Mar 242012
 

Mohamed Merah est mort et, de l’assaut final, c’est finalement la seule chose que nous pouvons tenir pour certaine.

On ne saura probablement jamais avec certitude les circonstances de cet assaut qui ont conduit à la mort d’un terroriste qu’il aurait fallu pouvoir prendre vivant afin qu’il puisse être déféré à la justice et condamné. Nous commençons à en avoir l’expérience, dans ce genre d’affaires militarisées où les journalistes sont tenus à distance, ce qui nous parvient ce ne sont pas les faits mais seulement ce que les autorités consentent à nous en dire et qui relève d’abord de la communication.

Peu importe, ce n’est pas d’abord la mort de Mohamed Merah qui doit nous préoccuper, mais celle de ses victimes. Ce qui importe est de comprendre comment cela a pu se produire et comprendre ce qu’il est possible de faire afin que cela ne puisse jamais se reproduire – ou du moins de pouvoir se rapprocher autant que faire se peut de ce jamais.

Nicolas Sarkozy a tort de dire qu’il ne faut pas chercher à comprendre ou à expliquer, que ce serait une « faute morale impardonnable ». C’est tout le contraire, la faute morale serait de ne pas regarder la vérité en face et ne pas essayer de la comprendre afin d’en tirer toutes les conséquences politiques utiles – en matière d’antiterrorisme, et pas seulement.

Mais il est vrai que s’interroger sur ce qu’il faudrait faire c’est s’interroger sur ce qui n’a pas été fait, c’est analyser les raisons d’un échec. Or on le sait bien, Nicolas Sarkozy a toujours beaucoup de mal à affronter la réalité de ses échecs. Il préfère ne pas réfléchir, ne pas expliquer, ne pas comprendre et se contenter de prendre sa grosse voix pour annoncer les décisions qu’il a prises, sans réfléchir, sans prendre le temps du recul, juste comme ça, à chaud, à la faveur de l’émotion et peu importe que cela puisse ou non avoir la moindre efficacité, seul compte pour lui le profit politique qu’il peut tirer d’un drame.

Pourtant, une instruction judiciaire et un procès auraient sans doute permis de comprendre un peu comment un jeune Français né en France peut en arriver à commettre de telles atrocités. Quel chemin a dû parcourir l’enfant, l’adolescent puis le jeune homme pour, à vingt-trois ans seulement, devenir cet assassin enragé ? Qu’y a-t-il qui ne tourne pas rond dans la société française qui permette que soit engendré un tel monstre ?

C’est évidemment la première question qu’il est impératif de se poser.

Il ne s’agit en aucun cas d’excuser, ni un homme ni son acte. Il s’agit de ne pas se voiler la face : c’est bel et bien un enfant de France qui a grandi et est devenu ce terroriste abjecte, qui a tué sauvagement d’autres enfants de France au nom d’une vision dévoyée et perverse de l’Islam. Qu’est-ce qui fait qu’un jeune homme bascule ainsi dans la haine et le fanatisme ? Qu’est-ce qui, dans la société française, permet que cet homme qui est né et a grandi en France puisse à un moment de sa construction individuelle devenir perméable à l’endoctrinement d’une idéologie abjecte et morbide qui le conduise au terrorisme ?

Je ne vais pas m’étendre sur les hypothèses qu’on peut formuler, mais nul n’ignore que ce sont les fragilités d’un individu qui permettent son endoctrinement. Et nul n’ignore non plus quelles sont les failles béantes qui s’ouvrent dans les jeunes français des quartiers défavorisés, ces quartiers où précisément l’on endoctrine. Je vais simplement me contenter de dire qu’il y a là sans doute quelque chose qu’il faut relier au fait que Mohamed Merah n’a cessé toute la semaine d’être présenté dans les médias, non comme le Français qu’il était, mais comme un Français d’origine algérienne.

Que dirait-on si l’on présentait Nicolas Sarkozy comme le président français d’origine hongroise ? 

Beaucoup est dit là, dans la mention d’une origine qui apparaît comme indissociable de la nationalité d’un homme,  des maux d’une société incapable encore de ne pas distinguer parmi les Français certains qui le serait un peu moins, ou du moins qui serait Français mais pas seulement, donc pas tout à fait. Voilà sans doute la faille originelle qui permet aux semeurs de haine de s’engouffrer. Voilà le fil qu’il s’agit de tirer si l’on veut comprendre, si l’on veut sincèrement éviter que l’atrocité se reproduise encore, et encore.

Les deux autres questions à se poser sont d’un tout autre ordre, mais y répondre n’est pas moins crucial si l’on veut éviter d’autres tragédies terroristes.

Comment est-il possible qu’une personne puisse en France se constituer un tel arsenal, armes de guerre, munitions et explosifs ? Il y a là, de toute évidence, une faillite du dispositif français de lutte contre le trafic d’armes, donc contre les trafiquants.

Il est plus que surprenant que le président de la République, au moment de tirer les conclusions d’une tragédie, n’évoque pas le sujet et se contente de faire trois propositions visant simplement à pénaliser l’endoctrinement – en dépit d’ailleurs du fait que cela existe déjà. Mais voilà, l’évoquer serait rappeler que cela fait désormais dix ans que Nicolas Sarkozy, comme ministre de l’Intérieur puis comme président de la République, est en charge de cette question, se serait démontrer la faillite d’une politique sécuritaire qui s’est en réalité davantage attachée à améliorer des statistiques qu’à lutter contre les véritables sources des violences – et le trafic d’armes n’en est pas la moindre.

Et puis, parce que se procurer illégalement des armes coûte particulièrement cher – et Mohamed Merah était au RSA ! -, il est également indispensable de se poser la question de l’argent sale et des filières de blanchiment. Et là encore, on touche à l’échec de Nicolas Sarkozy qui depuis dix ans n’a pas pris une mesure réellement ambitieuse.

Nicolas Sarkozy a toujours préférer s’en prendre aux consommateurs des trafics en tout genre, plutôt qu’aux producteurs, c’est-à-dire directement aux trafiquant eux-mêmes : les trafiquants d’armes, les blanchisseurs d’argent sale, les trafiquants de drogue, les réseaux de passeurs clandestins, les réseaux de prostitution… Mais il est tellement plus facile de s’en prendre à la petite délinquance, aux sans-papiers, aux prostituées, que s’attaquer résolument aux mafias qui les alimentent et/ou les exploitent.

Il est tellement plus facile de réagir sans réfléchir et par le seul discours, que de réfléchir avant d’agir, se poser les vraies questions avant de prendre les bonnes décisions. Il est tellement plus facile de paraître un homme fort et ferme que de l’être vraiment.

Je suis convaincu que les Français ont désormais compris que les paroles de Nicolas Sarkozy les endorment plus qu’elles ne les protègent.