Juin 122020
 

Je n’en peux plus de ces débats rances sur la bonne manière d’être anti-raciste, ou d’être féministe, ou de bien porter son gilet jaune. Assez de ces leçons qu’on donne à ceux qui se révoltent, parce qu’ils ne gueulent pas assez poliment leur rage face à ce qui les opprime, à ceux qui les discriminent.

C’est trop facile, quand vient le moment où c’est trop tard, de s’offusquer de leurs manquements à la bienséance républicaine. C’est notre faute, nous avions fermé les yeux, et préféré ne pas voir. C’était plus confortable, plus rassurant. Mais quand ils nous forcent à regarder, parce que souffle un petit vent de révolte, évidemment ça ne sent pas très bon, ça n’est pas trop trop propre, pas toujours beau à voir non plus.

Mais, voyez-vous, la saleté elle était là bien avant, sous le tapis, ce beau tapis bien moelleux sur lequel nous avancions pieds nus, insouciants. Nous aurions dû nous soucier pourtant. Depuis longtemps. Ne pas détourner le regard. Ne pas nous boucher le nez. Admettre que c’était cette insouciance qui était une insulte à la morale républicaine, cet aveuglement qui n’était ni bienséant ni républicain.

Nous : les blancs, les hommes, les bourgeois.

Nous qui avions, oui, le privilège d’être nés du bon côté du tapis, de ce côté bien doux où la devise républicaine tenait toutes ses promesses – mais ça n’était pas tellement difficile, nous étions entre nous. Sous le tapis, depuis longtemps, la souffrance des opprimés, des discriminés, des laissés pour compte. Sous le tapis, depuis longtemps, la révolte qui grondait et que nous refusions d’entendre.

Elle prend forme désormais. Et elle prend à l’occasion des formes que la morale républicaine réprouve. Et quoi, nous oserions nous en offusquer ? Nous sommes responsables de ce qui arrive. Notre indifférence collective aux petites injustices du quotidien est seule responsable. Nous avions le luxe de l’indifférence et, admettons-le, nous en avons bien profité. Il ne s’agit pas même de s’en excuser, il s’agit d’en prendre enfin conscience et nous offusquer d’abord de cela.

Je n’en peux plus moi d’entendre que le racialisme est un racisme, ou que le féminisme est un sexisme, ou que le gilet-jaunisme est un fascisme. Oui, peut-être, à l’occasion… mais ça n’est pas du tout le problème et c’est encore une manière de ne pas regarder dans la bonne direction, de chercher ailleurs qu’en nous-mêmes des responsabilités qui nous incombent. Et ça, pour le coup, c’est réellement intolérable.

Alors, un petit conseil, tout à fait entre nous, s’ils font tomber une statue, s’ils brûlent un livre, censurent un film, ou si même ils en viennent à vouloir vous pendre, ne vous offusquez pas, demandez-vous seulement d’où leur est venue cette irrépressible envie de vous pendre. Demandez-vous pourquoi, avant que d’être pendu. Tenez, mieux encore : demandez-vous pourquoi, avant même que ne leur vienne l’idée de vous pendre. Parce que croyez-moi, vous offusquer non seulement ne vous sauvera pas, mais ça vous donnera l’air encore plus con quand vous vous balancerez au bout de la corde.

Mais rassurez-vous, ce n’est qu’un petit vent de révolte, une brise pas bien méchante, la tempête n’est pas à nos portes, et il y a loin encore de la corde au pendu. Il est encore temps, peut-être, d’ouvrir les yeux…