Juin 072007
 

Lettre ouverte à mon ami Jean, sarkoziste en espérance

Mon cher Jean,

Depuis aujourd’hui, nous connaissons la traduction concrète des promesses fiscales de Nicolas Sarkozy, ton président de tous les français enfin presque. Si tu le veux bien, regardons ensemble en quoi elles te concernent.

Je sais que ta femme (transmets lui mes amitiés) et toi avez en projet d’acheter ce petit pavillon – devenir enfin propriétaires et pouvoir ainsi, plus tard, laisser un petit quelque chose à vos deux charmants enfants (j’espère que le petit dernier s’est bien remis de sa bronchiolite), plutôt que de continuer jusqu’à la fin de vos jours à dilapider vos maigres revenus dans ce foutu loyer, lequel ne cesse en plus d’augmenter. Si mes souvenirs sont bons l’opération, frais de notaires compris, l’achat de la maison plus les petits travaux qu’il faudra bien y faire pour la rendre un peu plus habitable, vous reviendrait à 200 000 euros (une sacré somme, tout de même).

La dernière fois que nous avons étudié ensemble cette affaire, nous étions parvenu à la conclusion que ta capacité de remboursement était au maximum de 800 euros par mois. Au taux actuel de 4%, assurance comprise, cela te permettait d’emprunter 130 000 euros sur vingt ans. Malheureusement, le petit capital que vous êtes parvenus à constituer au fil des ans, et à force d’efforts, ta femme et toi, n’est que de 50 000 euros. Ce n’est déjà pas si mal, il faut en convenir, mais cela ne permettait pas d’atteindre la somme nécessaire : il te manquait quelque 20 000 euros et il a fallu une nouvelle fois renoncer, reporter cet achat qui, je le sais, vous tient vraiment à coeur. C’est en réalité 150 000 euros qu’il vous faudrait emprunter, ce qui vous coûterait 920 euros par mois, ce que vous ne pouviez raisonnablement pas vous permettre, mais…

Mais Nicolas Sarkozy a été élu, et c’est même pour cela en partie que tu avais décidé de lui apporter ton suffrage. Je suis heureux pour toi de pouvoir t’annoncer que tu avais raison.

En effet, grâce au nouveau président, et à son fidèle aide de camp, tu vas pouvoir recevoir en crédit d’impôts 20% des intérêts de ton futur emprunt. Attention, les cinq premières années seulement – quand j’ai annoncé ce matin à Bernard qu’il ne bénéficierait pas de cette mesure parce qu’il a acheté sa maison il y a cinq ans, il a piqué une sacré colère, tu peux me croire. Ainsi, en empruntant tes 150 000 euros sur 20 ans, tu paierais en moyenne annuelle 5200 euros d’intérêts. Tu ne dépasserais donc pas le plafond de la mesure, lequel pour toi (couple avec deux enfants) est de 8500 euros. Ton crédit d’impôt serait donc égal à 20% des intérêts payés, soit 1000 euros, donc 85 euros par mois… Ce qui augmente d’autant ta capacité de remboursement.

De fait, ta capacité de remboursement est maintenant de 885 euros, plus si loin des 920 euros nécessaires. En vous serrant un peu la ceinture, ta femme, toi et les enfants, tu devrais pouvoir emprunter – sans oublier que la mesure ne dure que cinq années et qu’il te faudra dans cinq ans avoir trouvé les 100 euros qui manquent. Jean, te voilà donc en mesure de devenir enfin propriétaire…. Mais faisons un peu de politique maintenant, ne regardons plus seulement ton cas finalement très particulier.

Car il te faut tout de même, mon ami, être bien conscient que l’immense majorité des français n’a pas la chance de se trouver dans cette situation très précise, c’est-à-dire être à simplement quelque 100 euros mensuel de pouvoir acheter. D’un côté, il y a l’immense majorité des locataires qui sont à beaucoup plus de 100 euros de leur rêve d’accéder à la propriété de leur logement, généralement parce qu’ils n’ont pas la possibilité de mettre 50 000 euros de côté – ni même d’ailleurs 10 000 – parce que leur loyer actuel leur prend tout justement, chaque mois et depuis toujours. Sans ces 50 000 euros, impossible d’emprunter. Et d’ailleurs, ils n’ont pas non plus 800 euros, ni même 600 euros à débourser chaque mois. Ils le savent bien, eux qui ont tant de mal à payer à leur propriétaire le loyer de 500 euros qu’il leur réclame et qui ne cesse d’augmenter, année après année. Deux fois déjà, ils ont dû déménager pour trouver moins cher, et donc plus petit et plus loin.

Et de l’autre côté, il y a l’immense majorité de ceux qui pour acheter leur appartement ou leur maison n’ont pas besoin de ces 100 euros. Beaucoup parmi ceux-là sont d’ailleurs déjà propriétaires et depuis longtemps – et même si ça n’a pas été facile pour tous, ils y sont tout de même parvenus. Quelques-uns sont même déjà multi-propriétaires et bénéficieront également de la mesure. A tous ceux-là, ces 100 euros permettront dans le meilleur des cas d’acheter plus grand ou mieux situé. Ce qui est tant mieux pour eux, bien entendu, mais…

Mais la priorité est-elle de favoriser l’accès à une propriété plus grande ou mieux située, ou bien plutôt de favoriser l’accession à la propriété de ceux qui en l’état actuel des choses ne peuvent pas ? Toi, Jean, mais aussi ceux qui ont moins encore – plutôt que toi et surtout ceux qui ont bien plus que toi, et qui d’ailleurs bénéficieront d’avantage que toi de la mesure sarkoziste. Sais-tu par exemple que les intérêts que tu paies à la banque sont une forme de loyer ? C’est le loyer de l’argent dont tu as besoin pour te loger. T’es-tu demandé pourquoi Sarkozy propose d’accorder un crédit d’impôt à ceux qui paient un loyer à l’argent qui leur permet de se loger et pas à ceux qui paient un loyer directement pour se loger ? Pourquoi à ceux qui paient un loyer à la banque et à qui il restera au final un bien, et pas à ceux qui paient un loyer à leur propriétaire et à qui au final il ne restera rien ? Pourtant, l’un comme l’autre paie ce loyer pour la même nécessité, celle de se loger, la seule différence étant que dans un cas, on devient propriétaire et que dans l’autre on est dépossédé grandement de la possibilité de pouvoir le devenir. Ne serait-ce pas, à bien y réfléchir, une manière de favoriser ceux qui ont plus d’argent ?

Ha, j’oubliais de t’entretenir d’un point important : les banques ne te feront crédit que si ton revenu, ton salaire et celui de ta femme, couvre trois fois le montant du remboursement de ton emprunt, c’est-à-dire dans ton cas, s’il est supérieur à 2700 euros… et pourvu bien entendu qu’il s’agisse de CDI – les banquiers n’aiment généralement pas trop l’incertitude. J’espère que ce point là ne te fermera pas les portes des banques, elles sont impitoyables.

Passons. Je sais par ailleurs que la question des droits de succession t’a également beaucoup intéressée durant la campagne des présidentielles. Nous savons maintenant très précisément ce qu’il en sera. Pour cette maison que vous laisserez donc à vos deux enfants, donc un bien de 200 000 euros, soit 100 000 euros chacun, j’ai fait le calcul : avant Sarkozy, chacun d’entre eux aurait eu à payer 1000 euros d’impôt et aurait conservé pour lui 99 000 euros. Aujourd’hui, promesse tenue, ils ne paieront rien et garderont tout…. ce qui est en effet un poil mieux, mais…

Mais voilà ce dont il faut avoir bien conscience, chacune de ces deux mesures coûtera chaque année 5 milliard d’euros à l’Etat. Or 10 milliards d’euros chaque année – et n’oublie pas que la quasi totalité profitera a des gens qui en ont moins besoin que toi ou même que tes enfants – ça permet de faire beaucoup, beaucoup de choses plus utiles, utiles pour toi et ta femme, pour tes deux enfants et aussi pour ceux qui sont encore plus que vous dans la difficulté.

Par exemple, ça permet de construire chaque année 100 000 logements sociaux. Or une chose est certaine, 100 000 logements supplémentaires construits chaque année, ça ralentirait très nettement la flambée des loyers et le coût de l’immobilier. Le locataire que tu es aurait alors sans aucun doute beaucoup plus de facilité à se constituer un capital plus important… et la maison que tu convoites ne coûterait certainement pas si cher. Mais…

Mais voilà, ça ne ferait certainement pas plaisir aux grands propriétaires, aux rentiers, aux spéculateurs immobiliers, ni aux banques…tous les vrais bénéficiaires des mesures que prend et que prendra encore ce petit président que tu as élu. Tu sais, ce sont tes enfants qui devront payer la dette qu’il a décidé de laisser filer encore davantage, et ça leur coûtera bien davantage que ces 1000 euros de droits de succession qu’ils auront économisé. Et tu sais pourquoi il laisse filer la dette ainsi ? Parce que cela permettra plus tard de justifier qu’on saigne à blanc des services publics que la France sera devenu incapable de financer. Mais cela semblera une évidence pour tout le monde, puisqu’en ayant supprimer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, ainsi qu’il l’a annoncé, les services publics seront devenus totalement inefficaces. Pourtant, au final, il faudra payer beaucoup pour se faire soigner – pense à la franchise qu’il a promise : ce n’est qu’un début -, il faudra payer beaucoup pour pouvoir étudier, il faudra payer beaucoup pour aller en justice, etc…

D’ailleurs la stratégie est connue : en leur temps déjà Reagan et Thatcher ont adopté la même, laisser filer les dépenses et assécher les services publics, afin de pouvoir justifier ensuite de les supprimer, c’est-à-dire d’en supprimer la gratuité, c’est-à-dire d’en interdire l’accès à ceux qui ne pourront pas payer : toi. Ces politiques ont produits des effets dramatiques, renvoyant cette classe moyenne dont tu fais partie à la pauvreté, sinon à la misère. Sarkozy n’a seulement que dix ans de retard sur le drame.

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