Mar 222013
 

véritéDans sa chronique d’hier matin sur Europe 1, Guy Birenbaum citent Elie Arié, Juan (Sarkofrance), Bruno Roger Petit, Nicolas (Jegoun) et moi-même pour expliquer que notre critique de Mediapart serait plutôt d’ordre politique et pour le moins paradoxale. Guy conclut en déclarant : « Personne ne doit oublier que le seul enjeu c’est la recherche de la vérité » – ce qu’il répète d’ailleurs en bilan de son billet de 13h sur le Huffington Post, Cahuzac, cas d’école.

La recherche de la vérité ? Le seul enjeu ? J’ai de gros doutes à ce sujet, ou du moins cela mérite d’être pécisé.

Si en effet il existe une vérité judiciaire et une recherche de cette vérité par les juges dont l’objectivité et l’impartialité sont les outils, il n’existe pas plus de vérité journalistique que de vérité politique. On ne me contestera pas cette assertion en ce qui concerne la politique et chacun reconnaîtra que toute opinion et donc toute opinion politique est par essence subjective. Cela ne signifie pas que les hommes politiques sont tous des menteurs, cela signifie seulement que chacun s’avance avec sa part de vérité, ses convictions, qu’il défend et confronte à celles des autres. Ça n’est pas sale et c’est ainsi que se développe un débat au sein d’une société, que chemine la démocratie et qu’une communauté de citoyens décide cahotiquement de son chemin.

La question qui se pose est la suivante : le journaliste est-il plus proche du juge ou plus proche du politique ? C’est une question importante parce qu’elle détermine le rapport critique que nous pouvons ou non nous autoriser à avoir avec les journalistes, avec leur travail. Si le journaliste est cet être objectif et impartial, en quête seulement de la vérité, en effet toute critique est malvenue – et encore, il a pu arriver que des juges ne s’affranchissent pas tout à fait de leurs opinions et en deviennent partiaux, mais cela reste très exceptionnel, une aberration.

La chose est différente pour le journalisme. Les journalistes aiment à se voir en défenseurs acharnés de la vérité, et à les entendre ils ne seraient jamais rien d’autres que des journalistes d’investigation – le terme est commode -, des êtres parfaitement objectifs dans l’exercice de leur beau métier. C’est oublier qu’il existe un journalisme d’opinion, c’est oublier la place qu’a prise l’éditorialiste dans le journalisme ces dernières années, c’est oublier surtout que les médias pour lesquels ils travaillent sont soumis à une ligne éditoriale – et je vais oublier la possibilité que des actionnaires puissent éventuellement peser sur cette ligne éditoriale.

Mais abordons la chose autrement et affirmons que le journaliste ne serait finalement pas grand chose s’il se contentait d’être un passeur d’information, un simple porte-voix d’une information purement factuelle, si même cela était être possible. Le journaliste ne saurait être neutre et Jean-Pierre Pernaud quand il nous informe qu’un chien a été écrasé par une camionette bleue à Saint-Sauveur, il le dit avec une émotion dans la voix qui est déjà une corruption du fait brut ; et notre manière d’appréhender cette information sera également affectée par le choix qui sera fait de nous montrer ou non une archive vidéo du gentil tout en question prise quelques jours plus tôt alors qu’il jouait joyeusement à la baballe en compagnie de son maître ; et décider ou non de la diffusion de l’interview du conducteur  de la camionette bleue, un homme bourru qui avouera aimer boire un petit pastis avant de prendre le volant, ne sera pas anodin non plus…

Ainsi, si même il n’existait pas un journalisme d’opinion, il est aisé de comprendre que le travail du journaliste n’est pas uniquement celui de la recherche de la vérité. Et cela ne signifie pas là non plus que ce serait sale. Il s’agit seulement de cesser de s’imaginer que l’objectivité serait une vertu et la subjectivité un vice. La subjectivité n’est pas une malhonnêteté et le journaliste ne peut faire autrement que de l’assumer, assumer les choix rédactionnels et éditoriaux qu’il fait. Et assumer donc que ces choix puissent être à l’occasion critiqués.

Il n’y a rien de paradoxal, cher Guy, à ce que j’émette une critique du travail de Mediapart à propos de Jérome Cahuzac et de son supposé compte en Suisse.

Je suis en effet ce que l’on appelle nous-même, avec un brin d’autodérision, un blogueur de gouvernement. L’occasion pour moi de dire ici – mais je croyais jusqu’ici que ça allait de soi – qu’il ne s’agit pas de recevoir des directives directement de Matignon ou de l’Elysée – un peu de sérieux ! -, il s’agit seulement de reconnaître et d’assumer un choix politique, celui d’un positionnement dans et non en-dehors de la majorité de gauche qui gouverne ce pays depuis un peu moins d’un an. Cela implique un certain degré de soutien, lequel n’est ni aveugle ni inconditionnel, n’en déplaise à l’ami Seb Musset

Ainsi, cher Guy, ceci étant un blog politique de gauche, je fais des choix éditoriaux en pleine cohérence. Ainsi donc, si même j’avais eu à émettre des critiques sur le travail de Mediapart sur l’affaire Bettencourt-Sarkozy, j’aurais considéré qu’il n’était pas de mon rôle de les émettre ici. En revanche, et parce que je considère que dans l’affaire Cahuzac – qui entre nous soit-dit n’est pas du tout de la même ampleur – Mediapart a en effet fait un choix plus que contestable, à savoir d’en faire des tonnes avec pas grand chose – et de toutes leurs soit-disantes preuves ne demeure aujourd’hui qu’un enregistrement d’une qualité exécrable et qui ne révèle rien -, je me crois autorisé à émettre publiquement et ma critique et mon opinion, dire que leur acharnement avait probablement quelque chose à voir avec un intérêt politique ou un intérêt commercial – et probablement les deux.

Pour l’intérêt commercial – pour Mediapart, il s’agit de vendre plus d’abonnements -, il ne suffit que d’observer les tweets d’Edwy Plenel depuis deux jours pour réaliser combien il y porte une grande attention. Et aujourd’hui est publiée très opportunément cette vidéo. Nul ne contestera je pense que le fond de commerce de Mediapart, ou disons son produit phare, est « le scandale politique qu’il soit de gauche ou de droite ». La gauche étant désormais au pouvoir, il leur en fallait un de gauche et ils se sont précipités sur le premier os qu’on leur a apporté sur un plateau d’argent. L’os n’étant pas des plus croustillants, on a fait un gros effort sur l’emballage avant de le transmettre aux lecteurs. Je ne suis pas désolé de n’avoir pas rongé cet os et d’avoir dit combien il me semblait pauvre et indigeste.

Quant à l’intérêt politique, c’est très précisément ce que pointait Juan hier (je mets le lien même si ), et cette critique-là également est légitime. Edwy Plenel est un militant politique et Mediapart est un journal d’opinion. Ce n’est en aucun cas une tare, bien au contraire. Encore faudrait-il avoir l’honnêteté intellectuelle, sinon de l’affirmer ouvertement, du moins de l’assumer. 

Enfin, à tous ceux à gauche qui poussent de grands cris parce que l’on a osé s’en prendre à Mediapart, je voudrais rappeler qu’ils n’ont que rarement ce genre de pudeur de pucelle, de complaisance avec le beau métier de journaliste – et l’ironie n’est pas où l’on pense – quand eux-même s’en prennent, et rarement en faisant dans la dentelle, au Figaro ou au Point, à Libération ou au Nouvel-Observateur. Pour quelle raison Mediapart devrait-il être nécessairement traité différemment ? Je pose la question, mais la réponse est évidente. Il ne suffit pour le comprendre que d’imaginer Mediapart révélant un compte en Suisse détenu par Jean-Luc Mélenchon… La raison de ce traitement préférentiel accordé à Mediapart par une certaine gauche est là encore politique, la raison est que Mediapart est positionné politiquement en appui de cette gauche d’opposition frontale au gouvernement. Encore une fois, je ne leur en fais pas grief, je conteste le fait que cela ne soit pas assumé.

Cette prétention à l’information pure en quête seulement de la vérité dont se targue le journaliste avec une grande complaisance pour lui-même est parfaitement absurde et n’est jamais qu’un paravent contre la critique. Elle est la tentative de créer une asymétrie dans la relation entre le journalisme et la chose politique, le journaliste aurait le pouvoir dans sa quête d’information de brutaliser un politique contraint de ne jamais émettre la moindre critique en retour. C’est en partie cette asymétrie qui a créé une toute puissance médiatique participant chaque jour à l’appauvrissement considérable du débat politique et sa décrédibilisation auprès des citoyens – et je ne dis pas que les politiques n’ont pas aussi leur part de responsabilité. Il reste que dans une démocratie, la critique du journaliste est aussi saine que souhaitable, parce qu’il participe du jeu politique, parce que l’idée qu’il n’en serait qu’un observateur et un commentateur impartial est une aberration, à la fois un leurre et un bouclier. 

Il est plus que temps que le journaliste assume sa subjectivité, assume qu’il y a pour lui, dans l’exercice de son métier, dans sa volonté d’informer, bien d’autres enjeux que celui de la recherche de la vérité. Et en plus, ça n’est pas sale !