Sep 302011
 

A chaque élection, c’est la même chose. Des sondages sont publiés. Les uns aussitôt les brocardent parce que les résultats sont défavorables à leur candidat, les autres en tirent un argument de campagne parce qu’ils sont favorables au leur. A la fin le résultat de l’élection contredit – ou non – ce que semblaient dire les sondages et les uns ou les autres auront motifs à s’en plaindre, et ne se priveront pas de le faire.

Les uns comme les autres ont raison. Mais faut-il pour autant se priver de sondages, les interdire, ne plus leur donner droit de cité dans les campagnes électorales ? La réponse est évidemment que non. 

On voudrait imaginer une démocratie idéale, où chaque citoyen-électeur s’en irait voter pleinement conscient et informé de l’offre politique portée par chaque candidat et alors le mode de scrutin, cette merveilleuse petite machine à agréger les votes, dirait alors quel candidat correspond le mieux à la majorité des électeurs.

Mais voilà, cela ne se passe pas ainsi. La seule occurrence où cela se passerait ainsi est lorsqu’un candidat est absolument préféré à tous les autres par plus d’un électeur sur deux. C’est plutôt rare, vous en conviendrez.

Aussi, au moment de voter, un électeur un peu rationnel peut vouloir chercher à se faire une idée des forces en présence, de manière à ce que le bulletin qu’il va mettre dans l’urne ne produise pas un résultat contraire à celui qu’il espère. Pour le dire simplement, si cet électeur préfère le candidat A au candidat B, mais préfère encore le candidat B au candidat C, il est fondé à refuser qu’en votant pour A sans réfléchir, il ne provoque l’élection de C… quand il aurait pu l’éviter en votant directement pour B. C’est qu’il n’existe pas de mode de scrutin parfait, qui évite systématiquement une telle occurrence. Ou du moins, le mode de scrutin uninominal à deux tours ne l’évite pas.

Un parfait exemple de cela s’est produit le 21 avril 2002. Nombre d’électeurs, s’ils avaient été informés de la possible présence de Jean-Marie Lepen au second tour de la présidentielle, auraient renoncé à voter pour Jean-Pierre Chevènement, par exemple, pour reporter leur vote sur Lionel Jospin. Lequel aurait pu alors accéder au second tour où probablement il l’aurait emporté sur Jacques Chirac – du moins est-ce tout à fait imaginable. Une mauvaise information des électeurs, dans le cadre d’un mode de scrutin imparfait, a conduit à un mauvais résultat – mauvais au sens où un candidat a été élu alors qu’une majorité des électeurs auraient préféré que cela soit un autre, mauvais au sens de l’idéal démocratique.

On a coutume en France de brocarder ce que l’on appelle le vote utile. Pourtant ce n’est rien d’autre qu’un vote rationnel, un vote qui vise à éviter de se retrouver à voter contre ses propres préférences. Parce que dans une élection il ne s’agit pas seulement de dire « je préfère untel à tous les autres », il s’agit également, et de manière plus complexe, de pouvoir dire, autant que faire se peut, « je préfère encore que celui-là soit élu plutôt que celui-ci ». En 2002, des électeurs ont pu exprimer qu’ils préféraient Jean-Pierre Chevènement à tous les autres, puis qu’ils préféraient encore Jacques Chirac à Jean-Marie Lepen, mais ils n’ont pas eu l’occasion de dire s’ils n’auraient pas finalement préféré Lionel Jospin à Jacques Chirac.

Les sondages ne sont que cela, un élément d’information qui fournit une aide à la décision, une aide pas forcément inutile.

Un élément imparfait d’information et qui fournit une aide imparfaite à la décision. Mais imaginons un instant ce que serait une élection en l’absence des sondages. Les électeurs n’en seraient qu’encore plus mal informés sur l’état des forces en présence, voire même seraient plus facilement soumis par des médias tout puissants à une plus grande désinformation. Et les imperfections du mode de scrutin seraient plus critiques, bafouant alors l’idéal démocratique de manière plus systématique.

Aussi faut-il dire et répéter que les sondages ne sont en aucun cas prédictifs, dire et répéter qu’il faut tenir compte des marges d’erreurs, dire et répéter qu’il faut se garder d’une trop grande naïveté en considérant que les instituts de sondage sont nécessairement exempts de toute tentative de manipulations, dire et répéter que si les sondages relèvent de la science, leurs résultats sont fortement sensibles à la validité des hypothèses posées – par exemple celles qui permettent les redressement des échantillons.

Il faut dire et répéter que les sondages sont un élément d’information et une aide à la décision à manier avec une extrême précaution, mais qu’ils n’en restent pas moins un élément d’information indispensable au bon fonctionnement d’une démocratie déjà bien fragilisée par des modes scrutin par essence imparfaits. Ce n’est pas parce que l’information est imparfaite qu’il faut supprimer l’information – ce serait pire.

Ensuite, à chacun de décider quels éléments il retient et selon quelles pondérations pour faire son choix au moment de voter. Certains voudront fermer les yeux sur ce que semblent dire le sondages pour ne retenir que l’idée qu’ils se font du meilleur candidat, peu importe qu’il ait ou non la moindre chance d’être élu. D’autres ne décideront qu’entre les candidats qui selon lui ont une chance réelle d’être élus, éliminant d’office du jeu les candidatures dites de témoignage. La plupart pondèreront entre ces deux stratégies en fonction de leur propre sensibilité et de leurs propres priorités.

Dit autrement, pour certains voter c’est s’exprimer et uniquement cela, exprimer une préférence politique et espérer qu’elle puisse un jour devenir majoritaire. Pour d’autres il s’agit d’abord de viser à l’efficacité du vote, à son « utilité », contribuer effectivement à l’élection d’untel et à la non élection de tel autre. Pour beaucoup, c’est un peu de l’un et un peu de l’autre, mais toutes les manières de voter sont par essence légitimes.

On peut donc choisir d’ignorer les sondages, d’ignorer l’information qu’ils donnent, mais il n’est pas légitime de vouloir supprimer du champ de la démocratie cet élément d’information, aussi fragile soit-il.

Et d’ailleurs il ne l’est pas tant que cela, fragile, pour qui a appris à les interpréter. Le résultat du 21 avril 2002 était inscrit dans la tendance des sondages qui ont précédé l’élection, simplement la tendance s’était accélérée dans la dernière semaine – où la publication de sondages est malheureusement interdite – et les courbes se croisèrent quelques jours avant. De la même manière, le NON au referendum sur le traité de Constitution Européenne en 2005 comme l’élection de Jacques Chirac en 1995 étaient inscrit dans la courbe tendancielle des sondages…

Les sondages ne font pas une élection, ils accompagnent en l’éclairant la formation d’une opinion – marges d’erreur statistiques comprises. A la fin, seul le vote des électeurs – qu’on doit espérer le plus éclairés possible – est souverain.

Ainsi, concernant les sondages sur l’élection présidentielle de 2012, il est en effet aujourd’hui possible de dire que Martine Aubry et François Hollande seraient en mesure de figurer au second tour et de battre Nicolas Sarkozy, tandis que Ségolène Royal serait menacée d’une élimination dès le premier tour au profit de Marine Lepen. Ce serait très probablement le cas si l’élection se déroulait demain… mais l’élection est pour dans plus de six mois, période durant laquelle beaucoup de choses peuvent encore se produire, et se produiront, qui seront susceptibles d’influer sur l’opinion des électeurs et de modifier leurs préférences comme leurs intentions de vote. Le fait est cependant qu’aujourd’hui nous en sommes là et que c’est un élément d’information à ne pas nécessairement mettre de côté.

En revanche, concernant la primaire socialiste, qui aura lieu dans seulement dix jours, la marge de manoeuvre des candidats est nettement plus réduite qui pourrait parvenir à « faire mentir » les sondages, c’est-à-dire à retourner les intentions de vote de suffisamment d’électeurs. Car même en retenant une marge d’erreur importante de +/- 5%, il semble bien que François Hollande serait autour des 40%, que Martine Aubry serait autour des 30% et que loin derrière Ségolène Royal et Arnaud Montebourg seraient autour des 10% – avec une tendance qui semble plus favorable au second.

Cependant, une faiblesse supplémentaire pèse sur ces sondages qui concerne la question du « qui va effectivement aller voter ? ». C’est sur cette hypothèse que doivent poser les instituts de sondage pour ajuster leurs échantillons que porte la plus grosse incertitude, parce que cette primaire étant une première l’expérience ne permet pas de consolider les résultats. Ainsi, à 4 millions d’électeurs, les résultats de la primaire devraient être conformes à la tendance qui aura fini de se dessiner, mais sous le million – et l’éventualité est loin d’être négligeable -, il se pourrait bien que Ségolène Royal et Arnaud Montebourg puissent bénéficier, du fait d’un électorat plus militant, de scores meilleurs qu’attendus…

Il reste que nous disposons à ce jour d’une information qu’on peut vouloir prendre en compte et qui s’en vient compléter l’ensembles des éléments objectifs et subjectifs qu’il s’agit de prendre en compte au moment de voter, à savoir l’opinion qu’on se fait des projets des candidats, de leur capacité à convaincre, de leur crédibilité, de leur intégrité, de leur chances de l’emporter…

Quant au second tour de cette primaire, disons seulement à ce stade qu’un duel Aubry-Hollande est très loin d’être acquis au second.

 

En conclusion : Informez vous des tendances d’un sondage à l’autre, maniez les résultats fournis avec beaucoup de précautions, ne négligez pas les marges d’erreurs (5% est un chiffre très large), ne les croyez jamais prédictifs, surestimez pas la valeur de l’information qu’ils vous donnent sur les chances de chaque candidat, mais ne la sous-estimez pas non plus, appuyez-vous sur votre expérience, discutez… Et surtout, ne laissez à personne le soin de décider à votre place, participez à la décision collective, votez. Et soyez utile à la démocratie.