Nov 142012
 

Encore une anecdote chargée de sens.
Ou comment les petites choses révèlent parfois les grandes questions.

Celle-ci me vient encore de Twitter et est survenu à la suite de la précédente, que je vous ai narré à propos du journalisme normal.

J’avais un peu taquiné deux journalistes un peu trop pressés l’un et l’autre d’avoir raison et qui, une bonne heure avant qu’elle ne se termine, se désolaient avec une délectation déjà perceptible, mais un peu trop anticipée, que la conférence du président de la République n’avait pas abordé les questions internationales. Quand leur pronostic se trouva évidemment déjoué et que le temps advint pour François Hollande d’aborder ces questions, je m’étais permis sournoisement de les interpeler par ce tweet :

L’un des deux journalistes, Samuel Laurent, avait alors choisi de biaiser et de contre-attaquer – mais mon propre fleuret était largement mouchetée  – sur le caractère misogyne, forcément misogyne de mon adresse finale. Et comme Twitter est une agora où tout le monde a la possibilité d’y aller de son petit grain de sel – et c’est ce qui le rend si sympathique – Irene Delse s’est empressée d’enchérir sur cette thématique qui lui est chère :

 

Le dialogue qui s’en est suivi est tout à fait intéressant, pour ce qu’il révèle de ce qui selon moi est une dérive du féminisme et lui fait le plus grand tort :

dedalus – Tss tss. La misogynie ne serait-elle pas de considérer que féminiser un homme serait insultant ?

irenedelse – Et on se rattrape aux branches…

dedalus – Non. Je sais simplement qui je suis et d’où je parle. Tant pis pour celles et ceux qui sont un peu à cran.

irenedelse – Bah, tiens, ça confirme : si on n’apprécie pas un truc lourdingue, on est « à cran » ? Bravo…

dedalus –  Je vais le dire autrement alors : ne pas confondre vigilance et suspicion. « Alors, heureuses ? » est une expression passée dans le langage courant et qui a son sens. Pourquoi faudrait-il la masculiniser ?

irenedelse – Ou plutôt utiliser une autre expression moins connotée, oui… 

dedalus –  Parce que quand c’est connoté féminin c’est mal connoté ? 

irenedelse –  Fais semblant de ne pas comprendre : le problème est l’association systématique féminin/bêtise ou femme/sexe… réductif !

dedalus – Mais qui fait l’association ? Remets dans le contexte et tu comprendras que j’ai employé cette expression par autodérision. Autodérision de celui qui par péché d’orgueil demande s’il a satisfait l’autre.

irenedelse – Ouais, hum. Mieux vaut éviter de continuer à creuser…

dedalus – Creuse tant que tu veux, je suis irréprochable. Raison pour laquelle j’use du langage en toute liberté, sans précaution.

irenedelse –  Autre conseil : quand quelqu’un te dit « ce truc me gêne », évite de commencer par attaquer cette perception…

dedalus – Je n’attaque pas, je dis la perception est erronée, emprunte d’une suspicion mal placée. Dit autrement, s’autocensurer c’est déjà avoir cédé aux intolérances – racisme, antisémitisme, homophobie, machisme, etc…

irenedelse – Là, tu vas finir en ZemmourStyle…

dedalus – Non. Lui n’est pas irréprochable. Toute la différence est là, dans l’interlocuteur, dans son innocence – si je peux me permettre. 

irenedelse – « Je n’attaque pas, je dis la perception est erronée » CQFD.

dedalus – Quoi ? Je devrais dire tu as raison, je suis misogyne. ce n’est pas le cas, pas même inconsciemment.

irenedelse – Non, là, confusion entre reproche sûr ce que tu DIS et ce que tu ES, et dont à la limite on se fout, seul l’extérieur est visible

 dedalus – Tu confonds voir et percevoir, entendre et comprendre. Il y a toujours un émetteur et un récepteur. Vigilance, oui. Suspicion, non. Ce qui est dit est dit par quelqu’un. Et puis est entendu par un autre.

irenedelse – Merci de me prendre pour une andouille et de prétendre m’expliquer le schema de base de la communication… #mansplaining (*)

dedalus – #mansplaining : et voilà comment à trop vouloir déceler de la misogynie chez les hommes, on verse dans la misandrie. Dommage. Le fait est que là où je vois une discussion entre deux personnes, tu vois un homme qui fait la leçon à une femme. Dommage aussi.

irenedelse – Ah, tiens, « misandrie », je l’attendais… Tellement classique.

dedalus – Bref… Si tu ne veux pas comprendre que la misogynie n’est pas dans le dire mais dans une pensée, inconsciente ou non, tant pis. Continue ta croisade fièrement. Je pense moi que tu uses d’une méthode parfaitement non productive, parce qu’aveugle. Dommage.

 Comme quoi, et pour ceux qui en doutais encore, Twitter permet aussi d’avoir de vrais échanges. Ceci dit en passant.

Mais ce qui m’intéresse surtout ici est cette logique de certaines, et certains, féministes, quand constatant – et ils ont raison – que la société est encore très machiste, que l’égalité homme-femme n’est pas encore une réalité – loin s’en faut – , que la société française demeure à faire la part belle aux propos machistes en tout genre, ceux-là s’érigent en censeurs et voudraient nous guérir de ces maux par la dénonciation de toute parole qui pourrait paraître suspecte.

C’est vouloir soigner le mal par le mal. Vouloir aseptiser la parole, ou même l’entraver de quelque manière que ce soit, est toujours contre-productif. Parce qu’aseptiser n’est en aucun cas assainir. Bien au contraire, c’est en étouffant la parole, en tentant de jointer hermétiquement le couvercle de la cocotte-minute de la pensée, que prolifèrent les bactéries les plus réactionnaires.

Ce que j’ai essayé de défendre auprès de ma contradictrice – le mot est du plus mauvais effet, mais on ne pourra pas dire que je n’y mets pas du mien – est que toute parole, selon qui la prononce, est ou n’est pas l’expression d’une pensée tarée. Aussi, en homme sain, je revendique le droit à l’humour et au second degré et je continuerai, quoi qu’on en pense et quoi qu’on m’en dise, de parler comme il me plaira à propose des juifs et des arabes, des noirs et des femmes, des homos et de toutes les sous-catégories humaines sujettes aux intolérances. 

Quant à ce « Alors, heureuse ? », je maintiens qu’il parle davantage du mâle orgueil, mais aussi de la mâle angoisse, que d’une supposée soumission de la femme. Et je maintiens que si je me refuse à passer mon temps à avoir la vigilance de féminiser tout mon vocabulaire, et ce faisant avoir bien souvent à le tordre, ce n’est pas pour me mettre à la première occasion à masculiniser une expression, laquelle alors perdrait tout son sens et – c’est bien pire encore – toute sa saveur.

Et ce fût-ce même pour épargner la susceptibilité à un peu à cran de quelques féministes au bord de la crise d’hystérie (**).

 

(*) Le mansplaining est un néologisme féministe très à la mode, contraction des mots anglais man et explaining, le mansplainer étant donc cet homme qui s’applique à expliquer la vie à une femme, la supposant idiote. Notons que c’est  non seulement un mot-valise mais est, en sus, un mot-piège puisque s’en défendre vous expose de facto à vous y enfoncer.

(**) C’est volontairement que je ne mets pas de smiley. Ce serait pour le coup sombrer dans le mansplaining… C’est que que tout de même, je suis convaincu qu’un certain second degré devrait leur être accessible (**).