Mai 022007
 

« Ma lettre aux Français »

Nous voici dans la dernière ligne droite d’un grand et beau combat démocratique qui va décider de l’avenir et des valeurs de la France pour cinq ans et en réalité plus longtemps encore. Aujourd’hui, le choix se clarifie et c’est très bien ainsi. C’est un choix entre deux conceptions différentes de l’exercice du pouvoir, deux conceptions du redressement économique, social et écologique du pays, deux approches de l’Europe et du rôle de la France dans le monde.

Le désir de changement est vif et très largement partagé. Face à un système dépassé, injuste et inefficace, inefficace parce qu’injuste, une majorité de Françaises et les Français n’en peuvent plus et n’en veulent plus. L’exaspération est là, palpable, mais l’espérance aussi. Je veux y répondre en réformant profondément le pays mais sans brutalité et en rassemblant largement, au-delà des partis et des blocs, tous ceux qui veulent une France plus fraternelle et en même temps en prise sur son époque, capable d’en relever les défis, forte d’une confiance retrouvée et qui réconcilie l’efficacité économique et sociale. Trop de temps a été perdu, trop de cartes gâchées, trop d’inégalités creusées, trop d’inefficacité économique, trop de dette : il y a urgence. A chacun de prendre ses responsabilités.

La France a choisi pour devise des valeurs universelles. La France n’est jamais aussi forte, aussi respectée, aussi aimée que quand elle porte haut et fort ce message de justice et quand elle en donne l’exemple chez elle. Quand ces valeurs sont malmenées, la France ne se reconnaît plus.

Je veux une France de liberté. Et la première des libertés, c’est celle de choisir et de conduire sa vie. Parce qu’on a un bon bagage éducatif de départ. Parce qu’on a un emploi qui permet de vivre dignement et de faire des projets. Parce qu’on conserve sa vie durant le goût d’apprendre et la possibilité de se former. Parce que les solidarités sont au service de cette liberté et de cette responsabilité individuelle. Je sais que nous sommes nombreux, très nombreux, à ne pas vouloir que notre pays soit transformé en laboratoire d’un berlusconisme tardif qui va s’aligner sur les postures de Georges Bush. Je sais que nous sommes nombreux, très nombreux à rejeter la confusion des pouvoirs, la mise au pas des contre-pouvoirs, la soumission au pouvoir de l’argent. Voilà pourquoi j’appelle au rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas d’un Etat de droit au plus bas et d’un recul des libertés publiques.

Je veux une France de l’égalité des possibles, pas simplement formelle mais réelle. L’égalité républicaine, ce n’est pas tout le monde sous la toise, ce n’est pas l’uniformité. C’est le droit égal garanti à chacun qu’il pourra aller au bout de ses possibilités, grâce à la priorité donnée à l’Education, qu’il sera aidé quand il en aura besoin, qu’il lui faudra donner s’il a reçu car l’égalité des droits suppose l’égalité des devoirs. L’égalité républicaine, c’est l’assurance donnée à tous d’un traitement impartial, indifférent à la naissance, à l’origine, à la fortune, au carnet d’adresses. Ce n’est pas l’exonération des droits de succession pour les patrimoines les plus riches, cette restauration des privilèges héréditaires de la rente contre lesquels, jadis, le peuple français fit une Révolution. Ce n’est pas la promotion de quelques uns sous prétexte de discrimination positive, qui assigne à l’origine et masque mal l’abandon du plus grand nombre. Ce n’est pas la remise en cause de la loi de 1905 pour mettre les religions dans la politique et la politique dans les religions, ce n’est pas l’instrumentation des communautarismes et des clientélismes. Ce qui menace notre identité nationale, ce n’est pas l’immigration régulière, c’est la destruction de notre pacte républicain. Car il en va ainsi chez nous : quand la République s’affaisse, la France s’abaisse.

Je ne veux pas d’une France en proie au doute, tentée par le repli, s’abandonnant à la peur, affaiblie par ses divisions et impuissante à maîtriser son destin. Je veux une France de la fraternité, une France unie qui reprenne la main. Une France capable de changer sans se perdre. Une France capable de se réformer parce qu’au clair sur ses valeurs et forte de tous les siens. Sans la fraternité, la liberté et l’égalité se désaccordent. Voilà pourquoi j’appelle au rassemblement de tous les Républicains de progrès qui veulent, eux aussi, que la loi du plus juste l’emporte sur la loi du plus fort. Voilà pourquoi j’appelle au rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas d’un pouvoir confisqué par un seul parti et soumis aux puissances de l’argent et aux injonctions du Medef et du CAC40.

L’Etat, spécialement en France où sa formation est ancienne, a préexisté à la démocratie. Il s’est construit dans des siècles où l’arbitraire était la règle et le droit l’exception. Depuis 1789, et malgré des retours en arrière, l’Etat a dû se plier au respect de la loi : le citoyen a peu à peu conquis des droits, l’anonymat et la brutalité de l’action publique ont dû laisser place à plus de transparence et de dialogue.

Mais notre Etat porte encore les stigmates des conditions de sa naissance et des habitudes d’un pouvoir sans frein. Qui ne voit que l’autorité judiciaire ne jouit pas encore de la pleine indépendance imaginée par Aristote et élaborée par Montesquieu ? Qui ne voit que les citoyens sont ravalés souvent encore à la condition subalterne d’administrés et ne parviennent ni à comprendre la logique des décisions qu’on leur impose, ni à faire valoir leur droit légitime dans les arcanes d’une administration qui les traite parfois en importuns ? Qui ne voit que la collusion des pouvoirs politiques et économiques bride l’indépendance de la presse et favorise les abus dans les nominations et les rémunérations comme on l’a vu à Airbus ? La droite porte la lourde responsabilité d’avoir aggravé la subordination de la justice, ignoré les citoyens et confondu l’intérêt public avec les intérêts privés.

Les Français veulent un Etat impartial et je veux le construire avec eux. Aujourd’hui, l’Etat n’est pas assez présent là où on a besoin de lui mais il est envahissant là où il multiplie sans raison les procédures et la bureaucratie, le maquis des aides et des démarches. Il est trop timide là où il devrait jouer son rôle d’entrainement et trop lointain là où il devrait être proche, à l’écoute, réactif. Il se trompe souvent quand il décide seul. Voilà pourquoi j’appelle au rassemblement de tous ceux qui veulent un Etat réformé avec des services publics efficaces, un Etat qui enraye la vertigineuse croissance d’une dette qui l’étouffe.

Je veux une France capable de vérité. Une France lucide sur ses points faibles, énergique sur ses points forts, capable d’anticiper les mutations nécessaires, de se mobiliser pour réinventer son avenir, d’investir dans l’éducation, la recherche et l’innovation, aujourd’hui paupérisées et sinistrées, dans la qualification et les emplois de qualité. Car c’est la seule réponse vraiment moderne aux transformations de l’économie mondialisée et de la compétition planétaire. Le projet coercitif de Nicolas Sarkozy se trompe d’époque et tire la France du mauvais côté de la nouvelle division internationale du travail. Il ne comprend pas l’efficacité économique du travail pour tous et du bien-être au travail. En disant aux uns de « travailler plus pour gagner plus » et en faisant peser sur les autres, ceux qui n’ont pas d’emploi, le soupçon de paresse et de fraude, il empêche la France de tirer parti de son principal atout, de son avantage concurrentiel le plus durable : son capital humain. Quel est ce projet de société où l’on ne pourrait pas s’en sortir dans le cadre de la durée légale du travail ? Ce qu’une vision archaïque ne cesse de disjoindre et d’opposer – la performance économique, la performance sociale, la performance écologique – je veux au contraire le lier solidement ensemble car c’est ainsi que la France se relèvera, misera sur les activités et les emplois de demain. L’économique d’un côté, le social de l’autre, l’écologique à part, cela ne marche pas, cela ne marche plus. Personne n’a jamais réussi à restaurer la compétitivité française, stimuler la créativité, l’inventivité, la réactivité économiques dont nous avons besoin en écrasant, en méprisant, en traitant mal les salariés producteurs de richesses. Ce modèle est inefficace, comme le prouve la situation actuelle, car l’avenir de la France, ce sont des productions à forte valeur ajoutée, des services de qualité donc des salariés qualifiés, motivés, engagés dans leur travail. Je veux, avec les PME construire une nouvelle donne qui leur permettra de réussir, de se développer, de conquérir les marchés. En un mot, de réconcilier la France avec les entreprises.

Il faut un regard neuf sur l’économie du XXIème siècle et, pour tirer parti de nos atouts, de nouvelles règles du jeu. Il nous faut inventer et mettre en place les nouvelles sécurités qui ne seront pas l’ennemie mais la condition de la prise de risque et de l’agilité nécessaire dans la « grande transformation » du temps qui est le nôtre. L’Etat sera garant de ce nouveau compromis social et du nouveau dialogue qui, arrachant la France à l’archaïsme de ses relations de travail, fondera enfin dans notre pays une démocratie sociale facteur de réussite économique.

Le pays a besoin d’oxygène. Voilà pourquoi la nouvelle République que je veux bâtir avec tous repose sur quatre piliers à mes yeux indissociables : une démocratie représentative rééquilibrée, une démocratie participative vivante, une démocratie sociale forte d’un syndicalisme de masse et une démocratie territoriale où chaque échelon de la puissance publique sait, sans doublons, ce qu’il a à faire.

La voix de la France dans le monde a faibli. Sa place en Europe, comme inspiratrice de sa construction et garante d’un juste équilibre entre développement économique et progrès social, est contestée. Avec moi, elle retrouvera son rang et son influence, elle défendra ses intérêts sans crispation ni arrogance, en recherchant toujours des compromis dynamiques et les solutions les meilleures pour elle comme pour nos partenaires.

L’Europe est en panne institutionnelle et en panne d’idéal, en mal de projet. Où va l’Europe ? A quoi sert la construction européenne ? C’est parce que depuis trop longtemps nous n’avons pas su répondre à ces questions, qu’une majorité de nos concitoyens ont dit non il y a deux ans. Je ramènerai la France à la table de l’Europe, parce que c’est ensemble, avec tous nos partenaires, anciens et récents, que nous préparerons le plus efficacement l’avenir. Je veux une Europe de la connaissance, où les étudiants et les chercheurs échangent, travaillent ensemble, voyagent, coopèrent. Je veux une Europe de l’excellence écologique. Je veux une Europe qui comprenne que l’efficacité économique et le respect des salariés ne vont pas l’une sans l’autre. Je veux une Europe qui protège ses emplois, non pas de façon conservatrice et statique, mais en innovant, en se projetant dans l’avenir, en construisant les industries et les services de demain. Je veux une Europe où les salariés seront sécurisés, mieux formés, mieux rémunérés. Je veux enfin une Europe qui pèse dans la mondialisation, une Europe qui porte par ses actes un message de développement économique et humain, d’égalité entre les hommes et de paix entre les peuples. L’Europe doit se tourner vers l’Afrique pour l’aider à s’arracher à la pauvreté, vers l’Amérique latine où elle est attendue, vers l’Asie où sont les nouvelles grandes puissances économiques et politiques. Elle doit trouver un juste équilibre dans ses relations avec les Etats-Unis, pays ami et allié, et l’amener à renoncer à l’unilatéralisme et à accepter la nécessité du développement durable.

Cette France neuve, ce vote d’audace pour un changement serein mais garanti, c’est celui d’une France Présidente qui avance parce que chacun et chacune est appelé à donner le meilleur de lui- même. »

Ségolène Royal

On parle de : « Ma Lettre aux Français », par Ségolène Royal