Spectateur sans théâtre
Il n’y a pas de réalité et l’on est seul. L’on vit et l’on meurt seul. C’est peut-être ainsi qu’on pourrait résumer Homme sans but. La seule richesse tangible de Peter est monétaire. Comme chacun de nous, c’est un bâtisseur. Il décide de bâtir une ville, sa ville et dont les habitants seront ses voisins, son entourage, les compagnons d’une vie et qui l’aideront à mourir, c’est-à-dire à ne pas mourir seul. Frère n’est pas son frère. Femme n’est pas sa femme, ni même son ex-femme. Ils sont ses salariés, payés pour endosser les rôle du frère et de l’ex-femme dans le théâtre du monde où se joue sa vie. Tout est mercantile et les relations humaines ne sont que faux-semblants.
Cette pièce valait sans doute mieux que ce que Claude Régy a décidé de nous présenter et qui donne à penser qu’elle serait en lice au concours de la pièce la plus ennuyeuse du monde. Ou comment à force de vouloir une mise en scène dépouillée, il ne reste rien… sinon l’ennui. Imaginez : pas de décor, sinon un plateau immense et nu ; pas de mise en scène, outre des comédiens immobiles, contraints de déjouer et de dire leur texte dans une absence abyssale d’émotion et avec une lenteur difficilement supportable ; et finalement, pas de théâtre.
On aurait pu éventuellement louer la performance des comédiens, si celle-ci n’était en réalité surclassée par celle de spectateurs pétrifiés par l’ennui et stupéfiés d’avoir osé supporter jusqu’au bout cent cinquante interminables minutes de non-spectacle – mention spéciale étant attribuée à ceux qui, en nombre non négligeable, ont cependant abrégé leur calvaire et quitté la salle. A la fin, il en restait quelques-uns, hagards, soulagés, et en définitive assez peu gênés par l’inévitable torpeur qui accueille le salut des comédiens : applaudissement éparses et à peine polis, pas de rappel, pas même suffisamment d’énergie pour siffler ou huer un metteur en scène dont l’absence aux côtés de ses comédiens pour partager ce difficile moment de solitude est en réalité tout à fait cohérente…
C’est aux ateliers Berthier-Odéon, c’est avec Bulle Ogier et, inutile de faire des ronds de jambes, c’est une sombre daube.