Août 312010
 

cafardJe suis insecticide.
Ne ris pas. Ce n’est pas une image. Je ne cherche pas à te dire que j’ai mauvaise haleine.
Enfin. Certes. Je suis plutôt un grand fumeur. Et j’ai plutôt dépassé les quarante ans. Alors évidemment parfois. Le matin souvent. C’est inévitable. Ne ris pas. Non, ne ris pas. Parce que tu sais, les filles, elles aussi.

Surtout, ce n’est pas le sujet.

Je suis insecticide. Vraiment insecticide. Insecticide comme d’autres sont homicides, régicides ou parricides. Pis que cela, je suis insecticide multirécidiviste.

Cela étant dit, et je le précise donc, puisqu’il le faut, mon hygiène buccale est absolument irréprochable. N’y revenons plus.

Insecticide…

Entends-moi bien, je ne prends aucun plaisir à tuer un insecte. Ce n’est pas l’acte en lui-même qui me motive, mais la disparition de l’insecte, c’est-à-dire de la gêne que sa présence sur mon territoire m’avait occasionné. Qu’il m’ait ou non piqué. Qu’il soit ou non pourvu d’un dard même. Sa disparition radicale, définitive, voilà ce qui me procure plaisir et soulagement.

Oui, tu l’as bien noté, j’ai dit « mon territoire ». Je sais que ce n’est pas tout à fait le vocabulaire qui convient à l’air d’un temps où la tendance est à l’amour d’une nature dont l’homme devrait se faire le protecteur plutôt que le conquérant, une nature forcément hospitalière où l’homme se comporterait en parasite prédateur quand il devrait chaque jour en louer, en respecter et en préserver les innombrables bienfaits.

Et bla bla bla.

Je pourrais sur ce point philosopher, te dire que, sans l’homme, de nature il n’y aurait point. Puisqu’il n’y aurait personne pour avoir conscience et compréhension de son existence. Te dire que rien n’existe qui ne puisse être pensé, à commencer par le temps qui passe. Et que donc, merde, là où je me pose ça devient quand même un peu mon territoire. Et puis il reste bien assez de place là où je ne suis pas pour qu’on n’ait pas à venir m’emmerder ici. Surtout quand on ne dépasse pas le centimètre.

Ce serait en faire trop pour trop peu.

Le point est que ces sales petites bêtes me rendent hystérique. Les mouches qui me bourdonnent dans l’oreille. Les moustiques qui me sucent le sang et après ça démange. Les taons qui pareil mais en pire. Les abeilles qui me tournent autour quand je mange, qui n’hésitent pas à venir se servir sur mes lèvres et me piquent au moindre geste de travers. Les fourmis qui envahissent tout en faisant les fières parce qu’elles parviennent à charrier des miettes de pain dix fois plus grosses qu’elles. Les papillons de nuit de toutes tailles qu’affolent la moindre lueur et qui se cognent partout et jusque contre mon visage tellement ils sont cons. Et toutes les autres espèces d’insectes dont j’ignore l’appellation, plus hideuses les unes que les autres et dont on ne sait jamais jusqu’à quel point ça pique, à commencer par les araignées qui, non contentes d’être particulièrement repoussantes, mettent partout leurs fils qui poissent et leurs toiles qui gluent.

Délit de sale gueule, dis-tu. Oui, aussi. Et ainsi ai-je certains égards pour la si mignonne petite coccinelle.
Des égards néanmoins tout à fait relatifs.

Tous les autres je les abhorre. Alors chaque fois qu’il en est un pour venir m’emmerder, je n’ai pas le début d’un scrupule à user du droit de vie ou de mort qui, de tout temps, fut conféré aux forts sur les faibles. Et je tue et j’assassine. Et je suis impitoyable. J’assassine, oui, pour le seul besoin de mon confort et de ma tranquillité, sans joie particulière mais sans pitié aucune. Avec chaque fois, je te l’ai dit, la douce sensation que procure le soulagement.

Et je n’hésite pas non plus à tuer préventivement. Les guêpes surtout, qui tombant sur un morceau de viande ou une trace de confiture, s’empresseraient, si on leur laissait la vie sauve, de s’en aller ameuter cinquante nouvelles emmerdeuses.

Je ressens, je ne te le cache pas, une forme de détestation de même acabit envers les pigeons. Les rats aussi, ces pigeons sans ailes. Ceux-là, pigeons et rats, ont toutefois l’avantage d’être plus craintifs, qui décampent à votre arrivée, cédant la place sans barguigner. Pourtant, et j’en fais l’aveu devant toi, c’est uniquement parce que l’assassinat du pigeon réclame davantage d’équipement qu’une tong, ou qu’un vieux journal, que je ravale l’envie de meurtre qui me saisit violemment chaque fois qu’une fiente s’en vient à me tomber sur l’épaule ou le crâne.

Tu as raison. Le fait est que je ne suis pas non plus excessivement amoureux des chiens, des chats ou des poissons rouges. Tu conviendras cependant qu’on a rarement vu dépérir grand-mère parce qu’on aurait occis son araignée de compagnie. Ni pleurer un enfant parce qu’on aurait arraché les ailes d’une mouche – ou alors c’est que le morveux trépignait de s’en charger lui-même.

Il y a des millions d’années, sais-tu, quand les espèces aquatiques en étaient à entreprendre de conquérir les étendues terrestres, les insectes, d’abord incomparablement plus gros qu’ils ne sont désormais – probablement plusieurs dizaines de centimètres pour certains – avaient opté, quand les conditions de vie s’étaient faites plus arides, pour une stratégie d’adaptation exactement inverse à celle des dinosaures : ils se firent petits. C’est dire s’ils sont sournois.

Et les dinosaures disparurent.
Sauf les lézards.

Plusieurs dizaines de centimètres !
Sûr alors que j’aurais moins fait le malin.
Passe-moi le fil dentaire, tu veux.

Je m’en vais maintenant capturer au lasso ce cafard repoussant qui grimpe sur ton dos.

Je m’en vais maintenant capturer au lasso
Ce cafard repoussant qui grimpe sur ton dos.

Je m’en vais maintenant
Capturer au lasso
Ce cafard repoussant
Qui grimpe sur ton dos.

Je m’en vais.
Maintenant.

 

Source : Un cafard sur ton dos