En fait, on aimerait dire à Dan Jemmett, le metteur en scène anglais de cet Hamlet raté, massacré, que si on trouve que Shakespeare en fait trop, tellement trop qu’il faudrait tenter d’alléger la sauce en y trempant une bonne grosse tartine de bouffonnerie, il suffit de ne pas s’aventurer à monter Hamlet, d’y renoncer, de le laisser à d’autres.
Monter ou ne pas monter Hamlet ? On n’est pas obligé ! Certes, c’est tentant, c’est une des plus grande tragédie de l’histoire du théâtre, mais on n’est pas obligé et, si on préfère faire du théâtre de boulevard, si on se sent plus à l’aise dans le potache, il y a aussi de grands textes qui s’y prêtent très bien.
Entendons-nous bien, je n’ai – a priori – absolument rien contre le fait que l’action soit déplacée depuis la cour du royaume de Danemark à un pub anglais très années 70. Et je n’ignore pas que dans Shakespeare le cours tragique du propos est souvent cisaillé par des scènes profondément comiques, truculentes et salaces, bouffonnes à l’occasion. Il n’en reste pas moins qu’Hamlet est une tragédie. D’ailleurs ça s’appelle La Tragédie d’Hamlet. Impossible d’y couper – ou alors il y faut plus de talent, plus d’intelligence, moins de gratuité.
Allons droit au but, c’est dans les chiottes du pub que Denis Podalydès en Hamlet s’interroge : To be or not to be ? Dès lors, mais bien avant même, on ne s’interrogeait plus, tout était dit : cet Hamlet aurait été bien inspiré de n’être pas, plutôt que d’être cet Hamlet de chiottes.
Jouer ou ne pas jouer Hamlet ? Là également était la question et on aurait aimé que Denis Podalydès envisage qu’il est possible d’être un immense comédien et d’entendre, quand même, qu’à plus de cinquante ans, on n’a sans doute plus l’âge d’incarner Hamlet, ce jeune homme qu’est Hamlet, cet adolescent en pleine crise existentielle, ce héros oedipien qu’est Hamlet. En tout cas pas dans une telle mise en scène où le tragique n’est pas pris au sérieux, où rien déjà n’est à sa place. Ça ne pouvait faire que ton sur ton, chiotte sur chiotte.
Je ne sais pas siffler. Alors j’ai hué. Une ravissante jeune fille est venu me dire que c’était une honte, un tel mépris pour le travail des comédiens. J’ai tenté de me justifier, de lui expliquer mon point de vue, que le théâtre était un art du vivant et qu’il l’était en particulier par la présence des spectateurs, qu’on ne pouvait réclamer à ces derniers de n’être bruyants que dans l’acclamation, de n’être qu’un public complaisant et doté de bonnes manières, et que le théâtre se mourait d’être devenu bourgeois, parce que le théâtre est un art subversif ou n’est pas.
Siffler ou ne pas siffler ? Un jour, je rédigerai un manifeste pour la réhabilitation des sifflets et des huées dans les salles de théâtre, et ce ne sera rien d’autre qu’une proclamation d’amour pour le théâtre.
Je fus le seul, bien entendu, à pousser mes hou hou rageurs, mais je soupçonne que quelques autres, au milieu des applaudissements polis, quand ils n’étaient pas convenus, n’en pensaient pas moins. Au hasard, et si cette critique lapidaire ne vous en disait pas encore assez, vous pouvez consulter cet Hamlet aux cabinets dans Les Echos ou encore cet Hamlet au comptoir sur Le Point. Ils sifflent, mais après coup. C’est moins théâtral.
Hamlet ou Mayette ? Telle est en réalité la question, tant il est évident désormais que les deux ne sauraient coexister, à la Comédie Française. Hamlet est la réponse, et il est plus que temps que la Comédie Française se débarrasse d’une Muriel Mayette incapable de la moindre audace dans ses choix de programmation, une administratrice qui semble promouvoir un théâtre qui donnerait le sentiment de s’encanailler à son public bourgeois, en prenant néanmoins grand soin de n’aller jamais jusqu’à le bousculer, encore moins le heurter. Un théâtre de paillettes, du non-théâtre à la Comédie Française, comme on vous servirait une Guinness sans alcool dans un pub irlandais.
Mayette ou le théâtre paillettes : avouez qu’il y a de quoi huer.
EDIT : Deux jours plus tard, hasard des programmations, j’allais voir le Roméo et Juliette monté par Omar Porras, au théâtre 71 de Malakoff. Le contraste était saisissant…