Jan 282010
 

Jean-Luc MélenchonGrace aux bons office de Jacques Rosselin, homme de presse, patron de Vendredi.info et coach de blogueurs, Laure, Ronald, RichardTrois, David Doucet, Seb Musset, Vogelsong – et j’en oublie ! – et moi-même avons rencontré Jean-Luc Mélenchon. Alors d’abord, un grand merci à Jacques Rosselin de nous avoir accueillis – surtout que moi-même je n’étais pas tout à fait invité…

Ce fut une rencontre tout à fait intéressante. Bien davantage que, juste avant, le passage en coup de vent de Jean-François Kahn, avec lequel nous devions évoquer le No Sarkozy Day. Passage dont je retiens seulement que JFK, qui avait lui-même lancé il y a quelques jours un appel pour un grand rassemblement contre l’excès de pouvoir, adopte sur le sujet une position apparemment intéressée, mais finalement très attentiste.

Revenons plutôt à Jean-Luc Mélenchon.

Il serait bien trop long de faire un compte-rendu exhaustif de tout ce qui a été dit au cours d’un entretien qui manqua de quelques minutes d’atteindre les deux heures et demi. Beaucoup de sujets furent abordés, je n’en retiendrai que quelques-uns – et comme je n’ai pris aucune note, je prends soin de dégager la responsabilité de Jean-Luc Mélenchon quant aux propos que je vais rapporter, qui relèveront probablement davantage de la compréhension que j’en ai eue – mais peut-être ne suis pas tout à fait idiot – que d’une retranscription parfaitement objective.

 

Une charge puissante contre le rouleau compresseur médiatique – Il n’est pas nouveau que pour espérer exister sur la scène politique, le chef d’un petit parti doive se plaindre des médias. Jean-Marie Lepen ou François Bayrou, pour ne citer qu’eux, surent tirer sur cette ficelle jusqu’à l’user.

La différence essentielle est que la charge de Jean-Luc Mélenchon ne repose pas sur une pleurnicherie – « Ouinnn ! Vous ne m’invitez jamais à la télé ! – mais sur une analyse solide d’un système médiatique à la fois servile et asservi. Servilité au pouvoir politique et financier des patrons de presse et des journalistes « institutionnels » d’un côté, et asservissement de journalistes trop peu nombreux, surchargés de travail et mal payés, de l’autre.

Et Jean-Luc Mélenchon de décrire un système médatique qui organise sa propre reproduction par la sacralisation d’une pensée vraie, qui implique, par exemple, l’impossibilité de remettre en cause la notion de marché – alors même que personne ne prendra jamais soin de définir précisément ce qu’économie « de marché » signifie : ce serait seulement une réalité immuable sauf dans l’esprit d’un fou ou d’un dangereux irresponsable.

Aussi juge-t-il tout à fait pertinente sur le fond et efficace sur la forme, la « rébellion » de Vincent Peillon contre France Télévision.

 

Parti Socialiste et stratégie politique – J’ai demandé à Jean-Luc Mélenchon si la stratégie politique qui est la sienne et qui constitue à se faire une place au soleil de la gauche en chargeant le PS de tous les maux et de tous les reniements, n’avait pas certaines limites, compte tenu du germe destructeur de la division qu’elle implique de semer, et alors même qu’il assume par ailleurs pleinement la nécessité d’un rassemblement entre les deux tours.

J’ai à ce sujet évoqué la trajectoire politique d’un Jean-Pierre Chevènement, qu’il s’était toujours refusé à suivre au temps de sa splendeur. Trajectoire qu’il emprunte seulement maintenant que le champ politique du républicain de gauche se trouve vacant.

Il n’a pas aimé la question et l’animal politique expérimenté a aussitôt réagi avec force agressivité. Ce qui était d’autant plus de bonne guerre qu’il ne s’est pas contenté d’en rester là, à me renvoyer l’image du vil social-démocrate mal comprenant et limite social-traître. Ce qui était assez savoureux, il faut bien le dire. Mais peu importe, il n’en est donc pas resté à montrer les dents.

Sa réponse, à mon sens, est celle d’un homme en colère – et il est vital pour un homme de gauche de savoir garder vivace sa colère, et son indignation. Jean-Luc Mélenchon est en colère contre une sociale-démocratie qui partout dans le monde est allée de renoncements en reniements, et jusqu’à trahir le peuple dans nombre de pays d’Amérique du Sud – dont il semble particulièrement connaisseur. Aussi, à cette sociale-démocratie, il a choisi de ne plus rien laisser passer.

Il pourra sembler un peu rapide – pour les mal-comprenants de mon espèce – d’établir un lien direct entre des sociaux-démocrates qui font tirer l’armée contre le peuple en Argentine ou au Venezuela, et Martine Aubry qui commet une faute politique en évoquant la possibilité d’un recul de l’âge légal de la retraite « à 61 ou 62 ans » – et pour peu, notamment, d’une plus grande prise en compte de la pénibilité du travail. Mais voilà, un homme en colère peut parfois en arriver à perdre le sens des nuances.

Restait alors la question de la stratégie politique. Pour Jean-Luc Mélenchon, deux options se présentent. Prendre le pouvoir avec l’appui d’un Parti Socialiste relégué en seconde force de la gauche grâce à un rassemblement de l’ensemble de la gauche non socialiste. Ou bien bénéficier d’une situation de blocage de la société – et là encore il s’appuie sur des exemples historiques venus d’Amérique du Sud – blocage qui conduirait à l’émergence au sein du peuple d’un sentiment de rejet profond englobant aussi bien les droites conservatrices et réactionnaires que les sociaux-démocrates (que l’animal ne manque jamais de qualifier de sociaux-libéraux), au profit donc des « vrais » socialistes.

Les deux hypothèses impliquent, on le comprend bien, de ne jamais épargner le Parti Socialiste. Or si Jean-Luc Mélenchon admet volontiers ignorer quand se produirait le blocage propice, il fait l’impasse sur la question suivante, pourtant cruciale : « Et en attendant que le rapport de forces devienne favorable, faut-il pour en favoriser l’émergence, jouer de cette division de la gauche, dont il reconnait qu’elle demeure l’ultime carte de la droite pour conserver le pouvoir ? ».

Bref, après ce grand tour par sa grande intelligence (indéniable), nous étions rendu à la problématique initiale dont j’avais fait ma question. Et l’on se souvient que Jean-Pierre Chevènement ne parvint jamais tout à fait à se remettre du 21 avril 2002.

 

Les élections régionales – La nécessité du désistement à gauche entre les deux tours est affirmée avec force. Et Jean-Luc Mélenchon est bien convaincu que les listes socialistes arriveront largement en tête partout, tandis que celles du Front de Gauche auront à l’occasion du mal à dépasser la barre des 5% qui permet de fusionner.

Et même alors, le PS ne se laissera aller à aucun cadeau. Une attitude qu’il ne remet pas en cause : le jeu politique ne consiste pas à choyer un rival.

Reste le cas du Languedoc-Roussillon, seule région où l’ensemble de la gauche, écologistes compris, est parvenue à s’unir, afin de s’opposer fortement à Georges Frêche. Pour Jean-Luc Mélenchon, il s’agit de faire de cette région une région test. C’est donc là-bas qu’il a décidé de concentrer tous ses efforts.

On notera que la dernière sortie de Georges Frêche – sur la « tronche pas catholique » de Laurent Fabius – est suffisamment exécrablepour lui laisser penser que cela puisse se révéler un pari gagnant.

 

La défense des années Mitterrand – Jean-Luc Mélenchon l’appelle affectueusement « le vieux » et récuse avec force que l’origine d’une dérive droitière de la gauche française soit à chercher de ce côté-ci. Il rappelle ce qu’était le Parti Socialiste des années 70 – un parti révolutionnaire – et quelles furent les conditions de son arrivée au pouvoir en 1981. Il rappelle comme les socialistes attendirent alors en vain que soient créés les conditions d’un front populaire, en réponse à la collusion des forces conservatrices et réactionnaires. Il rappelle la nationalisation du système bancaire et d’une bonne partie de l’industrie. Il rappelle les quatre dévaluations successives, qui conduisirent à la nécessité politique et stratégique du tournant de 83. Il rappelle que « le vieux », jusqu’à son dernier souffle, refusa de signer toute ordonnance de privatisation.

La droite, n’omet-il pas de préciser, n’en a toujours pas fini de cracher sur le cadavre de François Mitterrand. C’est qu’ils ne veulent surtout pas que cela puisse se reproduire. Et Jean-Luc Mélenchon de faire la leçon à cette gauche, socialiste ou non, qui a grand tort de ne pas assumer ce qui demeure une remarquable filiation politique. En effet.

 

Les années Jospin aussi ! – Elles ne se résument pas aux privatisations. Et les privatisations ne sauraient à elles seules justifier que la gauche se croit contrainte de renier en bloc les années Jospin. Ne serait-ce que pour les 35h qui ne sont pas pour une majorité de salariés cette catastrophe que la droite se plait à fantasmer.

Des années Jospin qui débutèrent alors que tous les voyants économiques étaient au rouge – situation économique qui contraignit Chirac à la dissolution – et se terminèrent avec des voyants passés au vert – situation qui ne cesse depuis de se dégrader sous les bons offices d’une droite dont l’arrogance ne semble pas avoir de limites.

 

Mélenchon, un socialiste en colère – Je l’ai dit plus haut, j’ai rencontré ce qui me semble être un homme en colère, un homme qui possède la gauche chevillée au corps et depuis longtemps, et qui ne décolère pas de voir le monde fuir ses idéaux, et qui ne décolère pas contre une gauche qui, à trop souvent renoncer et céder devant les coups de boutoir du libéralisme, a contribué à favoriser cette dérive du monde vers des rivages où la seule règle est celle d’un règne du fort sur les faibles, toujours plus opprimés.

Il a raison dans sa colère, l’oppression est inadmissible et l’injustice sociale insupportable. Il a tort cependant – du moins selon moi, qui bien entendu n’y comprends rien – de la tourner avec tant de violence contre ceux qui, se trompant sans doute de chemin, ne partagent pas moins avec lui les mêmes indignations, la même révolte et la même aspiration à un monde de justice.

 

Je retiens pour terminer deux phrases qui sont de mon point de vue source d’espoir quant à la capacité de la gauche à savoir sauvegarder l’essentiel de ce qui, par-delà toutes nos divergences – qui ne sont pas nécessairement anecdotiques – nous rassemble :

« Vous avez les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. Qu’est-ce que l’on peut faire de mieux ?! La droite, la gauche. »

« La critique [du Parti Socialiste] doit continuer, elle va continuer, mais c’est la façon de la dire et de l’exprimer qui ne doit pas être contre-performante. »