Mar 222012
 

Terroriser les terroristesCe matin, j’écrivais qu’il était impératif de lutter avec la plus extrême vigueur contre la menace terroriste, en fournissant aux services de renseignements, aux services de police et à la justice tous les moyens républicains nécessaires – républicains, c’est-à-dire préservant les libertés publiques et garantissant à chacun ses droits, parce que la République ne saurait se protéger en se reniant.

Cet après-midi, après l’assaut donné par le RAID et la mort du terroriste psychopathe, Mohamed Merah – opération au cours de laquelle visiblement quelque chose s’est mal passé – Nicolas Sarkozy a débuté son allocation en président de la République – une nouvelle fois un discours digne et républicain, rassembleur – avant de le finir en candidat, pressé de récupérer à son profit une tragédie et faire un coup politique.

Adepte depuis toujours des effets d’annonce, c’est donc au coeur du fait divers et de l’émotion, sans prendre le temps du recul, de la reflexion et de la consultation, qu’il sort de son chapeau des annonces. Trois en la circonstance :

Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement.

Toute personne se rendant à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme sera punie pénalement.

La propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes seront réprimées par un délit figurant dans le code pénal avec les moyens qui sont déjà ceux de la lutte antiterroriste.

Sur la forme, on notera avec intérêt que pour Nicolas Sarkozy parler c’est agir. Après cinq années de présidence, il ne semble toujours pas avoir compris qu’il existe en France quelque chose qui s’appelle le pouvoir législatif, plus communément appelé le parlement, où les élus du peuple sont seuls en capacité de voter les lois, donc de modifier le code pénal – et avant cela d’en débattre.

Mais Assemblée Nationale et Sénat sont certainement là de ces corps intermédiaires qui n’ont, pour Nicolas Sarkozy, d’autre fonction que de l’empêcher de réformer la France. Ce serait tellement plus pratique si l’on pouvait s’en passer, n’est-ce pas ? Certes, la France serait un peu moins une démocratie et un peu plus une dictature éclairée, mais puisque ce serait lui, Nicolas Sarkozy, notre phare et notre guide, la voix autoproclamée du peuple, tout serait pour le mieux. N’est-ce pas ?

C’est incroyable qu’en cinq ans, personne n’ait encore réussi à lui expliquer qu’il avait été élu pour présider la République, pas pour être le chef. Lui dire une bonne fois pour toute, qu’en droit français – n’en déplaise à nos complaisants journalistes – le chef de l’Etat, ça n’existe pas. Et pour cause !

D’ailleurs, Nicolas Sarkozy devrait s’être aperçu que nombre de ses annonces ne se traduisirent jamais dans les faits. Soit parce qu’elles ne donnèrent lieu à aucune loi votées par le parlement. Soit parce que la loi fut censurée par le Conseil Constitutionnel. Soit parce que les décrets d’applications de la loi votée par le parlement et ayant franchi l’obstacle du Conseil Constitutionnel – encore un corps intermédiaire ! – ne furent jamais pris par le gouvernement.

Sur le fond, de toute évidence aucune de ces trois propositions – parce qu’à ce stade donc elles ne sauraient être que cela, n’en déplaise à Nicolas Sarkozy – n’a la moindre chance de répondre de manière républicaines à la menace terroriste.

« Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement. » Lire deviendrait donc un délit pénal ? J’ai un exemplaire chez moi de Mein Kampf, je devrais m’inquiéter ? Ha, toute la subtilité serait dans le de manière habituelle ? C’est n’importe quoi, cette proposition n’a aucune chance de voir jamais le jour et c’est tant mieux.

Evidemment, je juge particulièrement malsain qu’un homme fréquente régulièrement de tels sites, mais une République digne de ce nom pose comme principe intangible la liberté de conscience – aussi mauvaise soit cette conscience. Mais le monde regorge de lectures malsaines – pour peu en tout cas que cette lecture soit faite au premier degré, sans recul. Mais voilà, lire ne fait de personne un criminel ou un terroriste.

Encore une fois, faute de se donner les moyens pour traquer les producteurs, Sarkozy propose de s’en prendre aux consommateurs. Plutôt que de traquer les gros trafiquants de drogue, et de démanteler les filières de blanchiment, s’en prendre au petit dealer et aux consommateurs. Plutôt que de démanteler les réseaux de prostitution, s’en prendre aux clients – et aux prostitués elles-même.Plutôt que démanteler les filières de l’immigration, traquer les immigrés.  Plutôt que de s’attaquer aux marchands d’armes et aux hébergeurs de sites faisant l’apologie du terrorisme, cibler toute personne qui les consultera habituellement…. Dormez, braves gens !

« Toute personne se rendant à l’étranger pour y suivre des travaux d’endoctrinement à des idéologies conduisant au terrorisme sera punie pénalement. » C’est quoi une idéologie conduisant au terrorisme ?

Surtout, là encore, quelle naïveté ! Ou plutôt, quelle hypocrisie ! La tentative d’enfumage est si grossière que s’en serait presque risible – si le sujet n’était si sérieux. Car cette proposition est faite alors même qu’on apprend que la DCRI a entendu Mohamed Merah il y a quelques mois à peine, afin d’obtenir des explications sur son voyage à Kandahar, dans le sud de l’Afghanistan, région à forte activité insurrectionnelle, mais aussi en Israël, en Syrie, en Irak et en Jordanie, ce dernier est reparti après avoir convaincu les agents du reseignements français qui l’avaient interrogé que les motifs de ses voyages étaient purement touristique.

On ne peut mieux expliquer en quoi cette mesure serait tout aussi inefficace, sinon fantaisiste, que la première.

« La propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes seront réprimées par un délit figurant dans le code pénal avec les moyens qui sont déjà ceux de la lutte antiterroriste. » Là encore, c’est quoi une idéologie extrémiste ? Cette imprécision constante dans l’énoncé des propositions de Nicolas Sarkozy est tout de même gênant… Mais c’est précisément parce que c’est l’effet de l’annonce qui est recherché, pas sa concrétisation et encore moins son efficacité – autre qu’électorale, bien entendu.

Mais s’il s’agit de l’apologie et l’incitation à la haine raciale ou religieuse, ou au terrorisme, ce sont là déjà des délits punis pas la loi.

Bref, comme à son habitude, Nicolas Sarkozy parle haut et fort, mais ce ne sont là que forfanteries et rodomontades qui n’auront jamais la moindre efficacité. Gageons que bientôt il se targuera de vouloir « terroriser les terroristes ».