La cigarette électronique est un phénomène qui, parti de Chine, prend de l’ampleur chaque jour et – n’ayons pas peur des mots – dans le monde entier. Les boutiques en ligne fleurissent, mais plus encore, des boutiques bien réelles ouvrent dans nos rues à un rythme très soutenu. Je ne sais combien de Français déjà sont devenus adeptes de la e-cigarette, sont devenus des vapoteurs puisque c’est le terme consacré, mais il n’est désormais plus exceptionnel d’en croiser, cela tend même à devenir fréquent. Et, je vous le dis, je vous le prédis, la tendance ne fera que s’accélérer.
On ne peut aujourd’hui affirmer que la cigarette électronique est une méthode efficace et sans danger pour arrêter de fumer. On ne peut en parler comme d’un substitut nicotinique à préconiser dans le cadre d’un sevrage tabagique. Cela pour la simple raison qu’aucune étude sérieuse et suffisamment concluante n’a encore été menée – du moins en France. Il n’en reste pas moins que pour ce qui me concerne, moi qui il y a peu encore étais un fumeur invétéré, moi qui depuis vingt ans avais tout tenté pour en finir avec la cigarette, j’ai enfin réussi à arrêter de fumer. Non je n’ai pas arrêté de fumer, c’est mieux que cela encore : je ne fume tout simplement plus.
Je m’explique. J’ai fait l’acquisition d’une cigarette électronique il y a désormais plus d’un mois. Par curiosité. Pour tester. Avec à l’esprit que peut-être, un jour prochain, cela pourrait m’aider dans une éventuelle nouvelle tentative pour me sevrer du tabac. Sans trop y croire. L’habitude de l’échec, la résignation du drogué. Et pourtant… Le fait est que, sans rien décider, sans le moindre effort de volonté, le jour même où je suis entré en possession de ma cigarette électronique, ce jour-là je n’ai fumé que trois cigarettes. Et les jours suivants, je n’ai pas dépassé ce nombre. Plus jamais. En moins d’une semaine, une cigarette par jour était devenu mon maximum et aujourd’hui, je n’ai toujours rien décidé, ai toujours un paquet de clopes avec moi, mais je ne fume plus. Tous les deux trois jours, j’allume une cigarette, parfois je la finis, parfois non tant le goût me rebute, peu importe, je l’allume sans culpabilité, je n’ai pas décidé d’arrêter de fumer, je me réjouis seulement de constater que la cigarette n’est plus un problème pour moi, plus ma came.
L’important n’est pas d’arrêter de fumer, l’important est de cesser de s’empoisonner.
Et il ne s’agirait que de s’empoisonner moins que déjà ce serait beaucoup.
Je suis pour ma part convaincu que la cigarette électronique, si même elle s’avérait nocive pour la santé, ne saurait l’être que moins, infiniment moins que la cigarette. La raison en est simple : lorsque vous fumez une cigarette, vous inhalez non seulement de la nicotine, mais également du goudron et du monoxyde de carbone – en réalité ce sont quelques 4 000 substances chimiques que vous inhalez, dont plus de 60 classées cancérigènes par le CICR (Comité International de Recherche sur le Cancer) ; a contrario, la cigarette électronique est tout simplement une batterie qui alimente un atomiseur ou « vaporisateur », lequel permet de produire de la fumée artificielle par aspiration via un réservoir qui contient un liquide. Bref, un liquide est transformé en vapeur au moyen d’une petite résistance électrique. Il n’y a aucune combustion et le liquide est un mélange aromatisé de glycérine végétale (20%) et de propylène glycol (80%), contenant ou non de la nicotine, et à un dosage choisi.
Je ne suis pas un spécialiste, mais il semble bien que la glycérine végétale et le propylène glycol ne présentent guère de risque avéré pour la santé, que l’un et l’autre sont d’ailleurs déjà largement présents dans les industries alimentaires, pharmacologiques et cosmétiques. Et il semblerait même, et en outre, que de la nicotine inhalée sans combustion et à un dosage maîtrisée poserait moins de problèmes qu’avec combustion.
(J’apprends en outre, à propos de la nicotine, que « ses propriétés de protection du cerveau de la nicotine contre les maladies d’Alzheimer et de Parkinson ont été relevées par plusieurs études. Elle serait également bénéfique contre la dépression, les syndromes d’hyperactivité et les troubles obsessionnels compulsifs (TOC). »)
Bref, du point de vue de la santé, la cigarette électronique m’apparaît largement préférable à la cigarette traditionnelle. Je dirais même qu’il n’y a pas photo. Mais cela reste en effet à prouver. Et c’est là que le bât blesse.
L’industrie du tabac est très puissante et a énormément à perdre dans la prolifération de la cigarette électronique. Moins puissante néanmoins que l’industrie pharmaceutique, laquelle vend à prix d’or des méthodes de sevrage tabagique et en particulier toute la gamme des substituts nicotiniques. Quant aux pouvoirs publics, la perte des taxes prélevées sur la vente de cigarettes représenterait un manque à gagner assez difficilement négligeable en ces temps de crise budgétaire. On comprend alors pourquoi si peu d’études sont à notre disposition pour en savoir un peu plus sur l’efficacité de la cigarette électronique en tant qu’instrument de sevrage tabagique, d’une part, sur le niveau de toxicité – ou de non toxicité – de cette cigarette électronique, d’autre part.
Ni l’industrie du tabac ni les laboratoires pharmaceutiques n’ont intérêt à laisser de telles études être menées à bien. Et il va falloir pousser légèrement aux fesses les pouvoirs publics pour les commanditer auprès d’organismes de recherche dont on se sera assurés non seulement de la complète indépendance, mais également des financements.
Mais – parce qu’il ne s’agissait pas uniquement de faire un joli titre – je vais vous dire pourquoi selon moi la cigarette électronique sera le cancer de l’industrie du tabac, en sus d’être une épine dans le cul des laboratoires pharmaceutiques. Pour ce faire, il faut comprendre pourquoi nous fumons. Ce qui expliquera pourquoi tout fumeur sera tôt ou tard amené à préférer la cigarette électronique.
Que recherchons-nous dans la cigarette ?
Une contenance. Peu ou prou, c’est ainsi que nous avons tous commencé à fumer, au tout début de l’adolescence pour certains, à l’entrée dans l’âge adulte pour les autres, grosso modo entre 12 et 22 ans. Sans trop caricaturer, les autres fumaient, ils avaient l’air cool, nous n’étions nous-mêmes pas très à l’aise dans nos baskets, nous nous sommes mis à fumer à notre tour. Ensuite, nous en avions pris l’habitude, la cigarette faisait part de notre gestuelle, de qui nous étions, de qui nous sommes devenus désormais. La cigarette, en quelque sorte, est devenu un prolongement de notre ego, une manière de le faire tenir à peu près droit.
Un besoin de succion. Cela relève davantage encore de l’inconscient, mais je crois beaucoup à cette idée que l’acte de fumer est aussi une forme régression jusqu’au sein maternel. Le pouce fut un substitut au sein, la tétine put pour certains devenir un substitut au pouce, et plus tard la cigarette devint un substitut à la tétine, donc au pouce, donc au sein maternel, donc à Maman. Et il faut bien admettre qu’on y perdrait beaucoup dans notre quête de la cool attitude à sucer son pouce devant la fille que l’on voudrait bien mettre dans son lit. Alors on se contente de téter comme des forcenés le bout chaud et humide d’une cigarette.
Une dose de nicotine. Ceci vient plus tard. Assez rapidement cependant. Une fois que la drogue a pris possession de vous. Pas franchement méchante mais sournoise, elle ne vous lâchera plus.
Le hit. C’est là que je vous surprend, normalement. Parce que vous ignorez sans doute ce qu’est ce hit. Un fumeur comprendra néanmoins facilement ce qu’il désigne. Le hit est ce petit quelque chose qui se passe au fond de la gorge au moment où vous inhalez la fumée, ce petit resserrement, ce léger grattement, cette légère brûlure qui nous a fait tousser la première fois que l’on a avalé la fumée. Prenez une paille, tirez dessus, inhalez : il ne se passe rien. Voilà ce qu’est le hit, ce quelque chose en plus auquel nous ne faisons plus guère attention au fil des cigarettes et qui pourtant nous est indispensable, qui est en réalité au cœur de la satisfaction du fumeur, de sa quête. Le hit, c’est ce que nous recherchons, et apprécions tellement, les rares fois où nous prenons une bouffée consciemment, en nous concentrant dessus, en la savourant, la tête rejetée en arrière, quand nous nous absorbons tout à fait dans l’acte de fumer, en inhalant la fumée, lentement, profondément. Imaginez… Voilà, vous avez saisi, je pense.
Le goût ? C’est une illusion. En vérité, nous n’aimons pas le goût de la cigarette. Sous l’emprise de la drogue, nous apprenons à le supporter, à l’occulter plutôt, à en faire abstraction. Ou du moins à faire abstraction de la part répugnante qui existe dans le goût de toute cigarette, celle qui nous a fait grimacer la première fois que l’on a fumé – non seulement la toute première fois, mais la première fois que l’on recommence après chaque tentative d’arrêt. C’est ici, ici d’abord, que réside toute la magie de la cigarette électronique : le goût en est agréable, réellement agréable, c’est-à-dire qu’il ne comporte pas l’âcreté du tabac et de sa combustion.
Le goût, c’est ce qui explique l’étonnante facilité avec laquelle on passe, sans forcer, sans y mettre aucune volonté, de la cigarette à la cigarette électronique. A choisir, vous préfèrerez la cigarette électronique, tout simplement. Le fait même d’avoir le choix entre les deux suffit à révéler ce que la drogue nous imposait d’oublier, à savoir que nous n’aimions pas la cigarette, son goût, pas tant que ça en vérité.
Dans ma poche gauche, ma cigarette électronique, dans la droite, mon paquet de clopes : j’ai envie de sucer, de me donner une contenance, de répondre à l’appel de la nicotine, de savourer la perverse sensation du hit : tout cela, ma cigarette électronique me le procure aussi bien qu’une cigarette traditionnelle, la saveur en sus : donc je choisis de tirer sur ma cigarette électronique, je choisis de vapoter plutôt que de fumer. Je n’y perds rien. Et j’y gagne en réalité beaucoup. Voilà tout. Voilà pourquoi je ne fume plus : j’ai tout simplement trouvé mieux.
J’y gagne une saveur plus agréable. Les saveurs disponibles pour alimenter une cigarette électronique sont légions, depuis les goûts tabacs jusqu’aux goûts fruités, en passant par les goûts bonbons ; tabacs bruns ou blonds, chocolat ou menthe, malabar ou spéculos, pomme ou fruits de la passion, vous avez l’embarras du choix.
J’y gagne une meilleure santé. Pour commencer, mes vêtements ne sentent plus le tabac froid, mon haleine devient légèrement plus éligible au roulage de pelle intempestif, et ce n’est plus dans une quinte de toux que je me réveille chaque matin. Ensuite, je parviens maintenant à monter plus de deux étages consécutifs sans devoir reprendre mon souffle. Enfin, je crois fermement que la course de vitesse entre mon infarctus du myocarde, mon cancer du poumon et mon cancer de la gorge est très nettement en train de se ralentir, sans doute parce que la ligne d’arrivée s’éloigne.
J’y gagne la fin d’une addiction. Les e-liquides contiennent de la nicotine à des dosages variables, typiquement 18mg, 12mg, 6mg ou 0mg par ml de liquide. Il suffit de bien ajuster sa dose, suivant son rapport au tabac et en prenant garde de ne pas commencer avec un dosage trop faible. Progressivement, ensuite, on diminuera les doses, probablement avec l’objectif de se débarrasser complètement de son addiction à la nicotine – mais ce n’est pas obligatoire, la nicotine n’est pas forcément très méchante à des niveaux d’ingestion « raisonnables », surtout elle le reste moins sous cette forme qu’absorbée via une combustion de tabac. La seule difficulté pour passer à la dose inférieure, même progressivement, est qu’on tend à y perdre en hit – il semble cependant que certains fabricants de e-liquide développent actuellement des saveurs permettant de provoquer le hit sans la nicotine… A suivre donc.
J’y gagne du pouvoir d’achat. Le paquet de cigarettes est désormais autour des 6€50, soit un budget de 100€ par mois pour un fumeur consommant 10 cigarettes par jour. Pour faire une cigarette électronique (une vraie, pas ces machins jetables incapables de délivrer une saveur correcte), il vous faut au minimum une batterie rechargeable, un atomiseur, un réservoir et du e-liquide. En réalité, pour être confortable, deux batteries permettent que l’une demeure en charge pendant que vous utilisez l’autre. De même, investir dans trois ou quatre couples atomiseurs/réservoir est un plus. Comptons : une batterie coûte 10€ et a une espérance de vie largement supérieure à une année, donc deux batteries plus le chargeur secteur/usb vous coûteront 25€ à 30€ maximum ; un système atomiseur/réservoir coûte entre 5€ et 10€ suivant le système choisi, lequel système comporte des consommables d’une durée de vie d’une semaine à un mois, suivant l’utilisation que vous en faites, avec un coût de remplacement de 1€ à 2€ pièce ; enfin, un flacon de e-liquide de 15ml vous fera 10 jours, peu ou prou, et ne vous coûtera pas plus de 10€. Bref, inutile de poursuivre le calcul, chacun comprendra que l’opération est plus que largement gagnante.
J’y gagne une liberté retrouvée. Je parle ici de la liberté de fumer, c’est-à-dire de vapoter, partout. Au bureau ou dans le métro. Au café ou au restaurant. Au chaud quand il fait froid. Et même sous le nez de mes enfants. Non seulement le vapotage dans les lieux publics n’est pas interdit, mais la fumée de votre e-cigarette est essentiellement composée de vapeur d’eau, diffusant éventuellement une très légère odeur, extrêmement ténue et volatile, pas désagréable pour un sou et, surtout, absolument pas nocive : de la vapeur d’eau, on vous dit ! Dit autrement, il ne saurait y avoir tabagisme passif sans tabac, c’est évident. Y aurait-il un vapotage passif ? Soyons honnête, ce n’est tout de même pas tout à fait exclu. Pas seulement de la vapeur d’eau, mais bon… Ok alors, pas sous le nez de mes enfants.
Vous me direz peut-être que ce n’est là que ma propre expérience, mon propre enthousiasme qui me déborde, que je ne peux tirer de mon propre cas la conclusion que des millions, des centaines de millions de fumeurs vont dans les mois et les années qui viennent délaisser le tabac pour devenir des vapoteurs, au point de menacer l’industrie du tabac, et de finalement la conduire à sa ruine. Vous avez tort, mon expérience est – et j’en ai été le premier surpris – celle de bon nombre de ceux qui ont tenté l’expérience de la cigarette électronique. Il ne suffit que de parcourir un peu internet, de se rendre sur les forums dédiés à la cigarette électronique, pour s’en faire une bonne idée. Prenez n’importe quel vapoteur dans la rue, dans un café, allez lui parler, il vous racontera la même histoire. C’est facile, il y en a de plus en plus. Et pour cause !
Tiens, je vais même jusqu’à penser que ceux qui ont essayé et n’ont pas été convaincus sont ceux qui ne sont pas parvenus à se trouver une nouvelle contenance, une nouvelle image d’eux-mêmes dans la cigarette électronique – puisqu’on ne vapote pas tout à fait de la même façon que l’on fume, c’est un autre style. Mais là encore, à mesure que la cigarette électronique va se répandre, il deviendra plus facile à chacun d’assumer ce « look » qui relève aujourd’hui encore d’une certaine originalité.
Allez, soyons tout à fait complet. Ce que l’on perd avec la cigarette électronique, c’est cette convivialité généreuse, quand on sortait son paquet de clopes et qu’avant de se servir, on le présentait à la ronde : « Je t’offre une cigarette ? ». Pratique conviviale et sympathique s’il en est, mais qui a néanmoins totalement disparu depuis près de deux décennies, tant la cigarette est devenu un produit cher, même à l’unité. Non décidément, on n’y perd rien. Absolument rien. Je vous le dis, les jours de l’industrie du tabac sont désormais comptés.
Mais vous verrez aussi que cette industrie-là ne se laissera pas faire, pas plus que l’industrie pharmaceutique n’acceptera sans rechigner de se laisser déposséder de sa rente sur les produits nicotiniques, qu’elle vend a prix d’or – c’est-à-dire très exactement, et systématiquement, au prix de son équivalent cigarette, ce produit de luxe. Déjà les premiers coups ont été portés. Peut-on imaginer que le tabac demeurant en vente libre, on réserve aux pharmacies la vente de e-liquide et aux laboratoires pharmaceutiques leur fabrication ? Je crois que malheureusement on peut, tant puissants sont les lobbies en question, tant importantes sont les sommes en jeu. La partie n’est pas encore tout à fait gagnée et l’avenir nous dira qui finalement succombera au cancer. Les consommateurs de tabac, encore et toujours, pour les siècles des siècles, ou bien, pour changer, l’industrie du tabac, parce que les fumeurs seront tous devenus des vapoteurs – au point même qu’on pourra se passer de cette distinction, et donc de ce terme particulièrement hideux.
En attendant, la e-cigarette est en vente libre et, si vous y pensez un instant, c’est une belle opportunité de renvoyer la balle. L’industrie du tabac a tenté de vous métastaser depuis des années, métastasez donc l’industrie du tabac, soyez maintenant son cancer, passez à la cigarette électronique.
Mais pour une expérience réussie et profitable, gustativement plaisante, il ne faut pas non plus acheter n’importe quoi. Vous voulez vous y mettre ? Vous souhaitez savoir quoi acheter pour commencer ? Un jour prochain, je ferai un billet pour partager mon expérience. Peut-être. En attendant, vous qui êtes arrivés au bout de cet interminable billet, vengez-vous, n’hésitez pas à poser vos questions dans les commentaires. Ma pénitence sera de vous répondre.
EDIT 1 : J’ai pour ma part beaucoup appris en parcourant ces deux forums : le repaire des vapoteurs et le forum des utilisateurs de la cigarette électronique.
EDIT 2 : Décidément, je n’aime pas le terme. Ne pourrait-on pas dire, en lieu et place de vapoter et vapoteur, fumer en 2.0 et fumeur 2.0, par exemple ? Je pose la question.
EDIT 3 : Je vous conseille la lecture de deux articles qui m’avaient échappé lors de la rédaction de celui-ci. D’abord un témoignage très bien écrit et plein d’humour : Moi, vapoteur, cobaye et pionnier. Ensuite un article de presse, pour une fois plutôt équilibré, fournissant une bonne synthèse sur le sujet : A toute vapeur !