Pour un bouclier fiscal... progressif
Le problème que pose le bouclier fiscal est dans cet argument maintes fois ressassé : « Il n'est pas normal que l'Etat puisse me prendre plus de 50% de ce que je gagne ».... et le français de regarder ses propres revenus et de se dire qu'en effet, ce ne serait pas du tout normal - on le comprend, sauf que cela ne risque généralement pas de lui arriver, il n'est pas assez riche pour avoir la chance de payer autant d'impôts.
Il y aurait cependant un moyen de contourner cet argument aussi populiste que fallacieux, qui prenant la droite à son propre jeu, proposerait un bouclier fiscal qui ne serait pas réservé qu'aux très riches.
C'est qu'on pourrait en effet se demander s'il est normal que l'Etat prenne 2 500 euros à quelqu'un dont le revenu annuel n'est que de 25 000 euros. Ou s'il est normal qu'on prenne 10 000 euros à cet autre qui gagne 50 000 euros annuellement...
Une telle réflexion permettrait de proposer un bouclier fiscal progressif, c'est-à-dire selon un barème tel que celui décrit par la courbe ci-dessous, donnée à seul à titre d'exemple de ce que progressivité veut dire :

Ainsi, si mon revenu annuel est de 18 000 euros (1 500 € par mois), l'Etat ne peut me prendre plus de 10% de mes impôts. S'il est de 25 000 (un peu plus de 2 000 € par mois), mon bouclier fiscal est de 14% - je ne peux payer plus de 3 500 euros d'impôts. A 50 000 euros de revenu par an (plus de 4 000 par mois), mon plafond d'imposition est de 14 000, soit 28% - ou dit autrement, il me reste au minimum 36 000 euros (soit 3 000 € par mois pour vivre).
En revanche, si on regarde les très hauts revenus : à 100 000 euros annuel, mon bouclier fiscal est de 54% et il me reste au minimum 54 000 euros ; à 150 000 euros (1 millions de francs) c'est 73%, etc... et jusqu'à progressive disparition de tout bouclier fiscal.
Ceci à titre d'exemple - et il ne suffit que d'ajuster la courbe pour obtenir la progressivité souhaitée, l'essentiel étant que cette progressivité existe. On peut être plus "gauchiste" que moi (si si !) et accentuer la pente afin que seuls les bas revenus profitent dans les faits d'un véritable bouclier fiscal, ou alors très libéral en adoucissant la progression afin que les très hauts revenus en gardent toujours un bon paquet dans les fouilles ; on peut même choisir une asymptote à 75%, plutôt qu'à 100% comme je l'ai fait ici...
Il est important de prendre conscience qu'une des propriétés de la progressivité est que non seulement il n'y a pas d'effet de seuil - au contraire de ce qu'on entend dire souvent -, mais qu'en sus on peut toujours continuer à gagner plus : l'Etat ne prend jamais tout - il ne fait que prendre une part plus important de ce qui dépasse... et qui continue donc de dépasser. Les adeptes du toujours plus seront donc toujours positivement incités à gagner plus... pour gagner plus.
Il faut d'ailleurs bien noter que ce n'est qu'un bouclier, une sorte d'assurance de ne pas dépasser un certain plafond d'imposition. De manière générale, il ne devrait jamais être atteint, pour peu que le système fiscal dans son ensemble soit bien calibré - et notamment donc en terme de progressivité, ce qui réclame une réforme fiscale qui déporte une bonne partie de l'imposition des ménages vers un impôt sur le revenu lui aussi réformé. Bref y a du boulot, mais il y a également des possibilités.
Se souvenir aussi qu'il y a encore un quart de siècle, Georges Marchais promettait : « Au-dessus d'un million, je prends tout. »... et il parlait en francs !
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Quand le grand Obama ignore le petit Sarkozy
Sarkozy ou l'éthique en toc
Hier soir, à Saint-Quentin, devant un parterre de beuglants de l'UMP, le tout petit président a plusieurs fois appelé au retour à une « éthique du capitalisme », qui serait une « éthique de l'effort, de la responsabilité, de l'honnêteté ».
« Percevoir une grosse rémunération en cas d'échec, [...] distribuer des bonus dans une entreprise qui met en oeuvre un plan social ou qui reçoit des aides de l'Etat [...], ce n'est pas responsable, ce n'est pas honnête », a martelé le chef de l'État, qui a réclamé un « devoir d'exemplarité ». Ainsi, enfonce-t-il le clou, « il ne doit plus y avoir de parachutes dorés. Il ne doit plus y avoir de bonus, de distribution d'actions gratuites ou de stock-options dans une entreprise qui reçoit une aide de l'Etat, qui met en œuvre un plan social d'ampleur ou qui recourt massivement au chômage partiel. »
On ne s'interrogera pas ici sur la cohérence entre éthique de l'effort et récompense à la France qui hérite, nous l'avons déjà fait.
Mais on relèvera que Nicolas Sarkozy n'a rien proposé de concret qui puisse donner un peu de poids à ses mots, les rendre un peu crédibles ; aucune mesure digne de ce nom qui puisse donner à penser que sera fait ce qui doit être fait pour en finir avec les décisions irresponsables et malhonnêtes du capitalisme et de ses plus fidèles thuriféraires. Nicolas Sarkozy fait mine de ne pas entendre qu'on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “L’Ethique ! L’Ethique ! L’Ethique !”, cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien.
Et puis, pour se foutre jusqu'au bout de notre gueule, le voici qui en remet une couche sur le paquet fiscal en faisant appel au « bon sens » pour justifier sa décision de plafonner à 50% les impôts prélevés sur les plus riches, arguant même qu'augmenter les impôts des riches « ça finit toujours par tomber sur les classes moyennes » - ce qui est d'une bêtise profonde, mais on ne va pas non plus attaquer le président sur ses lacunes neuronales...
Posons plutôt la question suivante : Dans un pays où il est possible de mourir de froid dans la rue, où des familles entières vivent dans des conditions insalubres, où des retraités doivent survivre avec quelques centaines d'euros par mois, où le chômage et la précarité sont le quotidien de millions de personnes, où une large partie de la jeunesse est sans perspective, et où le salaire mensuel moyen est de 2 500 euros brut, et le SMIC à 1320 euros brut, est-il responsable, est-il même honnête d'accepter que quelques-uns perçoivent dans le même temps des salaires qui avoisinent le million d'euros, accompagnés de bonus de toutes sortes qui leur permettent encore de multiplier ce chiffre par dix ?
La Chambre des représentants américaine a ce jeudi adopté (par 328 voix contre 93) un projet de loi visant à imposer à 90% les primes des salariés des entreprises qui ont reçu une aide publique et dont la rémunération annuelle dépasse les 250.000 dollars par an. C'est sans doute que les américains ont quant à eux compris que si l'on ne peut par la loi empêcher une entreprise privée de s'écarter de la bonne éthique capitaliste, l'Etat dispose via l'impôt de tous les moyens pour l'y inciter très fortement, et à défaut pour corriger très sensiblement les abus qui seraient commis.
Encore faut-il en avoir la volonté politique. Encore faut-il qu'un bouclier fiscal ne vienne pas priver l'Etat de toute marge de manoeuvre fiscale en direction des plus riches !
« Une société de liberté, c'est d'abord une société de respect », a également énoncé le petit président des « pôv' cons » et du bling-bling, ce même petit bonhomme qui se gargarise aussi du mot « exemplarité »...
Edit : Simultanément, Nicolas a pondu un billet qui prend d'autres chemins pour dire des choses très approchantes - si son titre est moins lumineux que le mien, allez tout de même le lire : L'éthique, la loi ou l'impôt ?
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Rétablir les droits de succession
La loi TEPA et son gros paquet fiscal constituent la mesure emblématique du sarkozysme. Il n'est donc guère surprenant que le débat politique se cristallise autour de cette loi.
Aujourd'hui encore, la gauche enfonce le clou en réclamant la suppression du bouclier fiscal, tandis qu'une partie de la droite fait mine de s'interroger sur l'opportunité en ces temps de crise de suspendre l'application dudit bouclier - c'est-à-dire en réalité de le maintenir mais en le refaisant passer à 60% (contre les 50% actuels) durant une année ou deux. Ce qui donne l'occasion au gouvernement de donner de nouveaux gages à son électorat en faisant preuve de fermeté, Nicolas Sarkozy allant jusqu'à proclamer qu'il n'a pas été élu pour augmenter les impôts.
Notons au passage que cette fois, et contrairement à ses habitudes, le petit président a énoncé une vérité : il n'a pas en effet été élu pour augmenter les impôts. Et si l'on peut noter qu'il les a même diminués pour les plus riches d'entre nous, via justement le paquet fiscal, on pourrait également faire la liste des impôts et taxes qui ont pour leur part bel et bien augmenté - en dépit donc de ses engagements de campagne. Je ne le ferai pas, d'autres s'en étant chargé - il en est même qui ont fait la liste des certaines choses pour lesquelles il n'avait pas non plus été élu. En revanche, sur le pouvoir d'achat...
Mais passons. Ce qui en revanche est plus surprenant est la timidité avec laquelle la gauche aborde certain aspect du paquet fiscal. Elle dénonce le volet sur le bouclier fiscal, et elle a raison : cela relève de l'injustice fiscale au profit des plus riches (n'en déplaise à Gad Elmaleh) ; elle pointe du doigt la défiscalisation des heures supplémentaires, et elle a raison : cela contribue par effet d'aubaine à l'augmentation du chômage ; elle souligne l'inefficacité économique de l'ensemble du dispositif pour un coût tout à fait exorbitant, et elle a raison : voilà des milliards consacrés aux foyers les plus riches et aux entreprises quand on se serait attendu qu'on se préoccupe d'abord du pouvoir d'achat des foyers les plus modestes - mais il est vrai que c'est depuis devenu une habitude, une sorte de marque de fabrique du sarkozysme : la distribution par milliards de l'argent public à ceux qui... sont ses amis privés.
En revanche, donc, il règne à gauche un silence assourdissant sur la question des droits de succession, dont la quasi-suppression est pourtant une autre mesure phare de la loi TEPA, très étrange mesure venant d'un président qui n'a eu de cesse de répéter qu'il voulait « récompenser la France qui travaille » - quel est donc le grand mérite de cette France qui hérite, qu'il faille ainsi l'exonérer d'impôt ?
En 2007, la gauche avait dramatiquement perdu la bataille des idées, et donc l'élection présidentielle. Il semble désormais plus que temps de reprendre ce combat : parler d'égalité des chances, parler de solidarité, parler de redistribution des richesses, parler de justice sociale et fiscale... Or il est plutôt aisé de comprendre qu'au coeur de tout cela, il y a l'imposition des successions.
La mesure serait impopulaire ? Bien entendu, puisque la gauche est en situation de faiblesse dans l'opinion, puisque justement elle a perdu la bataille des idées et n'a pas encore repris le combat sur son terrain, celui des solidarités. Il ne s'agit pourtant que d'entreprendre un travail d'explication, faire preuve d'un peu de pédagogie, énoncer quelques vérités qui dissiperont bien des inquiétudes et des incompréhensions.
Rappeler par exemple quelle était la situation antérieure, avant la loi TEPA de 2007 : en 2002, un rapport du Sénat évaluait que « seul un petit quart des successions donne lieu à perception de droits de succession [les plus importantes] et que ce sont près de 90% des transmissions entre époux et 80% en ligne directe, qui ne donnent pas lieu à perception de droits ». Ainsi, la perception de droits de successions ne concernait déjà qu'une part très minoritaire des successions et, en particulier, seulement 20% des successions en ligne directe (de parents à enfants) et 10% de celles entre époux.
Suite à la loi TEPA, ce sont désormais 95% de toutes les successions qui sont exonérées. On voit aisément à quelle catégorie de français Nicolas Sarkozy a destiné son cadeau fiscal.
Aujourd'hui, la succession entre conjoints est totalement exonérée d'impôts. Aujourd'hui, un parent qui décède et laisse un actif net de 300 000 euros à deux enfants, laisse en héritage 150 000 euros non imposables à chacun d'entre eux. Aujourd'hui, un parent qui décède et laisse un actif net de 600 000 euros à trois enfants, laissent 200 000 euros à chacun, imposables à hauteur de 6 956 euros. Dit autrement, chaque enfant touche par naissance 200 000 euros imposés à 3,5% !
A titre de comparaison, un salarié vivant seul et gagnant mensuellement 1 500 euros est imposé à hauteur de 1 430 euros, soit 8% des 18 000 euros qu'il aura gagné dans l'année. En clair, un héritier touche sans travailler 200 000 euros imposé à 3,5%, quand un salarié travaillant toute une année pour à peine plus du SMIC est quant à lui imposé plus de deux fois plus sur une somme plus de dix fois moindre.
Un tel rappel de la réalité devrait permettre de poser le débat sur la nécessité de réformer l'impôt sur le revenu tout en rétablissant un impôt progressif sur les successions. Car il ne s'agit pas nécessairement d'augmenter les impôts en général, mais de les répartir mieux entre tous, dans un esprit de solidarité et de redistribution.
De même qu'il ne s'agit pas de rétablir l'impôt sur toutes les successions, mais bien d'en rétablir le caractère progressif, donc redistributif. Disons pour exemple et par héritier en ligne directe :
- jusqu'à 50 000 euros : 0%
- entre 50 000 et 100 000 euros : 5%
- entre 100 000 et 150 000 euros : 10%
- entre 150 000 et 200 000 euros : 15%
- entre 200 000 et 300 000 euros : 20%
- entre 300 000 et 400 000 euros : 30%
- entre 400 000 et 500 000 euros : 40 %
- entre 500 000 et 1 000 000 euros : 50 %
- au-delà de 1 000 000 euros : 60%
Dans cet exemple, un enfant qui hérite de 50 000 euros net de ses parents ne serait redevable d'aucun impôt, quand celui qui ci-dessus héritait de 200 000 euros serait redevable de 15 000 euros - ce qui est encore relativement peu puisque c'est un taux d'imposition de 7,5%, soit un peu moins encore que celui de notre salarié smicard qui devrait quant à lui travailler plus de dix ans pour toucher ce que l'héritier touche en une seule fois et sans rien faire.
La gauche serait particulièrement mal inspirée de faire une fois de plus l'impasse sur cette question plus que symboliquement centrale de la réforme de l'impôt : impôt sur le revenu et impôt sur les successions, impôt sur les revenus du patrimoine et ISF, mais aussi TVA dont il faut rappeler que, non progressif, il est l'impôt le plus injuste... à l'exception de l'impôt sur les successions qui n'existe même plus.
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Dix questions pour dix champions socialistes
A propos de création de richesses, d'impôts et de redistribution...
Si les mots ont leur importance, parce qu'il s'agit de leur donner un sens, la confrontation des mots ne saurait tenir lieu de confrontation des idées. Socialisme, social-libéralisme, social-démocratie ou social-écologie, il s'agit d'abord de se distinguer sur le fond d'une orientation politique. La gauche se préoccupe de justice sociale, c'est-à-dire du cycle création / redistribution des richesses. Soit. A la veille d'un très important congrès du Parti Socialiste, pour l'heure assez mal engagé, il serait alors intéressant, sinon indispensable, de connaître la position de chacun sur certaines questions très concrètes - pour s'occuper seulement ensuite de l'habillage sémantique.
Voici donc les questions que je pose à qui voudra bien y répondre, à chacun d'entre vous et plus spécifiquement à Benoit Hamon et Vincent Peillon, à Ségolène Royal et Bertrand Delanoë, à Martine Aubry et Manuel Valls, à Julien Dray et Pierre Moscovici, à François Hollande et Laurent Fabius, chacun d'entre ces dix là étant potentiellement le prochain premier secrétaire du Parti Socialiste et/ou le futur candidat des socialistes à l'élection présidentielle - et je le sais bien qu'il n'y a que deux femmes, et même aucune parmi la jeune garde, mais ce n'est pas à moi qu'il faut s'en prendre...
1- Impôt sur le Revenu : Faut-il revoir la redistributivité de l'impôt sur le revenu et dans quel sens ?
2- Allocations Familiales : Faut-il continuer d'exonérer les allocations familiales de l'impôt sur le revenu ? Doivent-elle à l'avenir être accorder et niveler sous conditions de ressources ?
3- Stock-options : Considérant que les stock-options sont une composante du revenu de ceux qui en bénéficient, doivent-elles continuer à être exonérées de cotisations sociales sur la plus-value d’acquisition ? (pour plus d'explications, lire ici)
4- Droits de succession : Un héritage étant un revenu pour son bénéficiaire, faut-il rétablir l'impôt sur les successions ? Faut-il prévoir un plafond d'exonération et à quel niveau ?
5- TVA : La TVA étant l'impôt le moins redistributif, faut-il aller vers une réduction des taux de la TVA ?
6- Charges Sociales : Faut-il changer l'assiette des charges sociales depuis la masse salariale vers la valeur ajoutée - en prenant soin de revenir sur l'ensemble des exonérations ?
7- ISF : Faut-il revoir l'Impôt sur la Fortune et dans quel sens ?
8- Taxe sur les transactions financières : Êtes vous favorable à ce que la France plaide pour l'instauration en Europe d'une taxe type Tobbin sur les transactions financières spéculatives ?
9- Le temps de travail : Pensez-vous que la réduction du temps de travail est un processus historique qui va dans le sens du progrès social ?
10- La croissance du PIB : Compte-tenu de la raréfaction de la ressource, pensez-vous que les socialistes doivent continuer de considérer la croissance du PIB comme un objectif économique source de progrès social ?
Les dix auxquels je m'adresse plus spécifiquement ne répondront peut-pêtre pas, et sans doute pas ici, mais vous ? Il serait très intéressant de savoir enfin ce qui nous sépare sur le fond de ces questions... de sortir une bonne fois de ce positionnement pro-untel ou pro-unetelle que quant à moi je présume largement artificiel, pour ne pas dire instinctif.
Source : 10 questions pour 10 champions socialistes






