dedalus

Mai 192007
 

Le Petit Père des People s’est approprié Blum et Jaurès, et maintenant Guy Môquet, entre autres figures historiques « socialo-communistes », ainsi qu’il aime le dire en d’autres circonstances…

Leon Blum. Jean Jaurès. Guy Môquet… Ces hommes, grands devant l’Histoire, et qui n’appartiennent à  personne sinon à  eux-même et à  notre Histoire. Ces hommes qui sont nos références communes et que la France aura toujours raison d’honorer, pourvu qu’il ne s’agisse pas de les récupérer, d’instrumentaliser la mémoire collective à  des fins partisanes, ce qui serait les salir et donc nous salir tous, nous tous qui nous souvenons avec une émotion sincère.

Ça fait longtemps, pour ma part, que les figures de Blum et de Jaurès, de Guy Môquet et de Missak Manouchian font partie de mes références personnelles, longtemps que j’ai lu et que je me rappelle la lettre de Guy Môquet, et l’émotion qu’elle procure de par sa candeur héroïque – comme je sais également, et m’en souviens (oui, par devoir de mémoire), qu’il a été fusillé, assassiné par d’autres français et qui ne l’étaient ni plus ni moins que lui, qui l’étaient autrement et qui le choisirent lui et ses camarades parce que communistes et donc moins « bons français » à leurs yeux. Comme je sais également que dans la ville de Neuilly dont Nicolas Sarkozy a été maire pendant plus de vingt ans, il n’existe ni rue Leon Blum ni rue Jean Jaurès, pas plus qu’il n’existe une place Guy Môquet.

Alors, avant qu’il ne s’empare de cela aussi, lui qui ose tout – mais peut-être ceux-là sont-ils moins honorables parce qu’à prononcer [leurs] noms sont difficiles… – j’ai envie aujourd’hui d’évoquer Missak Manouchian et ses vingt-deux compagnons du groupe Manouchian, vingt et trois étrangers et nos frères pourtant, vingt et trois qui [crièrent] la France en s’abattant. L’envie de donner à lire ici la dernière lettre de Missak Manouchian, écrite à sa femme quelques heures avant de mourir, fusillé au Mont-Valérien, le 19 février 1944 :

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

Missak ManouchianDans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.

Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.

Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.

Et comment alors ne pas relire le poème magnifique qu’écrira quelques années plus tard Louis Aragon, hommage rendu aux 23 résistants du groupe Manouchian en 1955, Strophes pour se souvenir et mises en musique par Lèo Ferré en 1959, sous le titre L’Affiche rouge :

Strophes pour se souvenir / L’Affiche Rouge

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servis simplement de vos armes

La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

L’affiche qui semblait une tache de sang

Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles

Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence

Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants

Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre

A la fin février pour vos derniers moments

Et c’est alors que l’un de vous dit calmement

Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre

Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses

Adieu la vie adieu la lumière et le vent

Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent

Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses

Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le coeur me fend

La justice viendra sur nos pas triomphants

Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline

Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Louis Aragon.

Chanson interprétée par Léo Ferré.

L'affiche rouge

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On parle de : Hommage à Missak Manouchian

Mai 162007
 

Censure, collusion et nominations

sarkozy vacances milliardaireLes journalistes du Journal du Dimanche sont en colère et ont décidé de le faire savoir. A l’origine de ce mouvement d’humeur, un court article rapportant que Cécilia Sarkozy s’était abstenu de voter lors du second tour des élections présidentielles. Une information somme toute assez insignifiante, et qui le serait sans doute restée si l’article n’avait été censuré par le directeur de la rédaction, Jacques Espérandieu, et suite à l’intervention d’Arnaud Lagardère, principal actionnaire du JDD et que Nicolas Sarkozy présenter comme « son frère » – ce qui n’est probablement pas sans lien avec l’éviction d’Alain Genestar de Paris-Match en réponse, on s’en souvient, à la publication en couverture du magasine d’une photo de Cécilia et de son amoureux, lequel ne s’appelait pas Nicolas.

Ainsi, la société des journalistes, réunie en AG après la conférence de rédaction, au cours de laquelle Espérandieu a confirmé avoir reçu un coup de fil, a envoyé mardi après midi une lettre ouverte à Arnaud Lagardère, dénonçant « une censure inacceptable », reproduite ci-dessous.

Ce même jour, on apprend via un article du journal Le Monde que Nicolas Sarkozy et François Fillon ont proposé à deux journalistes deux postes de conseillère, qu’elles ont chacune accepté. Catherine Pégard, rédactrice en chef du service politique du Point, rejoindra l’équipe du chef de l’Etat à l’Elysée. Myriam Lévy, reporter au Figaro, intègre avec le titre de conseillère en communication l’équipe de François Fillon à Matignon. Nominations qu’il faut d’évidence placer dans la continuité d’une campagne où ont abondé les collusions entre le pouvoir en place et une certaine presse dont les journalistes politiques ont fait preuve d’une remarquable indulgence à l’égard du candidat Sarkozy.

Voici donc qui place la présidence Sarkozy devant sa réalité. Seront récompensés les journalistes serviles, seront censurés – et éventuellement châtiés – ceux qui se perdront dans une impartialité suspecte. Les journalistes sont prévenus : ceux qui ne placeront pas aux côtés du Petit Père des People seront contre lui…

« Une censure inacceptable »

– lettre ouverte à Arnaud Lagardère, envoyée par la société des journalistes du Journal du Dimanche

« Vous êtes intervenu samedi auprès de la direction de la rédaction pour que cet article ne soit pas publié. Nous estimons qu’il s’agit là d’une censure inacceptable, contraire à la liberté de la presse. L’ensemble des journalistes du JDD s’indigne de cette pratique d’un autre âge, d’ailleurs largement dénoncée par l’ensemble de notre profession, en France comme à l’étranger.

« En l’espace d’un week-end, cette intervention a donné du crédit aux graves accusations portées contre les titres du groupe, soupçonnés d’avoir favorisé la campagne de Nicolas Sarkozy. Ces derniers mois, le Journal du Dimanche s’était pourtant attaché à respecter son devoir d’impartialité. Depuis dimanche, son image est gravement mise en cause. Notre site Internet et le standard du groupe sont submergés de messages de lecteurs indignés. Au final, c’est la crédibilité du titre et de ses journalistes qui est mise à mal.

« Vos relations privilégiées avec Nicolas Sarkozy ne sauraient nous contraindre à renoncer une nouvelle fois aux exigences de notre métier. La rédaction du JDD, indépendante, revendique le droit de refuser toute subordination qui voudrait la priver de son devoir d’informer. »

sarkozy petit pere des people
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On parle de : Censure, collusion et nominations

Mai 152007
 

Par Taïké Eilée

Agoravox – vendredi 11 mai 2007

sarkozy petit prèsident

31 % au premier tour, 53 % au second. Nicolas Sarkozy a survolé les élections présidentielles de 2007. Pourtant, au soir de sa victoire, nombre de Français avaient, pour la première fois, honte d’être français. Outre la déception compréhensible de ceux qui ont perdu une bataille, quelque chose d’autre ne passait pas… Le sacre sarkozyste revêtait un caractère à la fois irréel et révoltant. Une haine sourde grondait. Une douleur aiguë et lancinante se faisait sentir, qui aurait bien du mal à passer. La cause de cette réaction, inédite à l’occasion de l’élection d’un président de la République, est à rechercher dans le comportement du vainqueur, dans sa stratégie de campagne, et son utilisation redoutablement dangereuse des passions tristes.

Nicolas Sarkozy est élu président de la République depuis maintenant cinq jours. Parmi les premières réactions, on aura pu noter celle, réjouie, du Medef, qui promet de « contribuer avec enthousiasme à l’écriture de la nouvelle page qui s’ouvre pour la France« , ou encore celle, plus inattendue, du leader d’extrême droite autrichien Jörg Haider, qui considère que le nouveau président français s’inspire de son « modèle » : « C’est une ironie de l’histoire que les Français élisent maintenant leur Jörg Haider, et une satisfaction que le « Napoléon de poche » Jacques Chirac appartienne désormais au passé. » Quant à la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice, elle estime que l’élection de Nicolas Sarkozy ouvre « une période excitante pour la France« . Condy ne s’y trompe pas, puisque 730 voitures ont brûlé dans le pays dès la nuit de son élection, et que de nombreuses manifestations hostiles ont pris le relai un peu partout sur le territoire depuis.

Pendant ce temps-là, Nicolas Sarkozy a pu commencer à mettre en pratique sa conception très « à l’américaine » de la présidence, et son idée – si chère à son coeur – selon laquelle les riches ne doivent plus avoir honte d’exhiber les fruits de leur réussite bien méritée, en s’offrant une petite croisière bien sympathique à Malte, à bord du superbe yacht de son ami, le milliardaire Vincent Bolloré, un yacht répondant au doux nom de Paloma, long de 60 mètres, avec jacuzzi sur le pont supérieur, que vous pourrez vous aussi, si le coeur vous en dit, louer pour quelques 193 431 euros la semaine pour vos prochaines escapades de winner… lorsque vous aurez eu la satisfaction préalable de travailler plus pour gagner plus. T’as trop raison Nico, quel intérêt d’avoir du temps libre quand on n’a pas de quoi payer à sa famille de vraies vacances dignes de ce nom ?

La France en mille morceaux

Prenons donc exemple sur les plus méritants des Français, les Neuilléens : « Les gens qui habitent Neuilly sont ceux qui se sont battus pour prendre plus de responsabilités, pour travailler plus que les autres » (Marianne, 14 au 20 avril 2007). Quelle belle parole Nicolas ! Gloire aux travailleurs de Neuilly ! Et honte aux « autres » (bande de fainiasses…) ! Telle est bien la France de Nicolas Sarkozy : une France clivée, divisée, entre battants et fainéants, bons travailleurs corvéables à merci et assistés misérables sur lesquels on peste avec rage, honnêtes gens revanchards qui ne jurent que par le triptyque « Travail-Famille-Patrie » et dégénérés de soixante-huitards avec lequels il faut en finir au plus vite, braves gens qui rasent les murs dans les cités et racailles à nettoyer d’urgence au Kärcher, Français-qui-se-lèvent-tôt-le-matin et Français-génétiquement-mal-barrés…

Nicolas Sarkozy veut être le président de tous les Français, c’est en effet la moindre des choses… Mais il n’a cessé, durant sa campagne, de dresser des Français contre d’autres Français, il a attisé les haines, les jalousies, les ressentiments de tous contre tous. Nombre de ses électeurs ont voulu porter au sommet de l’Etat un Père Fouettard, un homme qui leur promettait de punir certaines catégories de la population trop favorisées ou trop câlinées (à leur goût) jusqu’à maintenant. Ce sera dur de rallier ceux qu’on a traités – à des fins électoralistes – comme des ennemis.

Spinoza n’aurait pas voté Sarkozy

Nicolas Sarkozy a usé de la méthode la plus efficace qui soit pour accéder au pouvoir (et pour l’exercer ensuite). Il a joué sur nos « passions tristes » : « Inspirer des passions tristes est nécessaire à l’exercice du pouvoir« , enseignait Gilles Deleuze dans un cours sur Spinoza prononcé à Vincennes le 24 janvier 1978. « Et Spinoza dit, dans le Traité théologico-politique, que c’est cela le lien profond entre le despote et le prêtre, ils ont besoin de la tristesse de leurs sujets. Là, vous comprenez bien qu’il ne prend pas tristesse dans un sens vague, il prend tristesse au sens rigoureux qu’il a su lui donner : la tristesse c’est l’affect en tant qu’il enveloppe la diminution de la puissance d’agir« .

Parmi ces passions tristes, la haine, l’envie, la jalousie, la colère, la vengeance furent particulièrement mises à profit par l’ancien ministre de l’Intérieur. Les boucs émissaires qu’il nous a trouvés ? Les « autres« , c’est-à-dire : les assistés, les fonctionnaires (ces privilégiés…), les syndicalistes, les fraudeurs, les voyous, les racailles, « ceux qui profitent du système« , « ceux qui demandent toujours et qui ne veulent jamais rien donner« , et puis les égorgeurs de moutons, les soixante-huitards, les adeptes de la repentance, les élites de gauche – toujours du côté des délinquants et des assassins, jamais de celui des honnêtes gens, n’est-ce pas ? -, les juges trop laxistes de Bobigny, les policiers qui jouent au rugby avec les jeunes au lieu de les mettre en prison (revoyez cette séquence : quelle humiliation pour les policiers, quel sadisme de notre gendarme à Saint-Tropez !), et même les politiques et les technocrates (voyez ce morceau nauséeux du discours de Bercy), et j’en oublie sûrement.

Le ( dé )goût des « autres »

Nicolas Sarkozy s’est voulu le candidat de « la France qui paie toujours pour tous les autres« , « la France qui paie les conséquences de fautes qui ont été commises par d’autres« … les fameux « autres » dont nous venons de dresser une petite liste non exhaustive, et sur la haine desquels Sarkozy a construit sa victoire, en remuant les passions tristes de ses supporters… Cette méthode très efficace à court terme est néanmoins désastreuse sur le long terme : elle crée un climat malsain entre les gens, et ruine le peu d’unité qui peut exister entre membres d’une même nation. Les passions tristes parvenues au pouvoir sont, en quelque sorte, légitimées, elles n’ont plus à se cacher, à se modérer, à s’amender pour se renverser en passions joyeuses, qui, elles, unifient sainement le corps social.

On pourrait croire à une exception dans cet usage des passions tristes, lorsque Nicolas Sarkozy marque son rejet de la repentance, ce regard critique qu’un peuple porte sur son passé, et qu’il identifie à une « détestation de la France et de son Histoire« . Mais, en fait, non ; car la réhabilitation du pays se fait, chez lui, par la stigmatisation des repentants, la dénonciation d’autres coupables (irrépressible manie de se défausser en désignant dans le même mouvement un bouc émissaire), et passe finalement par une exaltation presque délirante de la fierté d’être Français. Sarkozy réinvente ainsi une histoire exclusivement glorieuse de la France, qui « n’a pas commis de crime contre l’humanité« , « n’a jamais commis de génocide« , « n’a pas inventé la solution finale » (petite douceur adressée à nos amis allemands…), mais « a inventé les droits de l’homme » ; et mieux encore, « la France est le pays du monde qui s’est le plus battu dans l’univers au service de la liberté des autres » (« dans l’univers » !). Oublié le régime collaborationniste de Vichy. Oubliés le Code noir et l’esclavagisme. Oubliée la colonisation. Entre la flagellation perpétuelle et l’oubli, il y a une marge évidemment, et une juste attitude à trouver, mais Nicolas Sarkozy ne fait pas dans la nuance ; il réécrit l’histoire au Kärcher, pour flatter la fibre la plus nationaliste d’un électorat en mal de grandeur mythifiée.

Singer le grand loup blanc

Le nouveau chef de l’Etat français partage ce dégoût pour la repentance avec celui qui lui aura servi de principal modèle durant toute sa campagne présidentielle : Jean-Marie Le Pen.

La campagne de Nicolas Sarkozy démarre, en effet, le 21 avril 2002. La démangeaison extrémiste est là en France, et Sarko la sent… comme un loup affamé flaire sa future proie aux quelques gouttes de sang qui perlent de ses blessures. Le Pen, en fin tacticien, en vieux loup de la politique, a depuis longtemps flairé les thèmes porteurs, ceux qui rencontrent le plus fort écho dans le peuple, le « petit peuple » si souvent méprisé et tellement courtisé à la fois. Il a compris que le moyen le plus simple de fédérer un grand nombre de sympathisants autour de soi, c’est de leur faire peur et de désigner des boucs émissaires, en promettant de « punir » ces derniers. Avec lui, le bouc émissaire était unique, c’était l’immigré, ou, dans un langage plus convenu, « la politique d’immigraton des gouvernements successifs de gauche comme de droite ». Sarkozy a repris à son compte la tactique lepéniste, mais en démultipliant les boucs émissaires, en divisant le pays à outrance.

Moi je dis les choses comme je pense

Le mimétisme avec Jean-Marie Le Pen se poursuit dans l’attitude de pourfendeur de tabous que Nicolas Sarkozy a, lui aussi, décidé de faire sienne. Le Pen disait : « Moi je dis tout haut ce que les gens pensent tout bas. » Sarkozy ne cesse d’user de cette formule : « Moi je dis les choses comme je pense« , en ayant bien pris soin, au préalable, de dire que, dans ce pays, « on ne peut plus rien dire sur rien« . Son discours laisse constamment entendre que nous vivons sous le règne de la pensée unique, d’une quasi censure (instaurée par qui ?), et que lui seul vient parler vrai au milieu d’un discours trop policé et convenu. Lui, au moins, il parle franchement. Il n’hésite pas. Il n’a pas peur. Il ose ! Et puis, il parle comme les gens, les « vrais gens », ceux qu’il a découverts durant sa campagne : « Pendant des mois j’ai vu ce que le peuple vivait, ce qu’il ressentait, ce qu’il souffrait« . Il a vu les Français, ceux d’en-bas, les vrais, les authentiques. Et il a compris que parler comme eux, ça pouvait rapporter gros : « Vous savez pourquoi je suis tellement populaire ? Parce que je parle comme les gens » (déclaration d’avril 2004, reprise dans Marianne). Alors il parle de « racailles« , car dans les banlieues, les gens ils parlent comme ça, les jeunes ils se parlent comme ça. Y a pas à être choqué ! Les Français veulent que leurs représentants politiques leur ressemblent, soient, le cas échéant, aussi vulgaires qu’eux. Pas de chichi ! Sarkozy exauce ce voeu.

Les gens qui apprécient ces manières de faire se trompent, car évidemment l’authenticité est feinte, calculée, méprisante – et méprisable. Et puis, surtout, dire tout haut ce qu’on pense tout bas, cela n’est pas penser : « Bien penser, cela ne va pas de soi. […] Si vous vous laissez aller, vous êtes pris par quelque chose qui n’est pas vous […]. La nature mécanique nous guette toujours et nous tient toujours. […] On pense faux comme on chante faux, par ne point se gouverner. […] Bien penser est une chose que l’on se doit à soi-même, et qu’il faut vouloir. Ainsi l’homme n’est pas un spectacle permis à lui-même ; ni permis, ni possible« . C’est toute la sagesse du philosophe Alain dans ses Propos, et notamment celui-ci, « Régler ses pensées », du 7 août 1929. Penser, c’est corriger ce qu’on pense, redresser constamment ses pensées, qui, sans cet effort, deviennent animales, et proprement étrangères à nous-mêmes – indignes de l’Homme.

Sarkozy, qui assimile la liberté à la transgression, ne se prive pas pour transgresser les odieux carcans de la pensée unique. Il lance ainsi des débats scientifiques, en toute liberté, sur le déterminisme génétique par exemple, il donne son avis à lui, sans prendre la peine de s’en référer aux autorités compétentes. Et sur quoi fonde-t-il ses convictions ? Sur sa propre expérience : « Moi j’ai jamais eu la pulsion d’aller violer un enfant de trois ans, j’en ai aucun mérite, et je ne pense pas que c’est mon éducation qui m’ait porté à ne pas avoir eu cette pulsion… » Ou encore : « Je ne me souviens pas moi, quand j’avais 14 ou 15 ans, d’avoir réfléchi à mon identité sexuelle, je suis hétérosexuel… Je ne me suis pas longuement interrogé pour savoir si j’aimais les hommes ou les femmes… » Ajoutant, au passage, que la campagne présidentielle est « un grand moment de sectarisme » (toujours cette foutue censure… à laquelle lui seul échappe). Alors, certes, Sarkozy ne prétend pas trancher les questions de manière définitive, l’infaillibilité papale ne fait pas encore partie de ses prérogatives. Mais il ose tout de même donner ses vérités scientifiques à lui. Un peu comme Le Pen lançait, lui aussi, des « débats », sur l’existence et l’inégalité des « races », contre l’avis de tous les scientifiques. Et lui aussi fondait ses convictions sur l’évidence (« Il y a des Noirs, il y a des Jaunes… »), le bon sens populaire, n’omettant pas de dénoncer « l’inhibition sémantique » des frileux…

N’ayez pas peur ! J’arrive…

Avec Le Pen, on était aussi habitué à l’exploitation éhontée des faits divers les plus sordides, des crimes les plus atroces, que le brillant tribun s’évertuait à narrer dans le détail jusqu’à faire frémir son auditoire, lors de dîners dont il s’était fait une spécialité, et qui lui permettait de conclure, solennellement, à la nécessité du retour de la peine de mort. Sarkozy a su, lui aussi, instrumentaliser les pires crimes de sang, sans une once de pudeur, pour justifier sa politique répressive (qu’il n’a pourtant pas su mettre en oeuvre durant ses nombreuses années passées place Beauvau), ou, du moins, pour se donner l’image du chef autoritaire et impitoyable qu’appelle de ses voeux le vengeur masqué qui sommeille en chacun d’entre nous, dès lors qu’il est confronté à l’horreur, à l’innommable barbarie qui fauche les vies innocentes.

Morceaux choisis du discours de Bercy : « Je suis allé à la rencontre des Français […] avec en moi le souvenir de cette famille à la Courneuve qui pleurait la mort d’un petit garçon de onze ans. C’était le jour de la fête des pères, deux bandes rivales s’affrontaient au pied de l’immeuble, il a pris une balle perdue. C’était le jour où j’ai parlé du Kärcher. Je ne regrette rien [c’est le même homme qui avait déclaré très cyniquement à l’époque : « Kärcher en septembre, 200 000 adhérents [à l’UMP] en novembre« …]. Je suis allé à la rencontre des Français avec dans ma mémoire la douleur des parents de cette jeune fille brûlée vive dans un bus auquel des voyous avaient mis le feu pour s’amuser. J’y suis allé avec dans la tête la voix de ce petit garçon que je tenais par la main devant le cercueil de son père gendarme et qui me tirait par la manche en me disant : « Sors mon papa de la boîte ! » J’y suis allé avec devant les yeux l’image de la jeune Ghofrane battue à mort et atrocement torturée parce qu’elle refusait de donner son numéro de carte bleue à ses bourreaux. […] Je suis allé à la rencontre des Français avec en moi le souvenir de ces familles immigrées, de ces pères, de ces mères, de ces enfants brûlés vifs dans l’incendie de cet hôtel sordide où on les avait entassés parce qu’on n’avait pas les moyens de les loger plus convenablement. »

Certains, manifestement majoritaires aujourd’hui, apprécient ce genre de discours ; d’autres, peut-être minoritaires, continuent de ressentir un profond dégoût face à une telle manipulation émotionnelle de l’opinion. Car après avoir suscité l’effroi silencieux de l’assistance, avec tant de malheur et d’horreur exposés, on ne tarde pas à désigner du doigt un coupable – dont il ne viendra à l’idée de personne de contester la culpabilité -, et l’on se présente – tel un messie vengeur – comme celui qui saura le « liquidier »…

Pour une contre-révolution morale

L’ennemi à abattre, c’est l’esprit de Mai 68, ce fantôme persistant, qui, depuis près de quarante ans, plânerait sur la République, et lui empoisonnerait l’âme. Une République comme possédée par le démon de 68, et qui aurait besoin de toute urgence d’un grand « désenvoûtement » mené par notre nouvel exorciste, Sarkozy. Celui-ci emprunte son diagnostic au bon médecin Le Pen, qui imputait déjà à cette date « maléfique » de Mai 68 l’origine du laxisme moral français, par exemple dans ce discours sur la peine de mort du 20 mai 2006 (à la 7e minute). Une bonne introduction au discours terrible de Bercy que tint Sarkozy à la veille du second tour, et dans lequel il se livra à une charge haineuse, d’une violence inouïe, à l’encontre d’un héritage rendu responsable d’à peu près tous nos maux.

Sarkozy (ou plutôt Henri Guaino, l’auteur de ses discours récents) met parfois justement le doigt là où ça fait mal, sur les promesses non tenues de Mai 68 à l’égard des travailleurs, et joue sur les passions tristes de ces derniers : « Sarkozy joue du ressentiment des classes populaires qui se sont senties méprisées par l’idéologie soixante-huitarde« , remarque le sociologue Jean-Pierre Le Goff, cité dans Libération du 4 mai 2007. Sa dénonciation du communautarisme soixante-huitard est, en revanche, plus choquante, venant d’un homme qui n’a cessé, ces dernières années, de « communautariser » la France (lire, à ce propos, cette bonne synthèse de l’Observatoire du communautarisme intitulée « Du communautarisme au républicanisme incantatoire : que penser du revirement rhétorique de Nicolas Sarkozy ? »). Carrément culottée enfin, la filiation que Sarkozy établit entre Mai 68 et les 8,5 millions d’euros de prime de départ et de stocks options de Noël Forgeard : « Voyez comment le culte de l’argent roi, du profit à court terme, de la spéculation, comment les dérives du capitalisme financier ont été portés par les valeurs de mai 68. Voyez comment la contestation de tous les repères éthiques, de toutes les valeurs morales […] a préparé le terrain au capitalisme sans scrupule et sans éthique des parachutes en or, des retraites chapeaux et des patrons voyous…« 

Dans Libération du 2 mai 2007, l’historien Henry Rousso, ancien directeur de l’Institut d’histoire du temps présent, rapprochait l’attitude de Sarkozy de celle des contre-révolutionnaires du XIXe siècle, consistant à « voir dans un événement historique révolutionnaire qu’on qualifie de maléfique les causes d’un supposé déclin français« . Et de lui rétorquer, sans ménagement : « C’est un argument fantasmagorique, qui ne tient pas sur le plan historique. […] Faire de 68 la cause unique de toutes les valeurs dominantes aujourd’hui est une absurdité. » Selon l’historien, Sarkozy veut définir une culture de droite « en érigeant un ennemi imaginaire. Il reproche à Ségolène Royal et à la gauche de le diaboliser, mais c’est ce qu’il fait : il érige Mai 68 en une sorte de figure du diable… absolument indéfinissable.« 

Un drôle de moralisateur

L’objectif essentiel que se fixe Nicolas Sarkozy, c’est de mettre en oeuvre « la grande réforme intellectuelle et morale dont la France a une nouvelle fois besoin« . De la morale avant toute chose ! « Le mot « morale » ne me fait pas peur. La morale, après mai 68, on ne pouvait plus en parler« , lançait Sarkozy à Bercy, lui qui n’a décidément peur de rien. Eh bien parlons-en de morale !

Nicolas Sarkozy veut réhausser « le niveau moral de la politique« . Mais est-ce que c’est moral, lorsque l’on est ministre de l’Intérieur et favori de la future élection présidentielle, de pratiquer l’intimidation sur des journalistes ? De faire virer un journaliste du Figaro-Magazine, Joseph Macé-Scaron ? De faire virer le directeur de la rédaction de Paris-Match, Alain Genestar ? De censurer la biographie de sa femme Cécilia, Entre le coeur et la raison ? D’ignorer la séparation des pouvoirs, et de mépriser l’indépendance de la justice ? Est-ce moral de critiquer des Etats-Unis l’arrogance de la France lors de son refus de la guerre en Irak ? Est-ce bien moral d’aller à la pêche aux électeurs frontistes en dénonçant, sur TF1, devant des millions de téléspectateurs, les musulmans qui égorgeraient le mouton dans leur appartement, pour ensuite regretter ces propos, en petit comité, devant une association de jeunes de Nanterre ? Est-ce acceptable de se dire fier de son bilan de ministre de l’Intérieur, sur lequel on prétend être jugé, alors que Alain Bauer, président de l’observatoire national de la délinquance, affirme que « l’indicateur de la violence a continué imperturbablement à monter depuis 1994« , et que Sébastian Roché, secrétaire général de la société européenne de criminologie, parle d’un « bilan globalement négatif » ? Est-ce moral, pour l’ancien maire de Neuilly-sur-Seine (de 1983 à 2002), de n’avoir pas respecté la loi SRU (Solidarité et nenouvellement urbain) ? Et puis, dire tout et son contraire, est-ce moral ? Et mentir ? (voir cet « article-somme« )

Et que dire des allégations du fameux numéro de Marianne de l’avant-premier-tour ? « A entendre les chiraquiens, même ceux qui se sont ralliés à son panache, c’est lui, Sarkozy, qui, ministre du Budget de Balladur, lança la justice sur la piste du scandale des HLM de Paris […]. Objectif ? Abattre Chirac ! C’est lui encore, prétendent-ils, qui aurait fait révéler, au Canard enchaîné, l’affaire de l’appartement d’Hervé Gaymard, en qui il voyait un adversaire. » Ou encore, dans un autre registre : «  Se faire, fût-ce en partie, offrir un luxueux appartement aménagé par le promoteur qu’on a systématiquement favorisé en tant que maire, et dans l’espace dont on a, toujours comme maire, financé l’aménagement, est-ce un exemple d’attitude hautement morale ? […] Publier un livre consacré à l’ancien ministre Georges Mandel qui se révèle, pour partie au moins, être un plagiat coupé-collé de la thèse universitaire de Bertrand Favreau, certaines erreurs comprises, est-ce la quintessence du moralisme intégral ? » Etc. Etc. Il y aurait toute une page de l’hebdomadaire à citer…

Kärchériser Bercy ?

Si Sarkozy n’est pas un parangon de vertu, ses amis politiques ne brillent pas tous non plus par leur probité : Patrick Balkany, Alain Carignon, Gérard Longuet, Alain Juppé, Bernard Tapie ou Charles Pasqua sont des spécimens de choix, qui ont tous eu très sérieusement maille à partir avec la justice. Eric Besson, inconnu du grand public avant la campagne, sera devenu, au terme de celle-ci, l’incarnation même de la traîtrise. Même si la concurrence était rude cette année : entre Tapie, Séguéla, Sevran et Hanin, le choix pouvait demander réflexion…

Tout ce beau monde a donc rejoint la France de TF1… pardon, la France sarkozyste, qui, elle, a réussi à échapper à la décadence morale de notre temps, n’a jamais cédé au « relativisme intellectuel et moral« , n’a jamais perdu de vue la « différence entre le beau et le laid« , avec des figures de proue comme Steevy du Loft, Miss Dominique de La Nouvelle Star, Doc Gynéco de Nice People (condamné aussi pour fraude fiscale), Richard Virenque et Marielle Goitschel de Je suis une célébrité, sortez-moi de là !, le big boss Arthur, vice-président d’Endemol France, cette merveilleuse société qui nous gratifie des plus belles émissions de la télévision française, qui participent activement à élever le niveau de conscience des futurs électeurs : Loft Story, Nice People, La Ferme Célébrités, 1ere Compagnie, Star Academy, Opération Séduction, 120 minutes de bonheur… sans oublier les sensationnels Véronique Genest de Julie Lescaut, Roger Hanin de Navarro, Bernard Tapie de Commissaire Valence, Henri Leconte et Johnny, nos exilés suisses, et puis Carlos, Thierry Roland, Philippe Candeloro, Rika Zaraï, Michou, Gilbert Montagné (c’est le raffinement de la beaufitude…), on se croirait presque sur le plateau des Enfants de la télé… avec Enrico bien sûr et Christian Clavier (l’autre mauvais sosie de Louis de Funès, lui aussi en beaucoup moins drôle)… et puis Charlotte Rampling, qui fait un peu tache au milieu de toutes ces lumières… et je gardais le meilleur pour la fin : Charles Villeneuve, le déjà mythique présentateur du Droit de savoir, cette émission de TF1 absolument neutre politiquement, qui, entre les deux tours de la présidentielle, le 1er mai, jour de la fête du Travail, aura eu l’ingénieuse idée de programmer un numéro consacré… aux faux chômeurs ! RMIstes fraudeurs ! et malades imaginaires ! Quelle coïncidence de retrouver là les boucs émissaires privilégiés de Nicolas Sarkozy ! Et j’oubliais, dans l’assistance du Palais Omnisports de Paris-Bercy, celui qui détient 42,9 % de la chaîne TF1, Martin Bouygues. La grande famille de « la France d’après » réunie au grand complet !

Un conflit de valeurs

Nicolas Sarkozy a gagné une élection qu’il a placée sous le signe des valeurs – et qui ne se réduisent certes pas à celles qu’incarnent les grands personnnages évoqués à l’instant… Il a voulu qu’on parle « sans complexe » de l’identité nationale. Et cette discussion a créé un sacré malaise, qui se ressent en ce tout début de mandature. Car Nicolas Sarkozy a « joué », là encore, sur ce thème. Il a fait mine de défendre un héritage moral français, alors qu’il n’en défendait en réalité qu’une partie, l’air de rien. En gros, la défense de l’identité nationale s’est réduite, avec lui, à une réponse ferme et sans détour à la « menace » islamiste. « On n’égorge pas le mouton dans son appartement » est la formule choc qui résume toute cette campagne « morale » de Nicolas Sarkozy. Bien sûr, on peut l’enrichir un peu, comme cela été fait sur Radio-Notre-Dame le 26 avril 2007 : « La polygamie, c’est pas en France, l’excision, c’est pas en France, le voile obligatoire, c’est pas en France, la loi des grands frères qui choisissent les relations de leurs soeurs, c’est pas en France, le père qui oblige la fille à se marier avec quelqu’un, c’est pas en France… Je leur dis tranquillement et simplement, que nul ne doit être condamné à vivre dans un pays qu’il n’aime pas. » Si l’on met de côté le ton un brin méprisant utilisé par l’ancien candidat de l’UMP, on peut et on doit même être d’accord sur le fond. Le problème est ailleurs.

D’abord, en prétendant parler d’identité nationale, Sarkozy (incorrigible) montre encore du doigt un bouc émissaire : cette fois, c’est le musulman. Selon le sociologue Emmanuel Todd, cette stratégie classique consistant à désigner des boucs émissaires permet à des responsables politiques incapables de régler les problèmes économiques fondamentaux qui se posent au pays de faire diversion. C’est un aveu (à peine déguisé ) d’impuissance. Ensuite, et c’est là que se situe peut-être la plus grosse imposture, Nicolas Sarkozy nous indique, par l’idée même de son ministère de l’immigration et de l’identité nationale, qu’il résume la question de l’identité française à celle de l’assimilation des immigrés ; il réduit cette question, au fond, à l’égalité hommes-femmes et au rejet de certaines coutumes venues d’ailleurs. Emmanuel Todd pointe cette imposture : car la France, c’est aussi « le pays de l’égalité« , « du respect de la population« , « attaché à des valeurs universalistes« , alors que Sarkozy « ne croit pas en l’égalité« , « promet d’être dur aux faibles« . C’est encore lui « qui est allé faire des génuflexions devant Bush« , « qui a trahi la tradition gaulliste« . En conséquence de quoi Todd prétend que Sarkozy est « en réel conflit avec l’identité nationale« , « ne sait pas ce qu’est la France« , et finalement « ne considère pas que Sarkozy aime la France« .

On pourrait encore ajouter que la France est un pays profondément attaché à sa laïcité, et que le nouveau président de la République n’a pas montré de très sérieux gages en cette matière cruciale. En témoignent les inquiétudes exprimée par le philosophe Henri Pena-Ruiz, dans une tribune du 15 février 2007 adressée à celui qui était encore ministre de l’Intérieur. Et puis, pour ceux qui auraient déjà oublié les convictions de leur nouveau président en matière religieuse, rafraîchissons-leur la mémoire, avec ces quelques réflexions tirées du livre de Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, paru en 2004 : « Je crois au besoin de religieux pour la majorité des femmes et des hommes de notre siècle. […] On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines. […] La dimension morale est plus solide, plus enracinée lorsqu’elle procède d’une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain. » Dit autrement : iI est impossible d’éduquer un enfant de façon purement laïque, sans l’assistance nécessaire de la religion. Une vie athée est impensable. On comprend mieux les frictions qui animèrent son entretien avec l’athéiste Michel Onfray

Puisqu’il faut croire…

Tenant d’une politique économique que d’aucuns qualifient d’ultra-libérale, et qui devrait précariser les moins nantis – si l’on en croit l’analyse du collectif de militants et de chercheurs « L’Autre campagne » et son film Réfutations -, Nicolas Sarkozy a pourtant réussi le tour de force de les ramener à lui, « tous ces sans grade, tous ces anonymes, tous ces gens ordinaires auxquels on ne fait pas attention, que l’on ne veut pas écouter, que l’on ne veut pas entendre« , et ce par l’adoption d’une posture autoritaire, de chef, contempteur de la décadence intellectuelle et morale, annonçant la liquidation et la mort de la pensée 68, et le retour aux bonnes vieilles valeurs traditionnelles et religieuses (on se demande, au passage, qui peut bien être ce « on » dans la bouche de Sarko… c’est quand même un homme qui a été ministre de l’Intérieur depuis 2002 et qui était ministre du Budget dès 1993 qui parle… et qui nous avoue donc que, jusqu’ici, il n’a pas fait attention aux gens ordinaires… c’est bien cela qu’il faut comprendre ?). Tour de passe-passe coutumier de toutes les droites dures, et des néoconservateurs américains en particulier. Libéralisme dur dans une main, valeurs morales réactionnaires et autoritarisme liberticide dans l’autre ; la deuxième main vient remédier – très superficiellement – aux maux infligés par la première : d’un côté, on mine la cohésion sociale, on crée du malaise et du désordre, de l’autre, on vient apaiser les âmes désespérées et on mate les perdants – potentiellement réfractaires – du système. Un cocktail classique qui a fait ses preuves, qui endort le pauvre terrorisé et stimule le riche jamais rassasié.

Le climat anxiogène installé par Sarkozy durant sa longue campagne (démarrée il y a cinq ans déjà ) perdure dans ces premiers jours de son « ère ». La gauche et Libération nous promettent de la casse, des « fractures » ; le Front national, via Alain Soral, nous assure, de son côté, que le programme du nouveau président reprend à 90 % le sien propre (dans son pan « économico-social »). Soral, qui n’imagine pas une seconde que Sarkozy le mettra réellement en oeuvre, promet néanmoins, au cas improbable où il le ferait, d’aller « lui baiser les pieds« . Fractures promises, convergences « extrémistes »… Pas de quoi rassurer tout le monde. La balle est maintenant dans le camp de Nicolas Sarkozy : saura-t-il devenir le président de tous les Français ? saura-t-il sortir de l’image caricaturale qui lui colle à la peau ? et apaiser l’incroyable défiance d’un nombre considérable de Français, dont rend compte un clip circulant sur Dailymotion, déjà vu plus de deux millions de fois, et redoutablement flippant : Le vrai Sarkozy ? Puisque Nicolas se veut l’apôtre de l’espérance, nous le suivrons sur ce point : nous espérerons en lui, à défaut de croire.

On parle de : Sarkozy, ou le triomphe des passions tristes

Mai 112007
 

A propos de conflits d’intérêts

1- sur le site du Nouvel Observateur : Selon l’institut CSA, 65% des Français se disent « pas choqués » par les vacances luxueuses de Nicolas Sarkozy payées par Vincent Bolloré.

2- sur le site du CSA : CSA est un groupe indépendant détenu par les actionnaires fondateurs (56%) et par le groupe Bolloré (44%).

No comment !

Rappel des faits : Les vacances Jet Set d’un président parvenu.

Pour mémoire : Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de s’excuser d’avoir pris des vacances, et que si il a accepté l’invitation de son ami l’industriel et yachtman Vincent Bolloré, c’est parce que, dit-il, « il n’a jamais travaillé avec l’Etat« . Bolloré lui-même a déclaré que son groupe « n’a jamais eu aucune relation commerciale avec l’Etat Français« .

Deux petits articles permettent de mesurer l’ampleur du mensonge :

– sur Rue89.com : Bolloré n’a jamais travaillé avec l’Etat.» Jamais, vraiment?

– sur bakchich.info : Bolloré et Sarkozy, une amitié au service de l’Etat

Et aussi : L’utilisation de Léon Blum par Bolloré indigne sa famille :

« La petite nièce de Léon Blum, Christine Blum, a opposé, mercredi 9 mai, « au nom de sa tante, de ses cousins et de ses frères et soeurs » un « démenti formel » au communiqué de Vincent Bolloré affirmant que sa famille avait accueilli le président du conseil du Front populaire à son retour de déportation en 1945.

« Antoine Malamoud, son arrière-petit-fils, préfacier des Lettres de Buchenwald, précise au Monde que le socialiste avait alors été hébergé par Félix Gouin, président de l’Assemblée consultative au palais du Luxembourg. « Il n’existe, ni dans la tradition familiale ni dans les travaux des biographes récents de Léon Blum, de trace d’une visite au « manoir » de la famille Bolloré (…). Il me semble à tout le moins indécent de comparer cette invitation, si même elle a existé, (…) à celle faite au président de la République nouvellement élu, afin qu’il se repose des fatigues d’une campagne électorale. » »

Et enfin : L’état de disgrâce, par Alain Finkielkraut – soutien et caution intellectuelle (sic…) de Nicolas Sarkozy durant sa campagne présidentielle :

« On ne peut pas se réclamer du général de Gaulle et se comporter comme Silvio Berlusconi. On ne peut pas en appeler à Michelet, à Péguy, à Malraux et barboter dans le mauvais goût d’une quelconque célébrité de la jet-set ou du show-biz. On ne peut pas prononcer des odes à l’Etat impartial et inaugurer son mandat en acceptant les très dispendieuses faveurs d’un magnat des affaires.

« Contrairement à ce qu’il avait annoncé sur un ton grave, Nicolas Sarkozy ne s’est pas retiré du monde pour habiter la fonction présidentielle : entre le Fouquet’s, Falcon et palace flottant, il a oublié qu’il venait d’être élu président de la République. Il avait peut-être ses raisons que la raison ignore. Espérons cependant qu’il s’en souviendra, une fois de retour sur le plancher des vaches, et qu’il saura, comme il l’avait promis dans des discours de très haute tenue, incarner la France. Pendant trois jours, il nous a fait honte. »

A propos de Finkielkraut, reproduisons ici cette charge bien sentie déposée sur rue-affre :

Caca nerveux

NON non non, ça va pas être possible.

A peine trois jours que le yachtman est élu que déjà il fait honte à Finkielkrault (l’honneur de l’intelligence française dixit la talonnette présidente)

Trois jours à peine que le nombril de Neuilly a touché les six numéros du loto que déjà Barbier, Aphatie, Askolovitch et consorts jouent les vierges effarouchées et se masquent les yeux (cachez cette vulgarité que je ne saurai voir)

Non non non, ça va pas être possible.

Ça va pas être possible de se refaire une virginité de gauche à la Colombani : Je roule pour Sarko six mois, j’appelle a voter Ségo la veille. ( quand c’est plié )

Ça va pas être possible parce que le cabot à Ray ban de chez Bolloré ne s’est pas mis à schlinguer subitement dimanche soir 6 mai à vingt heures au Fouquet’s ou sur le podium avec ses potes de thé dansant devant les Charles Edouard en transe ou sur son yacht de pique-ascete à incarner la fonction présidentielle en étalant de la crème solaire.

ça va pas le faire parce que Sarko ça pue l’arnaque depuis le début. Ça pue la Rolex et la chaîne en or, la tartuferie et l’incompétence, l’inculture et l’arrivisme, la blondasse à 4X4 et la une de voici, la limousine et l’arrogance depuis longtemps. Ça puait déjà quand il faisait siffler les rmistes devant des millionnaires du show biz, ça puait aussi quand il désignait à la vindicte populaire les chômeurs, ces grosses feignasses, ça puait pareil quand il revisitait l’histoire ou la génétique, ça fouettait encore quand le complexé de la droite décomplexée rotait tout haut ce que ses sphincters larguaient tout bas, quand il roulait des pelles a ceux qui se lèvent tôt avec sa bande de jet setters qui se lèvent si tard.

Et ça pue trés trés fort quand un môme se prend 4 mois ferme pour un pavé lancé même pas dans la gueule.

Justice exemplaire ou justice par l’exemple ???

Alors pas de chochoteries post opératoires mon Finkie. Pas de droit d’inventaire, pas de Sarko à la carte. La formule plat du jour et l’œuf mayo.

La France made in Sarkozy tu l’as voulue mon Finkie tu te la fades. Et faudra tout finir, tout bâfrer jusqu’à la nausée. Les divorces, les rumeurs, les plans q, les paparazzi, la pipolisation, la pipotisation, la nouvelle dame de France, les Clavier, les Reno, les Johnny immigrés qui causent mal la France, la star ac présidentielle, la modernité avec les plus de 65ans, les Arthur et ses boîtes à cure-dents, le compassionnel médiatique, la charité bizness caution à audimat, l’ascenseur social version le maillon faible… Tout finir tout saucer. Et rien laisser dans l’assiette. Tu en es, tu en seras comptable.

Comptable des caprices nombrilistes du petit parvenu a talonnettes, de son jogging à la com, de ses Besson à gamelles, de ses Steevie et Gynéco, exemples s’il en est du mérite et de l’effort scolaire, des Hanin Navarro, des Enrico poy poy poy, des Sevran à bite de nègre et des Seguela rererererelifté du crémol. Comptable de toute cette veulerie, de toute cette connerie, de toute cette merde.

OUI comptable mon Glucksman mon Gallo mon Bruckner. Jean Pierre Pernaut/Alain Minc même combat. Même combat les faiseurs TF1 de cerveaux à patasse, les philosophes Grasset pour cerveaux de pétasse ; Kif kif pareil.

Non non non ça va pas être possible.

Pas être possible de faire croire que t’avais un gros ‘rhube’ et que t’as rien senti, que ton ORL était en vacances à Malte, que t’avais le nez morveux, et que le fils morveux et caché de Berlusconi/Aznar tu l’as pas reniflé avant.

Non non non ça va pas être possible d’autant que j’ai la liste, d’autant que j’ai les noms…

Ce caca nerveux, messieurs, c’est le votre : à vous de ramasser. Et veuillez laisser cet endroit aussi propre que vous l’avez trouvé en entrant…

Moi je m’en lave les mains : je suis Grolandais.

tgb.

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On parle de : Tout ce qu’il faut savoir sur les vacances du petit président

Mai 102007
 

Par Thomas PIKETTY

Libération – jeudi 10 mai 2007

Quelles leçons la gauche peut-elle tirer de la défaite de dimanche ? Pour certains, la cause était entendue depuis longtemps : la France s’est droitisée et s’est mise à rêver de Sarkozy, rien ne pouvait y résister. Argument peu persuasif : toutes les études montrent qu’une majorité de Français a toujours eu peur de Sarkozy et de ses dérives. Le vote Bayrou exprime clairement les craintes suscitées par le nouveau président, y compris à droite.

Pour d’autres, la défaite s’expliquerait par une erreur de casting : pas assez expérimentée, pas assez crédible, en particulier sur les sujets économiques, Ségolène Royal ne faisait pas le poids. L’argument ne tient pas : la candidate socialiste a démontré qu’elle avait les capacités et surtout la volonté de renouveler le logiciel économique de la gauche, en développant un discours positif sur la priorité donnée à l’investissement dans la formation et la recherche, en insistant avec force sur la responsabilisation des acteurs, la décentralisation et le refus du tout-Etat, les nécessaires contreparties entre droits et devoirs. Il est probable que seule Ségolène Royal, grâce à son extériorité par rapport au PS et à la légitimité conférée par le vote des militants, était en capacité de lancer l’appel au dialogue à Bayrou entre les deux tours, impératif politique et démocratique évident qui conditionne les victoires futures (comment prétendre prendre en compte les aspirations populaires en feignant d’ignorer que Buffet a rassemblé 1,9 % des voix et Bayrou 19 % ).

En vérité, la gauche a, avant tout, souffert d’un problème de timing. Il aurait fallu bien plus que quelques mois pour construire un programme présidentiel suffisamment charpenté. Pour développer des positions sociales-démocrates fortes et convaincantes sur les grandes questions économiques et sociales (enseignement supérieur et recherche, retraites, santé, fiscalité, marché du travail,…) qui, toutes, exigeront de douloureux ajustements intellectuels chez nombre de militants et sympathisants de gauche, plusieurs années de débats et de patient travail de conviction sont nécessaires. Désignée en novembre, et quels que soient son pragmatisme et son énergie, il était tout simplement impossible pour Ségolène Royal de réaliser ce travail d’ici au mois de mars, surtout après que ses sympathiques compétiteurs internes lui avaient savonné la planche en lui instruisant un procès en incompétence économique.

L’erreur fondamentale commise par le PS entre 2002 et 2007 est d’avoir cru, ou d’avoir feint de croire (car en réalité personne n’était dupe), qu’il était possible de repousser le choix du candidat après la rédaction du programme. Le résultat objectif est que pendant quatre ans, de 2002 à 2006, les socialistes n’ont parlé de rien. Pour une raison simple : il était impossible pour qui que ce soit de prendre une position forte sur un sujet difficile, de peur de se faire canarder dès le lendemain matin par les petits camarades présidentiables. Résultat des courses : le programme adopté par le PS en 2006 est une fontaine d’eau tiède, dans laquelle toutes les questions qui fâchent ont été soigneusement évitées. Les nouvelles couleurs données à ce programme par Ségolène ne pouvaient suffire à le rendre crédible aux yeux des Français.

Exemple évident illustrant ce point : la terrible séquence du débat télévisé portant sur les retraites, dans laquelle Sarkozy a conduit la candidate socialiste à proposer une taxe sur les revenus boursiers. Non pas qu’une telle taxe soit, en tant que telle, inenvisageable : le fonds de réserve pour les retraites est déjà en partie alimenté par une (modeste) contribution sociale sur les revenus de placement, et rien n’interdit de la relever dans le cadre du nécessaire rééquilibrage travail-capital de notre système fiscal. Mais cette réponse tout de même un peu courte rappelait à des millions de Français que pendant des années les socialistes se sont contentés de célébrer l’abrogation future de la loi Fillon. Alors même que l’immense majorité de l’opinion sait depuis des années que la pérennité de notre système de retraites exige des réformes précises et courageuses.

La priorité aujourd’hui est de tout faire pour éviter cette erreur en 2007-2012. Il faut qu’avant la fin de l’année 2007 ait lieu, sous une forme ou sous une autre, un vote des militants (éventuellement élargi aux sympathisants), auquel se soumettront tous ceux qui aspirent à mener le projet socialiste, et qui permettra de désigner un leader incontesté jusqu’en 2012. On entend déjà les arguments fallacieux expliquant qu’une telle personnalisation serait contraire à l’identité collective du parti, etc. En vérité, c’est exactement le contraire : c’est justement parce que les questions de personnes sont totalement secondaires par rapport aux questions de programmes et aux débats d’idées (contrairement à une idée répandue, de très nombreuses personnes ont les qualités pour être président de la République, même Sarkozy) qu’il faut s’empresser de trancher les premières pour pouvoir vite passer aux secondes. Pour sortir au plus vite du combat des chefs et éviter que la catastrophe ne se reproduise, il est urgent aujourd’hui que les militants et sympathisants se mobilisent fortement.

Thomas Piketty est directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris.

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On parle de : Plus jamais ça

Mai 092007
 

Une « présidence modeste », disait-il

sarkozy vacances milliardaireNicolas Sarkozy l’avait annoncé, il aurait besoin au lendemain de son élection de faire « retraite » quelques jours afin de « se retrouver face à lui-même », « prendre la mesure de la gravité des charges » et « d’habiter la fonction ». Il avait d’ailleurs, suite à ces déclarations, laisser la presse gloser sur une retraite en forme d’ascèse monastique.

En fait de monastère, c’est à Malte que la trace du futur Président de la République a été retrouvée. Alors que la presse le cherchait sur l’Ile de Beauté, Nicolas Sarkozy, après avoir passé sa première nuit de président élu dans un palace des Champs-Elysées, le Fouquet’s (la suite coûte entre 1.500 et 2.600 euros la nuit), accompagné de son épouse Cécilia, de son fils Louis et de quelques proches, est arrivé lundi à bord d’un jet privé (propriété de l’homme d’affaires Vincent Bolloré ) à La Vallette, la capitale du plus petit Etat de l’Union européenne. Depuis, il se trouve à bord u Paloma, un luxueux yacht de 60 mètres (200 000 euros la semaine et appartenant au même Vincent Bolloré ) qui navigue dans les eaux cristallines de la Méditerranée, entre l’île de Malte et la Sicile. Un séjour qui pourrait durer 72 heures en tout, mais l’Ile de Beauté, où l’on avait d’abord cru pouvoir le trouver, pourrait bien figurer au programme de Nicolas Sarkozy dans les jours à venir. Des chambres ont été réservées dans deux hôtels de Porto-Vecchio, non loin de la propriété isolée de son ami l’acteur Christian Clavier.

Bref, après un dîner au Fouquet’s en compagnie de quelques « people », dont son ami Johnny Halliday, un rapide passage sur la scène de la Concorde où Dominique de la Nouvelle Star voisinait avec Steevy du Loft et Jean-Marie Bigart avec Mireille Mathieu, puis une nuit au Fouquet’s Barrière suivi donc d’une virée en yacht au large de Malte, les premières heures d’après élection de Nicolas Sarkozy se placent ostensiblement sous le sceau du mauvais goût façon nouveau riche et du mépris d’électeurs auxquels il n’a cessé de vanter les valeurs du travail et du mérite. Sarkozy, en fait, se comporte comme un parvenu de la jet set plutôt que comme un chef d’Etat. Disons qu’il a un peu de mal à habiter la fonction. Des habits trop grand pour lui, sans doute…

On pourra par ailleurs se demander s’il est normal qu’un futur président de la République fasse sponsoriser ses loisirs par des personnages fortunés qui ont tout à gagner des bonnes grâces du pouvoir, des milliardaires qui lui prêtent leur Falcon privé et l’accueillent à bord de leur yacht de 60 mètres. Rappelons en effet que Vincent Bolloré, PDG du groupe Bolloré – dont la filiale Bolloré médias contrôle entre autres le quotidien Direct Soir, la chaîne de télé Direct 8 et l’agence de publicité Havas, mais détient également 40% de l’institut CSA dont on a si souvent entendu parler durant la campagne présidentielle – figure dans le classement des 500 plus grosses fortunes du monde.

« Je veux dire à tous ceux qui souffrent d’injustices (…) que je serai le président qui combattra les injustices », avait-il dit, dimanche soir. « Je ne vous trahirai pas, je ne vous mentirai, pas je ne vous décevrai pas », avait-il ajouté. Le moins qu’on puisse dire est que cela ne commence pas au mieux.

Dernière minute : Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de s’excuser d’avoir pris des vacances, et que si il a accepté l’invitation de son ami l’industriel et yachtman Vincent Bolloré, c’est parce que, dit-il, « il n’a jamais travaillé avec l’Etat« . Bolloré lui-même a déclaré que son groupe « n’a jamais eu aucune relation commerciale avec l’Etat Français« .

Deux petits articles permettent de mesurer l’ampleur du mensonge :

– sur Rue89.com : Bolloré n’a jamais travaillé avec l’Etat.» Jamais, vraiment?

– sur bakchich.info : Bolloré et Sarkozy, une amitié au service de l’Etat

Et aussi : L’état de disgrâce, par Alain Finkielkraut – soutien et caution intellectuelle (sic…) de Nicolas Sarkozy durant sa campagne présidentielle :

« On ne peut pas se réclamer du général de Gaulle et se comporter comme Silvio Berlusconi. On ne peut pas en appeler à Michelet, à Péguy, à Malraux et barboter dans le mauvais goût d’une quelconque célébrité de la jet-set ou du show-biz. On ne peut pas prononcer des odes à l’Etat impartial et inaugurer son mandat en acceptant les très dispendieuses faveurs d’un magnat des affaires.

« Contrairement à ce qu’il avait annoncé sur un ton grave, Nicolas Sarkozy ne s’est pas retiré du monde pour habiter la fonction présidentielle : entre le Fouquet’s, Falcon et palace flottant, il a oublié qu’il venait d’être élu président de la République. Il avait peut-être ses raisons que la raison ignore. Espérons cependant qu’il s’en souviendra, une fois de retour sur le plancher des vaches, et qu’il saura, comme il l’avait promis dans des discours de très haute tenue, incarner la France. Pendant trois jours, il nous a fait honte. »

Et enfin : L’utilisation de Léon Blum par Bolloré indigne sa famille :

« La petite nièce de Léon Blum, Christine Blum, a opposé, mercredi 9 mai, « au nom de sa tante, de ses cousins et de ses frères et soeurs » un « démenti formel » au communiqué de Vincent Bolloré affirmant que sa famille avait accueilli le président du conseil du Front populaire à son retour de déportation en 1945.

« Antoine Malamoud, son arrière-petit-fils, préfacier des Lettres de Buchenwald, précise au Monde que le socialiste avait alors été hébergé par Félix Gouin, président de l’Assemblée consultative au palais du Luxembourg. « Il n’existe, ni dans la tradition familiale ni dans les travaux des biographes récents de Léon Blum, de trace d’une visite au « manoir » de la famille Bolloré (…). Il me semble à tout le moins indécent de comparer cette invitation, si même elle a existé, (…) à celle faite au président de la République nouvellement élu, afin qu’il se repose des fatigues d’une campagne électorale. » »

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On parle de : Les vacances Jet Set d’un président parvenu

Mai 082007
 

« Un passage très périlleux »

portrait tocqueville« Il y a un passage très périlleux dans la vie des peuples démocratiques.

« Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté, il vient un moment où les hommes sont emportés et comme hors d’eux-mêmes, à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts à saisir. Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous. Il n’est pas besoin d’arracher à de tels citoyens les droits qu’ils possèdent ; ils les laissent volontiers échapper eux-mêmes. ( … )

« Si, à ce moment critique, un ambitieux habile vient à s’emparer du pouvoir, il trouve que la voie à toutes les usurpations est ouverte. Qu’il veille quelque temps à ce que tous les intérêts matériels prospèrent, on le tiendra aisément quitte du reste. Qu’il garantisse surtout le bon ordre. Les hommes qui ont la passion des jouissances matérielles découvrent d’ordinaire comment les agitations de la liberté troublent le bien-être, avant que d’apercevoir comment la liberté sert à se le procurer ; et, au moindre bruit des passions politiques qui pénètrent au milieu des petites jouissances de leur vie privée, ils s’éveillent et s’inquiètent ; pendant longtemps la peur de l’anarchie les tient sans cesse en suspens et toujours prêts à se jeter hors de la liberté au premier désordre.

« Je conviendrai sans peine que la paix publique est un grand bien ; mais je ne veux pas oublier cependant que c’est à travers le bon ordre que tous les peuples sont arrivés à la tyrannie. Il ne s’ensuit pas assurément que les peuples doivent mépriser la paix publique ; mais il ne faut pas qu’elle leur suffise. Une nation qui ne demande à son gouvernement que le maintien de l’ordre est déjà esclave au fond du cœur ; elle est esclave de son bien-être, et l’homme qui doit l’enchaîner peut paraître. ( … )

« Il n’est pas rare de voir alors sur la vaste scène du monde, ainsi que sur nos théâtres, une multitude représentée par quelques hommes. Ceux-ci parlent seuls au nom d’une foule absente ou inattentive ; seuls ils agissent au milieu de l’immobilité universelle ; ils disposent, suivant leur caprice, de toutes choses, ils changent les lois et tyrannisent à leur gré les mœurs ; et l’on s’étonne en voyant le petit nombre de faibles et d’indignes mains dans lesquelles peut tomber un grand peuple…

« Le naturel du pouvoir absolu, dans les siècles démocratiques, n’est ni cruel ni sauvage, mais il est minutieux et tracassier. »

Alexis de Tocqueville

Extrait de De la Démocratie en Amérique, Livre II, 1840

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On parle de : La leçon de démocratie de Tocqueville

Mai 072007
 

Vigilance et résistance citoyenne

la France d'aprèsIl a donc obtenu sa revanche, cette revanche qu’il souhaitait avec tant d’ardeur depuis sa tendre enfance. Revanche sur qui, sur quoi ?, on ne le saura probablement jamais tout à fait ; sans doute quelque chose qui a avoir avec le père, la mère, l’errance d’un adolescent et mai 68. Peu importe. Je retiens une chose de ce magnifique discours – je le dis sans ironie, et sans illusion non plus sur sa sincérité – qu’il a prononcé hier soir, cette phrase qui résume la droite qu’il incarne et qui va nous faire tant de mal : « Je veux réhabiliter le travail, l’autorité, la morale, le respect, le mérite. »

Le Travail : Ensemble des activités humaines coordonnées en vue de produire ou de contribuer à produire ce qui est utile. Ethymologie : «tourment, souffrance»…

L’Autorité : Pouvoir d’agir sur autrui…

La Morale : Science du bien et du mal. Ensemble des règles concernant les actions permises et défendues dans une société, considérées comme valables de façon absolue, qu’elles soient ou non confirmées par le droit…

Le Respect : Sentiment qui incite à traiter quelqu’un avec égards, considération admirative, en raison de la valeur qu’on lui reconnaît, et à se conduire envers lui avec réserve et retenue, par une contrainte acceptée…

Le Mérite : Valeur morale procédant de l’effort de quelqu’un qui surmonte des difficultés par sens du devoir et par aspiration au bien. Ce qui rend une personne digne d’estime, de récompense, quand on considère la valeur de sa conduite et les difficultés surmontées…

Mais où donc se trouve l’homme ? Et où donc se trouve la France ? Les valeurs républicaines françaises sont aux antipodes de ce carcan de contraintes que Nicolas Sarkozy dessine au détour d’une seule phrase et de cinq mots qui ne disent pas le libre-arbitre et qui ne parlent pas de l’humain, de son émancipation, qui n’évoquent pas la responsabilité individuelle ou collective, ni les solidarités et la conscience de l’Autre. Cinq mots qui disent individualisme et soumission plutôt que liberté, égalité et fraternité, plutôt qu’humanité et humanisme, plutôt qu’épanouissement personnel.

Une chose est certaine, la droite est de retour… et elle n’est pas contente. Des jours sombres s’annoncent pour les forces de progrès et leur marche en avant vers un un monde meilleur, plus solidaire et plus juste, plus propice à l’humain qu’à cet animal économique, producteur et consommateur, simple rouage dans la grande machine libérale. Beaucoup seront broyés, le sont déjà, et c’est cela surtout qui m’attriste ce matin, cela à quoi il est impératif de continuer à résister. Car si le respect de la décision démocratique est un devoir impératif, la démocratie n’impose pas la soumission, encore moins la résignation. Au contraire, elle commande résistance et vigilance. Dans le devoir de respecter la décision démocratique s’imbrique le droit du citoyen à la contestation du pouvoir et de ses décisions, le droit de manifester pour nos convictions chaque fois que cela sera nécessaire. Ne baissons pas la tête, ne courbons pas l’échine, le combat républicain continue, pacifiquement mais fermement. Ne lâchons rien !

Les élections législatives sont la première étape de la reconquête, la première étape dans la création d’une opposition forte et efficace. Dès maintenant, mobilisons nous !

sarkozy le pen
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On parle de : Le Petit Père des People

Mai 042007
 

Aux Urnes, Citoyens !

Nicolas Sarkozy vous trompe.

Nicolas Sarkozy est l’homme de l’UMP, l’homme du MEDEF et l’homme du bilan.

Nicolas Sarkozy n’est pas l’homme providentiel. L’homme providentiel n’existe pas.

Nicolas Sarkozy ne propose rien de plus que de poursuivre et d’amplifier ce qui est en oeuvre depuis cinq années en France et dont vous savez les résultats calamiteux : économie en panne, précarité en hausse, violences partout.

Nicolas Sarkozy vous trompe et ne vous paiera jamais que de mots.

Nicolas Sarkozy n’a d’autre projet que d’obtenir le pouvoir pour lui-même et pour ceux qui le finance, et qu’il rétribuera en retour.

Nicolas Sarkozy, son projet, c’est lui. Vous n’êtes que le moyen de son projet.

Les grands médias vous mentent et vous manipulent. Vous savez bien de qui leurs patrons sont les amis…

Les sondages vous mentent et vous manipulent. Vous savez bien de qui leurs patrons sont les amis…

Les puissants veulent vous voler l’élection. Ils voudraient parler avant vous, parler pour vous, parler à votre place. Ils voudraient vous faire taire et confisquer cette élection.

Ne vous laissez pas faire ! Révoltez-vous !

Ne nous laissez pas voler l’élection ! Révoltez-vous, révoltons-nous ensemble !

Révoltons-nous ! Votons contre les puissants et contre les manipulateurs d’opinion. Ne soyons pas les veaux qu’ils imaginent.

Révoltons-nous ! Votons pour la démocratie. Votons pour la République. Votons pour la Liberté, pour l’Egalité et pour la Fraternité.

Choisissons librement et votons. Votons et faisons de notre vote une révolte. Car ils riront de nous ou bien nous rirons d’eux. Car c’est de cela qu’il s’agit : eux ou nous !

La démocratie, c’est nous. Montrons-leur que nous sommes libres. Révoltons-nous dimanche, dans les urnes et refusons de tomber dans leur pièges à cons. Votons en hommes et en femmes libres !

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On parle de : Appel à la révolte

Mai 042007
 

« Allez-vous vraiment faire ça ?  » – par Ariane Mnouchkine

Alors, vous allez vraiment faire ça ? Vous les plus purs que d’autres, les plus intelligents que d’autres, vous les plus subtils, vous les cohérents, vous les fins stratèges, vous allez faire ça ? Vous, les à qui on ne la fait plus, les durs du cuir, vous allez vraiment, en ne votant pas pour elle, voter pour lui ? Vous allez vraiment faire ça ? Vous allez le faire ? Vous, les vrais de vrais de la gauche vraie, vous allez faire ça ? Pour cinq ans ! Pour cinq ans, peut-être dix, vous allez faire ça ? Vous, les toujours déçus de tout, vous les amers, les indécis décidés, les lave plus blancs que blanc, vous allez faire ça ? Mais pourquoi ? Parce que quoi ? Parce que jupe ? Parce que talons hauts? Parce que voix ? Parce que sourire, cheveux, boucles d’oreilles ? Parce que vraie ?

Il n’y a rien qui vous aille dans son programme à elle, rien ? Pas cinquante propositions sur les cent ? Pas vingt ? Pas dix ? Pas une ? Vraiment, rien du tout ? Trop de quoi ? Pas assez de quoi ? Pas assez à gauche ? On voudrait, quitte à tout perdre, une campagne à gauche toute ? Mais même l’extrême gauche, cette fois-ci, au deuxième tour, ne joue plus à ce jeu-là. Peu importe, vous, vous allez y jouer ? Le résultat du 21 avril 2002 ne suffit pas ? Non. On le refait en 2007, mais en mieux. Pas au premier tour, non, carrément au deuxième. C’est plus chic.

Que ceux qui ressemblent à Nicolas Sarkozy, ou qui croient qu’il leur ressemble, que ceux-là votent pour lui, quoi de plus normal. Que ceux qui lui font sincèrement confiance pour améliorer leurs dures vies, que ceux-là l’acclament et votent pour lui, quoi de plus normal. C’est même estimable. Que les grands patrons votent Nicolas Sarkozy, pas tous d’ailleurs, loin s’en faut, non, mais par exemple les grands patrons de presse, qu’on a vu si nombreux, si heureux, à Bercy dimanche, qu’ils votent pour leur copain, qui va vraiment améliorer leurs belles vies, c’est moins estimable, mais quoi de plus normal ?

Mais vous, une respiration possible, un air nouveau, un espace de travail politique, une chance espiègle, ça ne vous dit rien ? Vraiment rien ? Mais qu’est-ce qui vous fait si peur ? Les Italiens ont enfin chassé Berlusconi, les Espagnols, après une grande douleur révélatrice, se sont débarrassés d’Aznar, et voilà que nous, à quelques milliers de voix près, nous allons repasser le plat de la droite dure ?

Il y a un pari audacieux à prendre contre une certitude sombre, et vous ne pariez pas ? Quels désirs obscurs allez-vous satisfaire ? De qui donc, de quoi êtes-vous secrètement solidaires. Ce ne peut-être du bien de ceux qui ont besoin, vitalement, de mieux être. Vitalement. Maintenant.

Supporterez-vous dimanche soir d’apprendre qu’il a manqué une voix ? Une seule. La vôtre.

Je vous en supplie.

Ariane Mnouchkine

3 mai 2007

Théâtre du Soleil

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On parle de : La victoire est en chacun d’entre nous

Mai 032007
 

La très saine colère de Ségolène Royale

Souvenons-nous, il a débuté la campagne en disant qu’il serait le candidat de l’éthique. Mais chez Nicolas Sarkozy le dire et le faire sont deux choses différentes, qui ne sont reliés en rien, par aucun lien en tout cas susceptible de l’engager. Il a refusé d’assumer jusqu’au bout son bilan personnel comme ministre de l’Intérieur, refuser d’assumer le bilan du gouvernement auquel il a appartenu, bilan qui est aussi celui du parti dont il est le président et qui possède 4010 députés à l’Assemblée Nationale. Et Ségolène Royal a raison quand elle dit que « la morale politique (…) demande que les responsables politiques rendent des comptes par rapport à ce qu’ils ont fait« .

Ce matin, sur France Inter, Ségolène Royal a déclaré ceci : « M. Sarkozy s’est sans arrêt situé en posture de victime, alors qu’il a porté les coups les plus rudes, en particulier après les événements de la gare du Nord, (quand) pendant 8 jours il a répété que j’étais du côté des voleurs et des fraudeurs. (…) Mais cela, il n’a pas osé me le redire bien évidemment en face. (…) Il ne faut pas, lorsqu’on donne les coups les plus rudes, se poser en victime. (…) Nicolas Sarkozy fait penser à ces enfants qui donnent des coups de pieds et qui se mettent à crier les premiers pour faire croire que c’est le petit voisin qui a porté le coup ». Elle a raison aussi.

Nicolas Sarkozy dissimule, dit ce qu’il faut dire, adopte l’attitude qu’il faut adopter et change de discours en fonction de son auditoire. Nicola Sarkozy est un populiste génial – et l’on sait qu’il est des mauvais génies – et il fallait que cela puisse être démontré lors de cette seule et unique confrontation que Nicolas Sarkozy a acceptée durant toute une campagne où il n’a eu de cesse de manoeuvrer en sorte de n’avoir jamais en face de lui un contradicteur. Et même durant cette unique confrontation, sa seule préoccupation aura visiblement été de prêter le moins possible le flanc à un débat frontal, projet contre projet, valeurs contre valeurs, débat qu’il n’a cessé d’esquiver allant jusqu’à fuir le regard de Ségolène Royal pour se réfugier tel un petit garçon, en effet, dans celui de Poivre d’Arvor. Il fallait démasquer autant que faire se pouvait le populiste, faire ne serait-ce qu’un instant tomber le masque du mensonge et de l’immoralité politique. C’est dans cet esprit qu’il est utile de visionner cette « saine colère » de Madame Royal – colère parfaitement maîtrisée, soit-dit en passant :


On parle de : De l’immoralité politique de Nicolas Sarkozy

Mai 032007
 

Royal Sarkozy : le débatHier soir, lors du tant attendu débat d’entre deux tours, nous avons assisté à l’affrontement de deux stratégies tout à fait opposées et tout à fait révélatrices. Pour Ségolène Royal, il s’agissait de montrer qui elle était réellement – compétente et volontaire, pugnace et souriante, à la hauteur du poste – et le moins qu’on puisse dire est qu’elle a atteint son objectif. Pour Nicolas Sarkozy, il s’agissait au contraire de dissimuler qui il est vraiment – surtout ne pas s’emporter, faire profil-bas, jouer la victime chaque fois que l’occasion se présentait – et le moins qu’on puisse dire là aussi est qu’il a également parfaitement atteint son objectif.

Et l’ensemble des observateurs de se précipiter pour en conclure qu’il y a match nul, que personne ne sort victorieux de cette confrontation. Les plus audacieux disent que si éventuellement Ségolène Royal l’a emporté, Nicolas Sarkozy n’a pas perdu. C’est qu’ils confondent le débat et l’élection elle-même. Ils disent « match nul » parce qu’ils supposent, ou s’efforcent de supposer, que les « points marqués » par Ségolène Royal hier soir ne seront pas suffisant pour rattraper son « retard ». Ils le supposent, de même qu’ils supposent ce retard à la lecture des sondages, et nous verrons bien ce qu’il en sera. La seule réalité qui n’est pas supposée ce sont les points marqués par Ségolène Royal lors de ce débat, et donc son incontestable victoire. Car que cela suffise ou non pour emporter l’élection, Ségolène Royal a hier soir été incontestablement meilleure que Nicolas Sarkosy.

Il y a d’abord le fait que nombreux s’attendaient à voir la candidate de la gauche et du centre être laminée par celui de l’UMP et de la droite extrême. M. Sarkozy était celui qui maîtrisait les dossiers et le champion incontesté du débat – tellement incontesté qu’il n’a d’ailleurs cessé de refuser d’être confronté à des contradicteurs tout au long de la campagne. Quant à Mme Royal, elle était tout simplement incompétente. Au résultat, le fait même qu’aucun commentateurs n’osent tout de même parler ce matin d’une victoire de Nicolas Sarkozy est une victoire pour Ségolène Royal. L’espace du seul débat que lui a consenti son concurrent, elle a effacé l’ardoise du procès en incompétence orchestré par celui-ci tout au long de la campagne et est parvenu à convaincre de sa capacité à occuper le poste de présidente de la République – ce que plus personne ce matin ne s’avise de lui contester.

Sur le fond, non seulement donc elle s’est montré compétente, mais elle s’est montré plus compétente que son adversaire. Ce fut vrai sur l’ensemble des sujets abordés, économie, social, société, international, et ce fut criant sur le dossier de l’écologie, dossier majeur s’il en est. Rappelant que son projet a sur ce point été noté 16/20 par un organisme indépendant, contre 8/20 à celui de M. Sarkozy, elle a confronté ce dernier à son incompétence en la matière, le reprenant sur la part du nucléaire dans la consommation totale d’énergie en France – 17% et non 50% comme l’a prétendu le candidat de l’UMP* – et le corrigeant lorsque celui-ci a évoqué l’EPR comme une centrale de 4ème génération – il s’agit de la 3ème génération et d’un prototype.

Mais elle l’a également emporté dans le domaine de la sincérité et de la force de conviction. On a pu constater tout au long du débat une Ségolène Royal qui regardait dans les yeux son contradicteurs, tandis que celui-ci semblait de plus en plus l’éviter, cherchant constamment du regard celui des journalistes, comme y trouver un soutien dans sa tentative de dissimulation de sa propre personnalité. L’une cherchait le dialogue, le débat frontal projet contre projet, tandis que l’autre aurait voulu une succession de monologues au cours desquels il aurait eu l’opportunité confortable de dérouler son habituelle rhétorique, enchaînant les mots sans qu’on puisse lui apporter la contradiction. Et puis il y eut le choc sur la question du handicap, cette « colère saine » de Ségolène Royal dénonçant l' »immoralité politique » d’un homme faisant des promesses en totale contradiction avec ses actes. Les commentateurs pourront gloser autant qu’ils le souhaitent, le point est que Nicolas Sarkozy fut là démasqué.

De même, Nicolas Sarkozy eut à subir un rappel sur ce bilan qu’il voudrait tant ne pas avoir à assumer, alors même que son projet s’inscrit dans la droite ligne de la politique menée depuis cinq années, période durant laquelle Nicolas Sarkozy était au gouvernement et chef du parti majoritaire au parlement. Ce bilan, il peut être utile de le rappeler, ce sont la dette qui s’est accrue de 300 Milliards d’euros, la croissance qui a été la plus faible de la zone euros, le déficit commercial qui a atteint les 30 Milliards d’euros annuel (du jamais vu !), le déficit cumulé de la sécurité sociale qui se monte à 90 Milliards d’euros, les prélèvements obligatoires qui ont augmentés sur l’ensemble de la période, le pouvoir d’achat des français qui est en berne, les précarités qui sont en hausse et les chiffres du chômage que l’on a cru nécessaire de trafiquer, au point que les agents chargés d’élaborer les statistiques se sont mis en grève pour protester. Pis pour Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal l’a confronté à son propre bilan en matière de sécurité en lui rappelant l’augmentation constante des violences physiques et la montée des violences dans les établissements scolaires, se permettant de souligner au passage que « la morale politique (…) demande que les responsables politiques rendent des comptes par rapport à ce qu’ils ont fait ».

Terminons ce rapide survol du débat par cet échange autour de la question de la dette. Ségolène Royal, après un exposé solide au cours duquel elle a en particulier annoncé son intention d’affecter l’intégralité des fruits d’une croissance supérieure à 2,5% au remboursement de la dette, a dénoncé l’accumulation de dépenses qui figure dans le projet de son adversaire, la baisse irréaliste de 4 points de PIB des impôts – rappelons que Mme Tatcher est parvenu sur dix ans a faire deux points en saignant à blanc l’ensemble des services publics -, ainsi que l’engagement tout aussi irréaliste de supprimer un poste de fonctionnaires sur deux, sans préciser dans quelle administration. Nicolas Sarkozy eut alors l’intention de contester à Mme Royal la possibilité de redéployer l’argent public entre l’Etat, les collectivités territoriales et l’assurance maladie, ce qui lui valut en retour cette réplique : « Si vous ne pouvez pas faire, pourquoi voulez-vous accéder aux responsabilités? Et bien moi, je le pourrai.  »

Aussi, il ne s’agit pas de prétendre au match nul au prétexte que la prestation comparée des candidats pourraient ne pas suffire à créer les conditions de la victoire pour Ségolène Royal. Il s’agit simplement de constater que l’espace de ce débat, Ségolène Royal est apparue comme une meilleure candidate que Nicolas Sarkozy. Tandis que ce dernier s’évertuait avant toute autre chose à se maîtriser afin de ne pas commettre de faux-pas, elle s’est révélée compétence et sincère, a apporté la preuve qu’elle a l’envergure d’une femme d’Etat et la volonté de répondre à l’aspiration au changement que revendiquent les français, une femme dont la capacité d’indignation et de révolte contre les injustices et l’immoralité en politique demeure intacte. Cela pourrait bien éclairer le choix des français qui, dimanche soir, auront finalement tranché entre aigreur et repli sur soi d’une part, ouverture d’esprit et volonté d’aller de l’avant de l’autre, deux visages différents pour la France.

* l’UMP a aujourd’hui beau jeu de se gausser parce que Ségolène Royal a commis un lapsus en parlant de la part du nucléaire dans la consommation totale d’électricité, plutôt que d’énergie, il reste qu’elle connaissait le chiffre exact, tandis que Nicolas Sarkozy n’avait pas même idée de l’ordre de grandeur. Un lapsus ne fait pas une incompétence, l’incapacité à produire un ordre de grandeur, oui !

On parle de : Le débat