C’est une toute petite anecdote.
Elle dit cependant, et à mon sens, beaucoup du rapport que les journalistes, ces êtres à part enfermés dans leur bulle de savoir, entretiennent avec le reste du monde.
Elle a commencé par un tweet de Pierre Haski, journaliste, cofondateur de Rue 89 et chroniqueur sur Europe 1. La conférence de presse de François Hollande avait commencé depuis une heure et demie :
Une heure trente de conf de presse et pas un mot de politique internationale – Même l’Europe largement absente. Village gaulois. #confPR
— pierrehaski (@pierrehaski) Novembre 13, 2012
Un tweet un peu anodin, le genre de petit tacle dont Tweeter est coutumier, mais qui a rejoint les préoccupations d’un autre journaliste, Samuel Laurent, qui exerce sur lemonde.fr et qui s’est empressé de le reprendre à son compte en le retweetant.
Seulement, la conférence de presse était loin encore de son terme et, surtout, François Hollande avait pris soin, après son discours d’introduction, de préciser qu’il avait été établi que l’on commencerait par les questions de politique intérieure avant d’en venir à la politique internationale, histoire de structurer un peu l’exercice, de ne pas tout mélanger. Aussi me suis-je autorisé à exhorter les deux compères à un peu de patience :
Patientez, @pierrehaski et @samuellaurent, ça va venir. Cela a même été annoncé dès le début. #fautsuivre
— dedalus (@zededalus) Novembre 13, 2012
Et puis quand on en vint donc aux questions de politique internationale, et comme je suis un peu taquin, faut bien avouer, je me suis permis d’enfoncer un peu le clou :
#confPR Voilà, @pierrehaski et @samuellaurent, c’est maintenant. Alors, heureuses ?
— dedalus (@zededalus) Novembre 13, 2012
Qu’arriva-t-il alors selon vous ?
Ils prirent la chose avec humour, reconnurent une petite erreur qui ne prêtait pas à conséquence, expliquèrent que seule leur grande impatience en était la cause ? Pensez-vous !
Ou bien ils traitèrent la péripétie avec dédain, parce qu’elle n’était pas de grande importance après tout, et puis moi non plus d’ailleurs ? C’aurait été une porte de sortie plutôt honorable, il n’y avait tout de même pas de quoi fouetter un chat après tout. Et ce fut en effet l’attitude choisie par Pierre Haski, un silence contrit – il n’aimerait sans doute pas le contrit, mais le qualificatif me plait bien à moi.
En revanche, il faut croire que l’orgueil journalistique de Samuel Laurent en fut bien plus affecté. Et comme la meilleur défense est toujours l’attaque – dit-on – et que la stratégie de l’évitement a fait ses preuves :
@zededalus On va rester correct et éviter la misogynie lourdingue, hein. Merci bien.
— Samuel Laurent (@samuellaurent) Novembre 13, 2012
J’avais donné le bâton pour me faire battre, c’est un fait. Je me laisse facilement aller à la taquinerie, j’en ai fait l’aveu. Mais ce n’était pas le sujet, aussi ai-je tenté de recentrer – une sorte de droit de suite, en somme :
. @samuellaurent Misogynie ? C’était affectueux, voyons. Cela dit, vous vous étiez un peu empressés, non ?
— dedalus (@zededalus) Novembre 13, 2012
Mais il ne voulait pas en sortir et cela donna lieu à l’échange suivant :
. @samuellaurent « On » dit ce qu’on veut, oui. Mais, visiblement, « on » a un peu de mal avec la critique.
— dedalus (@zededalus) Novembre 13, 2012
. @samuellaurent Pas cons. Juste un peu trop sûrs de vous. Et assez inattentifs. Pas très pro, quoi.
— dedalus (@zededalus) Novembre 13, 2012
Samuel Laurent n’est guère, à mon sens, parmi les plus susceptibles de verser dans les petits travers habituels de sa profession, ce refus viscéral de toute remise en question, cette conviction ancrée que le journaliste est par définition libre, donc à la fois intouchable, insoupçonnable et infaillible. Et pourtant, c’est sorti tout de même : « On dit encore ce qu’on veut ».
Comme si exprimer un désaccord, pointer une erreur, apporter un bémol ou une contradiction, était déjà une intolérable atteinte à la sacro-sainte liberté de la presse – et, sainte je ne sais pas, mais elle est en effet sacrée. Cela n’exonère pas de tout questionnement, de toute critique. Que la presse soit libre ne préserve pas de la possibilité que les journalistes puissent à l’occasion se tromper, voire même faire mal leur boulot.
Or s’il est une critique qu’il est possible de faire actuellement à l’ensemble de cette belle et indispensable profession – mais il en est bien d’autres – c’est bien cette accélération du temps médiatique qui conduit de plus en plus à ce que le commentaire précède l’information, cette impatience journalistique qui devient de plus en plus problématique en ce qu’elle finit par tuer l’information elle-même.
Je vais me garder d’évoquer une fois de plus Nicolas Sarkozy, mais les journalistes feraient bien, plutôt que d’interroger François Hollande sur sa présidence normale – ou en sus de l’interroger à ce sujet – de réfléchir à un possible retour à un journalisme normal.
Cette anecdote à une suite, assez savoureuse également, mais le sujet en étant tout autre, je la réserve pour un éventuel prochain billet. Teasing :
@irenedelse Tss tss. La misogynie ne serait-elle pas de considérer que féminiser un homme serait insultant ?
— dedalus (@zededalus) Novembre 13, 2012