Déc 242015
 
don quichotte sancho panzaIl ne saurait y avoir, dans ma conception de la République française, deux catégories de Français, ceux qui pourraient être déchus de leur nationalité et les autres, des Français plus français que d’autres Français. L’Egalité en passe par là. Et probablement aussi, et incidemment, la Fraternité.
 
Il est nécessaire de peser politiquement, en particulier sur les parlementaires de gauche, afin que ce projet de révision constitutionnelle n’entérine pas la déchéance de nationalité pour les binationaux convaincus de terrorisme. Parce que le principe d’égalité de tous devant la nationalité est essentiel, est un pilier républicain qu’il ne saurait être anodin d’affaiblir. Et ce quelle que soit la menace à laquelle la République doit faire face – et qu’il ne faut pas minimiser.
 
J’ai lu avec attention le papier d’Edwy Plenel sur Mediapart à ce sujet. Une fois de plus, c’est à pleurer tant Edwy Plenel partage avec Jean-Luc Mélenchon – mais avec tant d’autres également – la posture du preux chevalier de la gauche. Mélenchon en Don Quichotte de la radicalité, flanqué d’un Edwy Plenel en Sancho Panza, voilà donc ce qu’est la gauche devenue. Une gauche de pacotille, parfaitement vaniteuse et finalement politiquement impuissante.
 
Si la gauche d’opposition souhaite se saisir de ce combat politique, c’est tant mieux. Encore faudrait-il qu’elle veuille bien, cette gauche de la gauche, cette gauche radicale, savoir ce qu’elle veut vraiment. Obtenir que ce projet ne voit jamais le jour, ou bien faire de la bouillie avec le PS tout en admirant dans le beau miroir des grands mots le doux et sublime reflet de cette tant belle radicalité dont elle a tant soin de se draper.
 
Je lis le papier de Mediapart. Je suis d’accord sur le fond. Mais la forme est encore et toujours ce même discours qui tue la gauche, où l’on comprend qu’il est pour eux plus important d’insulter tout ce qui n’est pas leur tant belle gauche plutôt que de faire gagner leurs idées – qui sont souvent miennes et sur lesquelles ne me reste qu’à pleurer. On comprend qu’au fond, ils s’en foutent bien que ce projet de déchéance de nationalité voit le jour. Au contraire, ils l’espèrent. Inconsciemment, ils l’espèrent. Parce qu’ils pourront dire qu’ils avaient raison et qu’ils se trouveront alors plus beaux encore. Toujours plus beaux et toujours plus purs.
 
Ils sont inutiles, mais tellement beaux !
 
Lisez plutôt de quoi est faite la prose du magnifique Sancho Plenel :
– ce projet serait un « attentat contre la République » ou comment mettre au même niveau Hollande et le gouvernement Valls avec les terroristes de Daesh ;
– « trahison » et « perdition » ;
– « infamie » et « imposture » ;
– « vil, bas et indigne » ;
– « épouse, à la lettre, l’idéologie de l’extrême droite » ;
– « le pouvoir sème le poison de la purification nationale » ;
– « préjugé xénophobe » ;
– « un imaginaire d’exclusion, de tri et de sélection, où xénophobie et racisme s’entretiennent et s’épanouissent autour du bouc émissaire principal de notre époque, le musulman » ;
– « idéologie inégalitaire, de hiérarchie et d’exclusion » ;
– un petit couplet amalgamant sur le « régime de Vichy », « l’acte autoritaire d’un pouvoir dictatorial » et « le maréchal Pétain » ;
– « communauté nationale épurée » ;
– « ressusciter une idéologie de l’exclusion et de la purification » ;
– « cette hystérie verbale est un appel à la violence » ;
– « le hollandisme ouvre la voie aux mêmes passions tristes et dévastatrices, nées des noces de la peur et de la haine » ;
– « Avec le gouvernement Valls, la prophétie orwellienne est au pouvoir » ;
 
Rien que ça !
 
Quand la gauche parviendra-t-elle à comprendre que l’outrance et l’invective ne savent servir un argumentaire qui soit utile, ne peuvent convaincre que les convaincus, sont toujours politiquement vaines, inefficaces et, pis, contre-productives ? Quand cessera-t-elle enfin de se regarder le nombril, d’admirer sa tant pure et tant ronde radicalité ? Il ne s’agit pas que d’avoir de belles idées, encore faut-il se donner les moyens de les répandre, de gagner du terrain sur les sales idées. Ne pas se satisfaire d’avoir idéologiquement raison au prix de se donner chaque fois politiquement tort.
 
La constitutionnalisation de la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux ne doit pas être votée. C’est ce combat qu’il faut mener, et cela implique de se donner les moyens de convaincre les Français et d’exercer une pression politique sur les parlementaires qui, réunis en Congrès, auront à voter ou non une constitutionnalisation dont nous ne voulons pas. Pas parce que ceux à gauche qui la voteraient seraient des traîtres en pleine dérive xénophobe, pétainisés et fascisants, mais parce que la République est Egalité et qu’il ne saurait y avoir de principe à géométrie variable, fut-ce même au détriment d’un seul terroriste. Chaque Français né Français le demeure, quel que soit l’acte ignoble qu’il s’en serait venu à commettre. Il est Français et la France se doit de l’assumer, de le reconnaître comme tel, qu’il possède ou non une autre nationalité. Il est l’un des nôtres, s’il faut le dire ainsi. Que nous le voulions ou non, il fait partie de nous, de ce qu’est aujourd’hui la France. De ce qu’elle est aussi et dont elle doit avoir conscience. Le renier lui serait se renier elle toute entière.
 
Dire cela, et bien d’autres choses encore. Intelligemment et sans outrance. Laissant une place pour le débat, la discussion, c’est-à-dire la démocratie. Critiquer une chose pour ce qu’elle est, pas en la ramenant à une autre et, forcément, au final, à la pire d’entre elles. Tout ne se vaut pas. Tout ne se ramène pas au pire. La critique n’a de sens que dans la nuance, l’usage de la bonne proportion, donc des bons mots. Pour dénoncer fort, il est nécessaire de trouver le mot juste, le mot précis. Pas le mot le plus violent.
 
Les outrances, les amalgames, les envolées lyriques ramenant tout à tout et au final au fascisme (forcément), produisent chaque fois le contraire de ce qui est souhaité, ou prétendument souhaité, conduisent chaque fois à la défaite idéologique et politique. Renvoyer chaque adversaire, et sans distinction ni nuance, au camp du Mal ne fait jamais que renforcer ce dernier. En ce sens il serait alors facile de retourner les mots dont se gargarise Edwy Plenel pour qualifier cette gauche si politiquement nulle : trahison, perdition, infamie, imposture, ville, basse, indigne… Tant elle se plait et se complait avec une valeureuse constance, de défaite en défaite, à s’astiquer vainement la radicalité, cette gauche, incapable de comprendre que c’est pour cette raison même qu’elle se trouve désertée par le peuple, ce peuple dont elle continue de se réclamer mais qui ne l’entend plus, incapable de réaliser qu’à force de renvoyer tout à tout, et tous dans le camp du Mal, celui-ci ne cesse de gagner le terrain politique qu’elle lui abandonne. Le Mal gagne par la faute de la gauche. Par sa faute également. Par son irresponsabilité politique.
 
Il y aurait pourtant un discours intelligent et porteur qu’il serait possible de tenir. Il existe, et même sur Mediapart – lisez par exemple ce Consternation et vive inquiétude de Pierre Rosanvallon – mais voilà, il est étouffé sous les flots bruyants de l’indignation outrée que déversent et déverseront, la main sur le coeur, nos valeureux Mélenchon Quichotte et Sancho Plenel, qui se moquent bien au fond de l’efficacité de leurs propos, qui ne se sentent finalement pas concernés par ce projet de déchéance de nationalité pour les seuls bi-nationaux. Il ne s’agit jamais pour eux que d’écraser le monde entier de leur superbe radicalité, de leur supériorité morale largement fantasmée, l’un et l’autre ayant l’aigreur et la revanche en partage, chaque fois qu’ils affrontent courageusement leurs petits moulins.
 
Être politiquement efficace, changer la réalité, non, ça ça ne les concerne pas. Dénoncer est, à leurs yeux chafouins, bien plus important. Bien plus confortable aussi. Et tant pis si c’est politiquement inefficace et idéologiquement destructeur. Ils s’en moquent, ils sont purs, nos preux chevaliers.