offert à Nicolas Sarkozy.

Je serai le premier à me réjouir si Jean-Luc Mélenchon parvenait à se retrouver devant Marine Le Pen à l’issue du premier tour. Ce n’est certainement pas sur le dos de François Hollande qu’il y parviendra. Pas en la jouant petits bras, mais en montant au front sans relâche pour convaincre les électeurs tentés par le vote Le Pen que c’est à gauche que leur révolte saura s’exprimer et s’épanouir, que c’est la gauche qui avance les vraies solutions à leurs problèmes, que l’ennemi ce n’est pas l’immigration mais ce capitalisme sauvagement libéral duquel s’est toujours très bien accommodée l’extrême-droite.