Oct 092009
 

lynchageJ’ai jusqu’à aujourd’hui évité de m’exprimer directement sur l’affaire Polanski comme sur l’affaire Mitterrand. La raison en était simple : comment être audible au milieu de ce que Alain Finkielkraut nomme « la foule lyncheuse»?

Pourtant – et c’est là où Finkielkraut se trompe quand il parle assimile Internet à une poubelle – quand on prend le temps d’écouter attentivement, et pour peu qu’on parvienne à faire abstraction des hurlements de la meute, on comprend que Internet est simplement à l’image du peuple, de tous les peuples : les cons y aboient plus fort que les autres et sont généralement tous d’accord entre eux, notamment pour se contenter d’un avis tranché à vif, sans recul ni nuance.

Je suis d’accord et je comprends Trublyonne quand elle se contente de demander : « L’UMP qui défend la liberté sexuelle et le P.S. la rigueur morale, le tout derrière Marine Le Pen, vous ne trouvez pas que c’est le bordel en Sarkozye en ce moment ? »

Je suis d’accord avec le Coucou qui avec sa mesure habituel évoque « l’hallali [qui sonne] de l’extrême droite à la gauche », « les Toto-la-vertu » qui s’ébrouent sans retenue dans les sinistres eaux d’un « retour à l’ordre [qui est] en train de gagner le monde ».

Je rejoins Dr No qui exprime son malaise devant « une meute blogosphèrique sans contour ni recul », « ceux qui hurlent au loup », et aussi quand il conclue que « le lynchage médiatique dans une société de droit a toujours quelque chose de pitoyable … même lorsqu’il est basé sur des faits avérés, à fortiori quand ils sont anciens et déjà largement connus ! »

Je suis d’accord avec François Mitterrand qui interrogeait sur Twitter : « Faudra-t-il à la fin clouer au pilori tous les Lewis Carroll mal inspirés et les Vladimir Nabokov sans talent ? » – et Bruno-Roger Petit a par ailleurs écrit un excellent billet sur le sujet, contrairement à Guy Birenbaum qui refuse de se mouiller.

Je partage l’avis de Nicolas quand il propose « à tout moralisateur gauchiste qui a déjà maté le cul d’une adolescente de 14 ans en se disant qu’elle semblait en avoir 17 ou d’un type de 25 ans en s’imaginant qu’il en a 15 de se couper tout seul les couilles et de les bouffer avec du gros sel » et je proclame avec lui que « si la nouvelle stratégie électorale du Parti Socialiste est de remuer la merde soulevée par le Front National, il le fera sans moi. » Et d’ailleurs je suis encore d’accord avec lui quand c’est mon avis qu’il partage : « ce glissement suggestif de l’homosexualité à la pédophilie n’est pas nouveau et fait le lit de l’homophobie et des violences qui l’accompagne ».

En réponse à un commentaire de mon ami Rimbus, avec lequel pour une fois je suis en désaccord, j’ai écrit : « Soyons clair, je ne prends en aucun cas la défense de Frédéric Mitterrand, ni celle de la prostitution, encore moins celle du tourisme sexuel. Je dis juste qu’un homme a raconté dans un livre son expérience intime d’homosexuel attiré par de « jeunes garçons »… et que le fait qu’on hurle aussitôt à la pédophilie, et même que sans hurler on en laisse le sous-entendu, ça me glace et ça me semble irresponsable. Ce glissement suggestif de l’homosexualité à la pédophilie n’est pas nouveau et fait le lit de l’homophobie et des violences qui l’accompagne. […] Sans même parler qu’il y a un monde d’horreur qui sépare le détournement de mineur de la pédophilie… Il y a dans tout ce bazar bien trop d’amalgames désolants ».

Au même endroit, j’ai rappelé que les Beatles étaient « quatre garçons dans le vent ». Ailleurs j’ai interrogé « donc l’homo qui se paie un mignon là-bas est moralement plus répréhensible que l’hétéro qui s’offre une jeune pute ici ? », souligné « le grand bond en arrière dans la lutte contre l’homophobie et son assimilation à la pédophilie, en France », rappelé que « quand on donne dans le populisme, on en vient tjs à se faire déborder par l’extrême-droite » et déclaré « je hais cette gauche qui s’érige en gardienne intransigeante des bonnes mœurs ».

Le point est qu’à hurler avec la meute, on en oublie de défendre l’essentiel :

– dans l’affaire Polanski : l’intellignetzia en général, et Frédéric Mitterrand en particulier, ont eu grand tort de mettre en avant la qualité d’artiste de Roman Polanski afin de prendre sa défense. Aussitôt, la meute s’est engouffrée et la gauche n’a pas su réagir. Le résultat est que l’idée de justice a une nouvelle fois reculé en ne saisissant pas l’occasion de rappeler que la prescription est un élément fondateur de notre système judiciaire. Elle en est même un élément civilisateur. La justice ne se préoccupe pas de devoir nourrir l’esprit de vengeance. Elle ne se préoccupe pas de faire justice à une victime ou de condamner un acte : la justice juge un homme et la prescription est reconnaître à tout homme la faculté de changer, c’est reconnaitre ce qui fait son humanité. Sans prescription, la justice devient acharnement.

– dans l’affaire Mitterrand : Benoit Hamon a emboîté le pas à Marine Lepen. Et Manuel Valls. Et Montebourg aussi. Et la meute blogosphérique qui n’est que le peuple enfin audible au quotidien. Le résultat est que pour condamner le tourisme sexuel, ce qui est un vrai sujet, pour réclamer des comptes à un Ministre sur son passé, ce qui est moins glorieux, on a vu ressurgir le feu homophobe de l’ancien volcan où l’on croyait avoir éteint l’intolérable amalgame entre pédophilie et homosexualité.

C’est que parmi les hurlements de la meute et les vociférations des lanceurs de pierres, mesure et nuance n’ont plus prise, tout se mélange et puis tout s’amalgame : abus de pouvoir sur mineur et pédophilie, viol et pédophilie, homosexualité et pédophilie ; mais aussi justice et identification à la victime, justice et désir de vengeance, justice et expiation…

Il aurait été bienvenu par exemple de rappeler qu’il y a ce qui relève d’une attirance sexuelle maladive pour les enfants et qui se nomme la pédophilie. Et qu’il y a, sans que la frontière puisse être bien identifiée, ce qui relève de l’interdit social d’une relation sexuelle fondée sur un rapport de pouvoir moral : un adulte ne couche pas avec un ado, un professeur ne couche pas avec son élève, un patron ne couche pas avec son employé, un cinéaste de renom ne couche pas avec une starlette ambitieuse et alcoolisée, un touriste fortuné ne paie pas pour coucher avec un jeune homme du bout du monde, miséreux et exploité… Dans un cas, celui de la pédophilie, l’interdit est universel et ne se discute pas. Dans l’autre, entre en ligne de compte la culture, la conviction intime, l’opinion de soi, le respect de l’autre, le débat moral, la conscience du bien et du mal… Dans un cas on a affaire à un pédophile, dans l’autre à un irresponsable, ou plus prosaïquement un con, et parfois, en fonction des lois en vigueur, à un criminel.

Tout ce qui est écrit ci-dessus l’a été, par moi ou par d’autres, de manière plus ou moins sybilline, avec plus ou moins de talent et de capacité de résonnance (des liens bordel, des liens !), sur Internet. Preuve que Alain Finkielkraut a sur ce sujet une opinion un peu trop amalgamante. Je le répète, Internet est tout simplement à l’image du peuple – et ce n’est pas toujours reluisant. Pour le reste, sans doute parce qu’il sait là davantage de quoi il parle – mais le peuple a tendance à dévaloriser tout ce qui ressemble à une élite, et le penseur philosophe est donc nécessairement un con – Finkielkraut a fait ce matin sur France Inter une excellente intervention : dix minutes à écouter avec nuance et mesure, et peut-être un peu d’ouverture d’esprit.

Source : Internet et Finkielkraut